Nuyens: "Une pointe de fierté, d'appréhension et d'émotion..."
- Publié le 07-07-2007 à 05h00
L'Anversois découvre le Tour, conscient que la course peut le grandir
LONDRES Cinq Belges, sur les treize coureurs engagés parmi les 189 concurrents du Tour, découvrent cette année la Grande Boucle. Parmi eux, Nick Nuyens, candidat déclaré à une victoire d'étape, quand bien même l'ancien vainqueur du Volk, de Paris-Bruxelles et du Grand Prix de Wallonie se douterait que les occasions vont se compter, pour lui, sur les doigts de la main. À quelques heures du prologue du 94e Tour de Flandres, nous avons rencontré le Campinois.
Qu'est-ce qu'un coureur de classiques, de classiques pavées en plus, vient faire sur le Tour ?
"Je vous rappelle que le Tour passe en Flandres... Mais c'est vrai que ce n'est pas un cadeau pour moi. Comme disait Peter Van Petegem, ici, sur le Tour, pour quelqu'un qui n'est pas sprinter, pour quelqu'un qui n'est pas rouleur, pour quelqu'un qui n'est pas grimpeur, les occasions sont rares. Trois, quatre, tout au plus, et nous sommes une centaine à viser ces jours-là. Quand vous prenez la période des classiques du printemps, grosso-modo, pour moi du Volk à l'Amstel, j'ai vingt ou tren te possibilités de gagner une course en comptant les classiques, les semi-classiques, les étapes des courses à étapes... Ici, ce sera limité. Si vous finissez 4e de Gand-Wevelgem, il en reste quelque chose, 4e d'une étape du Tour, on oublie vite."
Et pourtant, vous êtes là.
"Oui, je ne regrette pas, je voulais le faire. C'est une expérience supplémentaire. Il n'y a aucun sponsor, aucun coureur, aucun journaliste peut-être qui ne veuille être ici. Je suis de ceux qui pensent qu'on n'est pas vraiment coureur si on n'a jamais fait le Tour. Beaucoup de personnes considèrent les choses comme ça. Parfois, je parle de mon métier à des gens qui ne connaissent rien au cyclisme, et leur première question est : Tu as déjà couru le Tour ? Quand je leur réponds par la négative, je vois bien qu'ils me regardent avec condescendance, voire pitié, l'air de dire : Il raconte qu'il est coureur mais ce n'est pas un vrai coureur. Dans trois semaines, j'espère que je pourrai ajouter cela à ma carte de visite..."
Comment trouvez-vous le Tour, même si la course n'a pas encore débuté ?
"On m'avait prévenu, on m'avait dit : Tu verras, le Tour, c'est démesuré, aucune autre course ne lui ressemble. En effet, c'est un gros cirque. J'ai couru le Giro (il avait dû abandonner), ça n'a rien à voir, tout est surdéveloppé ici, la pression médiatique est énor me. Et encore, pour le moment, c'est calme certainement. Prenez le con trôle médical, c'est du show. Les docteurs contrôlent votre coeur, prennent votre tension, on vous pèse, on vous mesure et vraisemblablement, vous êtes assez bon ensuite que pour passer au-dessus des montagnes. Mais il y a sans doute un bon côté à cette médiatisation. Si vous faites un petit résultat, vous serez automatiquement assuré d'avoir une énorme publicité en retour. Mais bon, on m'a prévenu aussi, il semble qu'au Tour, ils roulent vite..."
Vous avez peur ?
"Non ! Je ne suis plus un gamin, hein (NdlR : il a 27 ans). Mais ne comptez pas sur moi pour aller risquer ma vie dans un sprint massif. Ça roule peut-être vite mais il ne faut pas exagérer, et puis, si moi je dois m'inquiéter, alors, beaucoup d'autres peuvent le faire aussi..."
Quelles seront vos ambitions ?
"C'est un peu un saut dans l'incon- nu. Je vais chercher à gagner une étape mais tout le monde pense à ça."
Vous avez déjà coché certains jours sur votre agenda ?
"Oui, les premières étapes, je ne peux les laisser passer parce qu'après la montagne, je ne sais pas dans quel état je serai. Mais ne comptez pas sur moi pour me glisser dans une échappée en début d'étape. Si j'attaque, ce sera pour gagner, pas pour me faire voir, mê me si je sais que les chances seront minimes. Et puis, j'ai tracé une énorme croix sur le premier jour de repos, à Tignes (NdlR : le lundi 16 juillet). Car Evy (Evy Van Damme, son épou- se, qui vient d'arrêter sa carrière) viendra me voir ! Elle va rester trois jours et ensuite, la famille et les amis viendront aussi ! "
Le Tour est long, très long sans doute, pour un coureur qui sait qu'il n'a que peu d'occasions de briller.
"Sans doute mais quand j'aurai le temps, je surferai sur Internet, pour voir ce qui se passe, apprendre les nouvelles du cyclisme, et je posterai aussi de temps en temps des choses sur mon site. Et puis, j'ai emporté mon MP3 et ma Playstation. La musique, c'est idéal pour oublier tout le reste et jouer un match de foot sur mon ordi, j'aime ça aussi. "
Quels souvenirs avez-vous du Tour, quand vous étiez enfant ?
"Je me souviens qu'avec mon frère aîné, nous regardions toujours le Tour à la télévision, surtout les étapes de montagne. Après, nous jouions, avec des billes et des coureurs en plastique et, de temps en temps, nous faisions des courses dans le quartier. Mes parents n'aimaient pas, ils trouvaient ça trop dangereux. C'est vrai que j'ai pris quelques pelles. Je me souviens d'une fois où j'avais gagné. En passant la ligne, j'ai levé les bras et arrêté de pédaler, en oubliant que j'avais un pignon fixe. Je suis passé par-dessus mon guidon."
Vous aviez des favoris ?
"Pas spécialement, il n'y avait pas de nombreux posters de coureur sur les murs de ma chambre d'enfant. Mais j'ai toujours apprécié les Américains. Le Tour qui m'a le plus frappé, comme gosse, c'est celui du duel LeMond-Fignon (1989), j'avais neuf ans. Tous les jours, les choses changeaient, il y avait un chassé-croisé permanent et, au final, il y a ces huit secondes après le chrono des Champs-Elysées. J'ai aussi toujours été marqué par Eric Vanderaerden, puis, plus tard, par Johan Museeuw."
À l'époque déjà, vous songiez à devenir coureur ?
"Pas vraiment. Moi, mon sport, c'était le foot. Ce l'est encore, autant que le cyclisme."
C'est-à-dire ?
"Je jouais chez moi, dans l'équipe de mon village, Bevel, puis j'ai été transféré à Rita Berlaar qui, à l'époque, évoluait en division 3. J'y ai joué jusqu'en scolaires, comme meneur de jeu, juste en soutien des attaquants."
Vous êtes supporter du Lierse alors, c'est le club de votre région ?
"Non. Je suis supporter d'Anderlecht. Depuis toujours, mê- me si je me suis un peu calmé en prenant de l'âge. Quand j'étais plus jeune et qu'ils perdaient, j'étais abattu com- me quand je perds une classique aujourd'hui ! Heureusement, c'est Anderlecht, et ça n'arrivait pas trop souvent (il rigole)... Cet hiver, je suis allé les voir à Lens, en Ligue des Champions contre Lille, avec des copains. Et puis, le cousin de ma femme, Jelle Van Damme, joue chez les Mauves, alors, forcément, j'ai un peu plus de liens avec l'équipe, encore."
Pourtant, votre père avait été coureur, non ?
"Oui, chez les cyclosportifs. Il a couru jusqu'en 1996 et je l'ai suivi à toutes ces courses. Puis, ce fut l'inverse. J'avais d'abord fait deux saisons chez les aspirants, avant d'arrêter pour le foot. Mais en 1996, mon père a eu un petit problème cardiaque, rien de gra- ve mais le médecin lui a conseillé d'arrêter. Il venait de s'acheter un tout nouveau vélo, un Benotto, si je me souviens bien. Avant de le revendre, il m'a demandé si cela m'intéressait de le recevoir et de recommencer à courir. J'avais seize ans, j'étais débutant, deuxième année. On était en mai, la saison de foot venait de se terminer. J'ai dit oui et à la huitième course, je remportais mon premier succès. Je n'ai plus rejoué pour Rita Berlaar, vous connaissez la suite. Me voilà à Londres, attendant le prologue de mon premier Tour de France. Non sans une petite pointe de fierté, d'appréhension et d'émotion..."
© La Dernière Heure 2007