"La situation dans le cyclisme me casse parfois le moral..."
- Publié le 22-03-2008 à 05h00
Confidences du champion du monde avant Milan-Sanremo
MILAN Paolo Bettini est un personnage attachant. Depuis 2006, le Toscan a connu les plus belles émotions en devenant deux fois successivement champion du monde, mais il n'a pas non plus été épargné par le sort. Quelques jours après son premier sacre, à Salzbourg, il perdait son frère Sauro (42 ans), dont il était très proche, et juste avant le second titre, il était vilipendé par les organisateurs.
Paolo, on dit que, cette année, vous êtes un peu en retard de condition (NdlR : il avait pris 9 kg cet hiver et en avait encore 3 ou 4 de trop avant le Tour de Californie). Est-ce voulu ?
"Oui et non. J'ai effectivement commencé à travailler plus tard, plus progressivement, plus tranquillement. Mais attention, je tiens à être en forme pour les classiques flamandes, car je veux gagner une belle course de pavés avant de raccrocher mon vélo au clou. J'avais aussi envie de courir Paris-Roubaix cette saison, mais je ne suis pas sûr que ce sera pour cette fois. Il va donc falloir que j'effectue une année supplémentaire dans le peloton (rire). Si je suis un peu à la recherche de ma forme, c'est aussi dû à de petites complications dans ma préparation. Au Volk, je suis tombé et je suis resté deux jours sans faire de vélo. Ensuite, le temps s'est dégradé et je n'ai pas pu m'entraîner correctement. À Tirreno, je me suis amélioré. Je reconnais toutefois que je n'ai pas le niveau que j'avais les autres années à pareille époque."
Fin 2008, votre contrat se terminera chez Quick Step et le manager général de l'équipe n'a pas encore trouvé de sponsor pour l'an prochain. Cela pourrait-il vous inciter à arrêter définitivement le vélo ?
"Très honnêtement, je n'en sais encore rien. Arrêter ma carrière est une décision importante à laquelle je n'ai pas encore vraiment pensé. Je ne tirerai pas un trait sur le vélo sans avoir pesé tous les aspects de la question. Trouver une équipe n'est pas un problème pour moi. J'ai toujours dit que le plus important était de voir comment je me comporterai en course cette année. Si je sens que je suis toujours dans le coup, alors je pourrais repartir pour un ultime tour, sinon..."
Vous avez toujours la tête à la course ?
"La course, ce n'est pas un problème. Je suis toujours motivé, et certainement pour les grandes épreuves. L'entraînement ne me pose pas trop de difficultés non plus. Par contre, l'éloignement de la famille, parfois pendant des semaines entières, est plus difficile à vivre, pour moi, en fin de carrière."
Ce samedi, vous ferez peut-être votre dernier Milan-Sanremo, un sentiment particulier ?
"Oh, j'ai commencé l'année en me disant que, pour chaque course, ce serait peut-être la dernière fois, dès lors..."
Comme l'équipe n'a toujours pas de repreneur pour l'an prochain, y a-t-il une plus grande pression sur les coureurs ? Car une victoire peut changer beaucoup de choses...
"Non, Patrick (NdlR : Lefevere) sait bien que ses hommes sont des professionnels, qui ont toujours fait de leur mieux. Notre situation en matière de sponsor ne change rien pour nous. Vous savez, gagner, c'est important tout le temps."
Revenons un instant à l'affaire de Stuttgart. Là, les organisateurs ont vraiment tout fait pour vous casser et vous empêcher de participer au Championnat du Monde...
"Les organisateurs et aussi l'UCI, qui m'accusaient de n'avoir pas signé la charte déontologique. Je l'avais bien signée, pourtant, mais j'y avais apporté un amendement, concernant l'amende d'un an de salaire en cas de dopage. Je n'étais pas d'accord car, en cas de contrôle positif, l'équipe vous suspend déjà automatiquement... et vous n'êtes plus payé. Si vous prenez une suspension de 2 ans, qui est le tarif recommandé, vous n'avez plus de revenu non plus. Avec une telle amende en plus, on paye donc deux fois, ça non ! En plus, j'avais d'abord pensé aux jeunes coureurs, pour qui une telle sanction pourrait les précipiter dans une situation précaire. Moi, à mon âge, je pourrais encore m'en sortir aisément. Pourtant, finalement, je me suis rendu compte que j'avais été le dindon de la farce, car l'UCI voulait me sanctionner pour n'avoir signé qu'une partie de la charte, alors que beaucoup d'autres coureurs avaient signé ce papier en y ajoutant un autre amendement, qui comportait une clause concernant l'amende d'un an de salaire qu'ils refusaient aussi. C'était jouer sur les mots, mais ceux-là n'ont pas eu de problème car, officiellement, leur formulaire de charte était en ordre. Depuis ce jour, j'ai pris la résolution de ne plus jamais être le porte-parole du peloton !"
Malgré cela, vous avez quand même renouvelé votre titre ?
"Ce fut une bonne leçon. J'ai compris cette semaine-là qu'il en faut vraiment peu pour briser une carrière. Heureusement que j'ai été aidé par des gens compétents qui ont pu démontrer que ce que ces gens mal intentionnés voulaient faire croire ne reposait en fait sur rien. D'autre part, toute cette adversité à mon égard n'a fait que décupler ma motivation. Vous savez, les Italiens sont des gens très orgueilleux. La réaction est venue sur le vélo."
La situation actuelle pour le moins confuse, notamment avec cette guerre entre l'UCI et les organisateurs, a-t-elle modifié votre approche du cyclisme ?
"Certainement ! Le milieu a changé de visage pas mal de fois depuis que je suis devenu professionnel en 97. Je ne vous cache pas que je passe régulièrement par des hauts et des bas. Cette situation me casse parfois le moral. Vous vous imaginez ce qu'ont dû ressentir les coureurs de Paris-Nice au départ de cette course ? Parce qu'ils faisaient leur métier, on les menaçait d'une suspension de six mois."
Le sort, au niveau de votre famille, ne vous a pas épargné non plus quand vous avez perdu votre frère Sauro juste après le titre mondial de Salzbourg, en 2006...
"Je ne tiens pas trop à parler de cela. C'est terrible ce qui est arrivé. Sauro, dont j'étais très proche, s'est tué sur la route de Bibbona, le lundi soir, un jour après le championnat, alors qu'il sortait d'une réunion destinée à organiser une fête en mon honneur. Ce jour-là, j'ai vraiment failli tout arrêter. Mais une conversation avec ma femme et mes parents m'a remis en selle. Et c'est bien le cas de le dire puisque j'ai remporté le Tour de Lombardie dans la foulée. Ce jour-là, j'ai pédalé sans éprouver la moindre fatigue et, toute la course durant, j'ai ressenti la présence de Sauro à mes côtés. Sur la ligne, l'émotion et la communion étaient intenses."
On vous dit sceptique sur le nouveau passeport biologique instauré par l'UCI...
"Attention, comprenez-moi bien, je suis pour ce passeport, mais j'ai des doutes, en effet, sur l'efficacité de la méthode. Parce que, dans les faits, elle existe déjà depuis plusieurs années. Depuis 97, les coureurs ont accepté les contrôles croisés sang et urine. Donc l'UCI et l'AMA possèdent une infinité de données sur les coureurs. Et qu'est-ce que ça donne ? Cette année, ils vont seulement sélectionner une série de paramètres pour établir une ligne commune à tous les athlètes. On verra. Mais, malheureusement, des tricheurs, il y en aura toujours, c'est dans la nature humaine."
Pour ce samedi, à Milan-Sanremo, Boonen et vous avez tous deux envie de gagner. Pas de friction dans l'équipe ?
"Oh, je ne réponds plus à cette question. Chaque année, à cette époque, on me la pose. Mais nous avons quand même maintes fois prouvé par le passé qu'on s'entendait à merveille dans notre formation. Cette fois, on est deux à pouvoir revendiquer la victoire, mais il fut une saison où nous étions 4 : Boonen, Paolini, Pozzato et moi; cela n'avait pas posé de problème (NdlR : et Pozzato avait gagné !)."
Les changements d'itinéraire vont-ils influer le déroulement de la course ?
"Je le crois, oui. Avec la Manie, une côte difficile (assortie d'une descente tortueuse), à 94 km de l'arrivée, on va devenir nerveux plus tôt, à 110 km du but ! Et puis, surtout, on prévoit du mauvais temps; un temps de Flamand, avec la pluie et le froid; ça, cela peut changer beaucoup."
Un temps pour Bettini ?
"Qui sait ? ! Je n'ai peut-être pas la toute grande condition, mais ce n'est pas absolument nécessaire pour gagner à Sanremo."