Vervecken: "Nos salaires ont triplé depuis l'année 2000"
- Publié le 26-01-2008 à 04h59
Cyclo-cross. Le triple champion du monde remet son titre en jeu dimanche à Trévise
LICHTAART Bien loin de la relative agitation qui anime la réception de l'hôtel De Residentie , QG de la formation Fidea avant le départ pour Trévise, au passage de Bart Wellens, c'est à la table de son repas qu'Erwin Vervecken, triple champion du monde (2001, 2006 et 2007), nous a reçus. L'homme, empli de simplicité et de modestie, préfère les dialogues les yeux dans les yeux à d'insipides et impersonnelles conférences de presse. À quelques heures de remettre en jeu un maillot arc-en-ciel qu'il porte surs ses larges épaules depuis deux saisons maintenant, le coureur d'Herentals, homme de Championnat, s'est livré pendant près d'une heure sur la vision qu'il a de son sport.
Erwin, ces dernières années le phénomène se répète, mais il surprend toujours autant. Après un début de saison parfois tâtonnant, vous montez toujours en puissance à la veille des championnats de Belgique et du Monde pour finalement jouer la gagne avec les meilleurs sur ceux-ci. Vous expliquez-vous ce phénomène ?
"Je suis un coureur qui, de nature, a besoin de temps et de courses pour arriver en forme. Ce fut d'autant plus vrai cette année car j'ai connu, je le concède pleinement, une mauvaise saison. J'ai donc longtemps couru après mon meilleur niveau. Depuis ces deux, trois dernières semaines, cela va toutefois bien mieux. Je dois avouer aussi que je n'aborde pas le début de saison à 100 %. Les premières épreuves sont cruciales pour doucement monter en puissance. Ma préparation estivale a, de plus, été perturbée cette année puisque je suis tombé malade en juin et que j'ai tenu à participer à une course par étapes en Chine avec seulement dix jours d'entraînements dans les jambes. J'y ai laissé pas mal de forces. L'âge, enfin, est un élément à prendre en considération. J'aurai 36 ans en mars et dois davantage cibler mes objectifs."
Le phénomène est presqu'inverse chez Sven Nys qui a pour habitude de démarrer la saison sur les chapeaux de roue avant de connaître un creux lors du mois de janvier.
"Sven est incontestablement le meilleur coureur de la génération actuelle. Gagner la même saison le Trophée Gazet van Antwerpen, le Superprestige et la Coupe du Monde (comme le coureur de Baal l'a fait l'année dernière) est une performance exceptionnelle qui démontre bien qu'il est possible de courir les trois lièvres à la fois. Très régulièrement, il connaît toutefois un creux au moment des Championnats du Monde, lequel ne dure que quelques jours, mais se produit invariablement au plus mauvais moment. Je crois que le problème de Sven est, selon moi, qu'il court trop lors de la fin du mois de décembre et au début du mois de janvier, le coeur de la saison de cyclo-cross."
Le stress ne joue-t-il pas, aussi, un rôle clef dans ce phénomène ?
"Indiscutablement. Sven est tellement fanatique qu'il est pratiquement à 100 % sur chacune des courses auxquelles il prend part. Là où la concurrence gagne une dizaine de pour cent à l'approche des Championnats du Monde du fait de l'enjeu et de l'adrénaline que celui-ci provoque, Sven ne peut élever le sien puisqu'il est déjà à son sommet. Mentalement, cela lui est pénible. L'effet est même inverse car je suis persuadé que le stress lui fait perdre une bonne partie de ses moyens."
La domination de Sven Nys énerve-t-elle une partie du peloton ?
"Je crois que c'est une mauvaise chose pour notre discipline qu'un coureur l'écrase autant. Quand j'écoute les commentaires du grand public, sa mainmise lasse. Le suspense est le meilleur des ingrédients pour attiser l'intérêt du public. C'est ce qui fait que le Championnat du Monde est si attendu. Les cartes y sont souvent redistribuées."
Depuis 2001 et votre premier sacre, le mail-lot arc-en-ciel n'a plus quitté les épaules belges. Cette constatation ne fait que renforcer l'impression d'une discipline finalement très peu internationale.
"Pareille domination est avant tout révélateur de l'excellent niveau que possèdent nos coureurs. Lorsque Jonathan Page a pris, un instant, la tête du Championnat du Monde l'année dernière, la chose a contribué à la popularité de la discipline aux Etats-Unis, mais quand on voit ses prestations cette année, il n'au- rait sans doute pas fait un bon champion du monde. Il serait bien évidemment préférable que d'autres nations s'essaient à la discipline. Le problème, c'est que quand ils débarquent sur nos épreuves, notre niveau les effraie. Au milieu des années quatre-vingt et au début des années nonante, certains Suisses (NdlR : Wabel ou Frischknecht par e-xemple) donnaient du fil à retorde aux Belges et aux Néerlandais dans les labourés. Mais quand ils n'ont plus pu rivaliser, ils se sont détournés du cross pour le VTT qui leur rapporte bien plus d'argent."
Tout comme l'argent est source de motivation pour les Belges...
"Bien évidemment. Depuis le début des années 2000 et la multiplication des directs télés, les salaires ont explosé. Pour les meilleurs, les primes de départ et les contrats ont presque été triplés. Pareille manne attire évidemment une base plus importante qui s'essaie alors à la discipline. Nous gagnons très bien notre vie; je ne m'en cache pas. On se demande parfois pourquoi Sven Nys ne s'essaie pas à la route. Je vous répondrai que pour découvrir le même chiffre sur son compte en banque en fin de mois, il devrait faire partie des cinq meilleurs routiers du pays."
Il n'est donc pas étonnant de voir Lars Boom, champion du monde de contre-la-montre chez les Espoirs, se cantonner aux labourés.
"Tout à fait. La popularité du cyclo-cross n'est cependant pas la même aux Pays-Bas. Il ne m'étonnerait par exemple pas qu'a-près quelques années de cross, il reprenne le chemin de la route."
Il sera le grand favori des spécialistes dimanche. Ces performances, pour un coureur qui n'en est qu'à sa première saison complète chez les pros, vous ont-elles étonné ?
"J'avais déjà compris la saison dernière que ce garçon était doté d'une classe incroyable, mais je dois bien concéder que je suis ébloui par la constance de ses prestations à très haut niveau. Il est actuellement un cran au-dessus de Sven Nys."
Bart Wellens avait déclaré qu'il ne roulerait pas pour Nys si Zdenek Stybar, le Tchèque de chez Fidea, était aux avant-postes. La logique des équipes prévaut-elle encore sur celle des nations ?
"Le cyclo-cross est très particulier en ce sens que le travail d'un homme n'est jamais au-tant profitable à un autre que sur la route. C'est presque toujours le meilleur qui gagne. Le jeu d'équipe est bien moins important. C'est très souvent du chacun pour soi. Les meilleurs sont amenés à faire toute la course aux avant-postes et ne peuvent compter sur le travail d'équipiers pour les ramener aux premières loges. Le rythme est très intense. Ma moyenne cardiaque sur une épreuve d'une heure tourne ainsi aux alentours de 170 pulsations cardiaques par minute. Dès le départ, on est presque à bloc."
Les résultats de la dernière cérémonie du Sportif de l'Année, et la victoire de Boonen sur Nys, ont mis un peu plus en lumière le problème de la popularité du cyclo-cross en Wallonie. Que faudrait-il pour dynamiser la discipline dans le sud du pays ?
"Deux choses essentielles. Tout d'abord, plus d'épreuves en terre wallonne, et ensuite un top coureur capable de rivaliser avec les meilleurs spécialistes mondiaux et flamands."
Celui-ci pourrait-il être Quentin Bertholet, l'espoir de votre formation Fidea ?
"Pourquoi pas ? Je crois que Quentin est doté d'un potentiel certain. Il n'est sans doute pas le nouveau Sven Nys, mais il a une grande soif d'apprendre. Sa motivation est énorme et l'équipe Fidea constitue, pour lui, le cadre idéal pour son apprentissage. Il lui reste maintenant à apprendre le néerlandais de manière à pouvoir s'intégrer encore mieux dans notre effectif."
Que peut-il ambitionner à Trévise ?
"Jouer un podium sera difficile. Je crois que le circuit ne lui convient pas particulièrement. Quentin n'est jamais aussi bon que quand le tracé est très exigeant."
© La Dernière Heure 2008