Lucas Bourgoyne : « Montrer le chemin aux autres Américains »

Crédit photo Freddy Guérin - DirectVelo

Crédit photo Freddy Guérin - DirectVelo

Il est l’une des arrivées plutôt originales de la N1 en cette saison 2022. Après une année dans la Continentale américaine d’Axel Merckx, Hagens Berman Axeon, la mayonnaise n’a pas pris et Lucas Bourgoyne a atterri en France, du côté de Locminé, pour rejoindre WB-Fybolia Morbihan. À l’occasion de la journée de présentation, fin janvier, l’Américain, qui ne parle pas encore un mot de français (ou presque), est un peu perdu au milieu d’un brouhaha dont il ne comprend pas grand-chose. Mais sa mentalité à l’américaine, sourire jusqu’aux oreilles, bon client, et très extraverti fait mouche. Le garçon de 20 ans n’a pas peur de l’adaptation. Sur le vélo non plus, puisqu’il a décroché son premier podium pour son deuxième jour de course, aux Plages Vendéennes. Au moment de la présentation de la N1, puis à l’arrivée à Sainte-Flaive-des-Loups, le garçon au gabarit de sprinteur s’est entretenu avec DirectVelo. Pour ses premiers pas dans le peloton amateurs, mais surtout ce départ des États-Unis vers la France, sa découverte de la culture française, la barrière de la langue, et tout ce qui attise sa curiosité dans l’Hexagone. Lucas Bourgoyne fait le tour de cette découverte qui l’attend.

DirectVelo : Tu n’as pas mis longtemps à te montrer en France !
Lucas Bourgoyne : C'était un sprint chaotique, ça frottait beaucoup. Il y a eu une grosse chute à 500 mètres de l'arrivée, je suis passé à travers, et ensuite c'était à bloc jusqu'à la ligne. Je ne suis pas déçu, je suis venu pour faire de mon mieux. Mais pour moi qui viens des Etats-Unis, cette course est folle. C'est ici qu'il y a des courses et des coureurs incroyables, j'ai des choses à apprendre. Je ne m'attendais pas être aussi bien dès les premières courses. J'étais en position d'apprentissage car les courses ici sont bien plus difficiles qu'aux Etats-Unis, plus rapides. Je ne pensais pas me classer 3e au bout de ma deuxième course. Maintenant, je veux gagner.

Tu as l’air déjà très en forme…
Je me sens assez bien. Cette saison, tout va comme sur des roulettes, mentalement et physiquement. Je commence à être en forme et je pense que le stage en équipe viendra compléter ça. En préparation hivernale j’ai fait beaucoup d’exercices de soulevé de poids pour prendre de la masse, ce qui est le propre du sprinteur. J’espère qu’on fera une bonne saison. On verra ce qu’on peut faire.

« MON CV A CIRCULÉ ENTRE LES DIFFÉRENTS DIRECTEUR SPORTIFS EN FRANCE »

Pourquoi as-tu choisi de venir en France ?
Le cyclisme français est connu pour produire un grand nombre des meilleurs cyclistes dans le monde. Quand j'ai décidé de faire de la compétition, je savais que si tu veux courir à haut niveau, il faut venir en Europe. L’année dernière je n’ai pas fait assez de jours de course pour progresser. J’ai parlé avec Léo (Moréac) et Quentin (Demaslay). Quand ils ont mentionné qu’on aurait presque cent jours de course par an, j’ai su qu’il fallait venir ici pour savoir si je pouvais avoir le niveau pour continuer dans le cyclisme. Ce sera décisif pour moi.

Tu n’as fait qu’une année à Hagens Berman Axeon, tu as compris que ça ne fonctionnerait pas ?
À la fin de la saison dernière, j’ai commencé à envoyer mon CV et il a circulé entre les différents directeurs sportifs en France. Mon CV a fini dans les mains de Léo et il s’est montré intéressé. Il me tarde de vivre cette année qui commence. L’année dernière, c’était bien quand même. C’était juste un environnement très différent, mais je leur souhaite tout le meilleur pour la saison 2022.

« LE PLUS DUR EST DE VOIR SI LE MENTAL PEUT TENIR »

As-tu subi un choc, peut-être culturel, en arrivant en France ?
Même si j’étais dans une grosse équipe l’année dernière, c’était cool d’arriver ici parce que les Français sont très accueillants. Quand je suis arrivé, on a fait des rencontres avec des équipes de jeunes cyclistes, et en ville quand les gens voient le maillot de l’équipe ils sourient, nous saluent. On se sent un peu comme une petite star dans la ville. C’est assez cool ici. Même si le climat est assez rude, c’est très différent des Etats-Unis (sourire). Plus je m’adapterai, plus j’essaierai d’apprendre le français, et meilleur je me sentirai ici. Je trouverai des gens au fur et à mesure, un peu comme toi, qui parlent anglais et qui puissent m’aider un peu (rires). J’aime beaucoup être ici.

Où vis-tu ? Vas-tu passer toute la saison en France ?
Je vis à Locminé. Quand le calendrier le permettra, je ferai sûrement des allers-retours entre Locminé et Gérone. Je m’entrainerai et j’ai des amis là-bas. En plus c’est beau là-bas et il fait plus chaud qu’ici (sourire). Mais le froid va me renforcer et je vais pouvoir essayer d’atteindre le niveau supérieur. C’est pour ça que je suis ici. Je n’y suis pas habitué mais c’est bien.

Tu n’as pas peur d’être atteint moralement par le fait de quitter ton cadre pour changer complètement de vie ?
Ma famille est à Austin (Texas). C’est sûr que pour les Américains, le plus dur est de voir si le mental peut tenir. Parce qu’on doit quitter notre environnement, notre famille et s’adapter. Par exemple, ça demande des capacités d’adaptation de rester à table au diner, et de ne pas pouvoir parler aux gens parce qu’on ne parle pas français. C’est dur, mais après quelques jours les gars commencent à s’ouvrir et beaucoup connaissent un peu d’anglais. Je commence à capter quelques-uns des trucs qu’ils disent aussi. Plus je resterai, plus je m’adapterai et plus ce sera facile de vivre ici.

« JE SOURIS ET JE FAIS COUCOU QUAND JE NE COMPRENDS PAS CE QU’IL SE PASSE (RIRES) »

D’autres Américains sont passés par la N1, même dans un passé récent, as-tu pour ambition de montrer la voie à d’autres Américains pour venir en France ?
Je ne suis pas le premier Américain à venir en France, loin de là. Mais je pense que je suis peut-être le seul Américain en N1 cette année (en réalité, il y a aussi Jonah Killy à l’AVC Aix-en-Provence, NDLR). Je veux vraiment montrer que c’est possible. Tu dois faire des efforts, t’adapter, et à partir de là trouver les solutions aux problèmes rencontrés. En combinant ces trois choses et en gardant la tête haute sans prêter attention aux difficultés, je peux espérer montrer le chemin aux autres Américains qui, pour l’instant, n’attirent pas les grosses équipes. Le système français développe des coureurs de haut niveau. Chaque saison, des coureurs partent en direction du WorldTour ou en ProTeams. C’est ce que j’espère de cette saison. Je veux trouver ma place dans le cyclisme.

Tu n’avais jamais posé tes roues en France ?
J’ai déjà traversé la France pour aller sur des courses mais je n’ai jamais vraiment couru ici. Je ne pense pas avoir passé un seul jour ici par exemple. J’ai beaucoup couru en Belgique depuis mes seize ans. L’année dernière j’ai passé beaucoup de temps là-bas avec l’équipe nationale. J’ai aussi couru en Italie, en Espagne. Un peu partout sauf en France en fait (rires). Mais maintenant je suis là. Il y a une grosse différence entre ce que les gens disent et la vérité. Les gens sont très gentils ici et j’espère que ça continuera comme ça. En attendant, je souris et je fais coucou quand je ne comprends pas ce qu’il se passe (rires) ! Je crois que c’est la meilleure chose à faire. Être heureux et profiter de l’énergie positive des gens. Et je trouverai ma place.

« ON NE M’A JAMAIS EMMENÉ POUR UN SPRINT PAR LE PASSÉ »

Tu viens avec des objectifs déjà en tête ?
La réponse quant aux objectifs c’est toujours « je veux gagner ». Et je veux beaucoup gagner. Que ce soit pour moi ou pour quelqu’un de l’équipe. Je pense qu’ils vont m’aider pour les sprints et le reste aussi. Je n’ai jamais pu me reposer sur une telle structure. Je vais apprendre à vraiment faire confiance aux cinq ou six autres gars qui m’accompagnent. On ne m’a jamais emmené pour un sprint par le passé. Je n’ai fait que des sprints de mon côté. En connaissant les gars et quand les résultats suivront, ce sera facile de leur faire confiance. Quand ça ne sera pas mon jour, je leur ferai de la place aussi. J’apprécie tout autant de tenter ma chance que de tout donner avant une montée pour replacer les gars. Je veux tout faire pour qu’ils aient le plus de chances de réussir. Si on arrive à faire ça, ça sera une belle saison.

Connais-tu déjà quelque chose de la France ?
Je ne suis arrivé que fin janvier ici (trois jours après la présentation d’équipe, NDLR). Je ne connais que le circuit Bernard Hinault (il cherche ses mots, mais semble faire référence à la Côte de Cadoudal et le circuit qui porte le nom de l’ancien vainqueur du Tour de France, vainqueur du prologue du Tour 1985, NDLR). Tout le monde parle de Manche-Atlantique ici comme de la grosse course du coin (avec la montée de Cadoudal à sept reprises, NDLR). Si je suis en forme je peux faire quelque chose dans cette montée parce que ce n’est pas très long. On profite de février pour mettre du rythme dans les jambes pour aborder mars. Je ne suis pas un pur sprinteur mais je me débrouille dans un peloton. Mais je peux aussi passer les bosses de 5-10 minutes. J'aime sprinter après une course dure sous de mauvaises conditions. J'apprends à courir sous la pluie. Je ne sais pas exactement quel type de coureur je suis mais la seule chose dont je suis sûr, c'est que je ne suis pas un rouleur (sourire).

« AUX ÉTATS-UNIS, TOUTES LES COURSES SONT DES CRITÉRIUMS »

Comment vois-tu le cyclisme aux États-Unis ? Viens-tu chercher de nouvelles façons de courir ?
Aux États-Unis, on a cent jours de course donc j’en fais peut-être soixante. Mais c’est facile de faire ça parce que toutes les courses sont des critériums, ça dure une heure maximum. Il y a beaucoup de spectateurs sur certaines courses. Ici, ce sera des vraies courses sur route. Si j’ai soixante jours de course, ce sera des courses de quatre heures où il faut vraiment être à fond et tout donner. L’année dernière j’avais fini la saison sur des critériums, et cette année il me tarde de ne faire que des courses sur route vraiment. Mes jambes ont besoin de faire des kilomètres. Je pourrai bénéficier de cette vitesse que j’ai connue dans les critériums. Je dois juste faire attention à pouvoir tenir sur de longues distances.

Qu’attends-tu de ton passage en France, et qu’attendent tes DS de toi ?
D’après ce que j’ai compris en parlant avec le directeur sportif, on attend de moi que je fasse beaucoup de sprints. Donc s’il y a des étapes plates on me verra sûrement. J’espère aussi qu’en étape de montagne je pourrai me montrer un peu. Je vais à Aix pour la Coupe de France. Les deux mois prochains, je courrai très souvent les week-ends. Je continue aussi d'apprendre le français. Pour l’instant, en français je connais « allez, allez, allez » ou « à gauche, à droite », ce sont les choses qu’il faut savoir pour survivre en course (rires) ! Je suis tellement content d'être ici. Pour moi et l'équipe, l'objectif est de gagner le plus possible. Et puis pourquoi ne pas envisager des sélections avec l'équipe nationale... peut-être.

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