Cyclisme. Arnaud Démare : « Le côté psychologique est devenu primordial dans le vélo »

Dans un livre sans détour sur le cyclisme, Une année dans ma roue (Talent éditions), Arnaud Démare, sprinteur de Groupama-FDJ, parle de tout, et notamment de l’évolution de son sport où les « bonnes jambes » ne suffisent pas toujours à tout régler. Entretien

À 30 ans, le Picard fait partie du gotha du sprint mondial. Fidèle à l’équipe Groupama-FDJ depuis ses débuts, il a beaucoup gagné sur les grands tours, mais aussi sur des classiques, et notamment en 2016 à Milan­-San Remo. Souvent sous les feux de la rampe une fois sur sa monture, il était, jusqu’à la sortie de son livre Une année dans ma roue (Arnaud Démare avec Mathieu Coureau, Talent éditions, 304 pages, 19,90 euros), très discret sur son quotidien de champion (entraînements, stages, vie de famille, etc.). C’est chose réparée.

Vous qui n’êtes pas un grand bavard en général, pourquoi vous êtes-vous livré à cet exercice du livre dans lequel vous donnez beaucoup de votre quotidien et de vous-même ?

Arnaud Démare Cela a demandé beaucoup d’implication de ma part. En général, je suis plutôt pudique. En fait, l’idée de me livrer ainsi est venue de la demande du journaliste de Ouest-France Mathieu ­Coureau. Sur huit semaines et sous forme de chroniques, on a échangé régulièrement au téléphone. À chaud, je lui délivrais mon ressenti. Finalement, cela a beaucoup plu aux lecteurs et nous nous sommes dit : « Pourquoi ne pas en faire un livre ? »

Deux années avec cette pandémie, des annulations de course… Qu’avez-vous retenu de cette période ?

Arnaud Démare À la différence de certaines équipes, nous avons eu la chance d’avoir des sponsors très fidèles. Nous n’avons pas connu de baisse salariale. Même si cette pandémie nous a affectés, notre sport a eu cette chance de reprendre très vite. Après, cela a amené beaucoup de contraintes, avec notamment des tests PCR en permanence et des gestes barrières à toujours respecter.

Dans votre livre, vous évoquez souvent le doute, et notamment à l’entraînement. Qu’est-ce qui peut le motiver ?

Arnaud Démare Il y a toujours cette nécessité de se remettre en question. Pour un sprinter, il faut en permanence chercher le moyen de réussir, d’être le premier. La peur de ne pas y arriver est la clé de ta progression. Il faut savoir se faire une image précise de soi-même. Si mon livre avait porté sur l’année 2020 et non 2021, je n’aurais pas eu beaucoup à dire sur le sujet, car j’ai beaucoup gagné cette année-là. Mais voilà, 2021 ne s’est pas passée comme je l’espérais. Les doutes et les peurs ont été présents toute la saison. Les succès n’ont pas été au rendez-vous.

Icon QuoteFinalement, cela permet de montrer la fragilité d’un athlète de haut niveau.

Comme je voulais être honnête avec moi-même et le lecteur, je n’ai pas hésité à parler de ces échecs. Finalement, cela permet de montrer la fragilité d’un athlète de haut niveau. Nous n’avons pas des vies linéaires. Il y a des hauts et des bas. Tu loupes un sprint, deux sprints, et le doute s’installe et ne disparaît pas la semaine suivante, lorsque tu reprends l’entraînement. Dans ce cas de figure, il faut surtout ne rien lâcher, car les courses s’enchaînent. Il y a quelques semaines, ma victoire sur Paris-Tours l’a prouvé. Ne jamais rien lâcher !

Dans cet ouvrage, vous abordez très souvent l’autonomie du coureur cycliste pour la gestion de l’entraînement et du quotidien. Le fait qu’il n’y ait pas de structure permanente, de lieu fixe, comme au football, vous manque-t-il ?

Arnaud Démare Ce n’est pas quelque chose que je regrette, mais je voulais en parler. Mon emploi du temps, mes entraînements, je les gère tout seul, avec évidemment le staff, mais à distance. Personne ne vient me chercher le matin à 10h30, pour me dire : « Allez on part s’entraîner ! » On est très bien structuré au sein de l’équipe, mais, lorsque l’on est à la maison, nous sommes parfaitement autonomes. Chez moi, en Picardie, je suis à la tête d’une petite entreprise, où je dois savoir m’entourer des bonnes personnes. Pour le côté mécanique, je fais tout, tout seul. Lors de mes stages personnels, billets d’avion, hôtels, planning, c’est à moi de gérer. Pour les soins, c’est pareil.

Autonomie hors course et hors stage d’équipe, comment dès lors constitue-t-on ce fameux train, ces coureurs qui travaillent pour vous amener à la victoire ? Il faut beaucoup de temps ?

Arnaud Démare La priorité dans un train, c’est la confiance que tu dois obtenir de celui qui est devant toi, et ainsi de suite. En stage, on trouve certains automatismes, mais c’est surtout en course, avec ses aléas, que nous apprenons le plus. Reste que tout cela fluctue aussi en fonction de l’état de forme de chacun. Pour réussir, il faut que tous ceux qui le composent soient au top au même moment. Il suffit de pas grand-chose pour que cela déraille. La démotivation de l’un, les mauvaises jambes de l’autre. Il est très important d’avoir un chef de file, un autre qui bouche les trous dans les derniers kilomètres, et le finisseur.

Dorénavant, vous semblez vouloir vous détacher un peu plus de ce train. C’était une révolution nécessaire ?

Arnaud Démare J’ai été formaté ces trois ou quatre dernières années avec cette idée d’avoir des coureurs pour m’emmener au sprint. Mais, comme je le disais, il suffit d’un grain de sable pour que tout se dérègle. À trop vouloir les suivre, je me retrouve parfois dans l’erreur avec eux. J’ai fini par perdre cet instinct qui était le mien auparavant, cette liberté du sprinteur qui peut seul trouver l’ouverture. C’est ce que j’ai rectifié en fin de saison, et cela a marché à Paris-Tours.

Le côté psychologique et le soutien au sportif dans ce domaine font aussi partie des choses qui semblent vous intéresser ?

Arnaud Démare Évidemment, car, même si l’on pense que seul on peut réussir, cela n’est plus tout à fait vrai. Un soutien psychologique est de plus en plus nécessaire, car les exigences ont augmenté, le niveau de performance aussi. Aujourd’hui, le peloton est vraiment très homogène et, si l’on veut faire la différence, la tête va jouer un rôle bien plus important que par le passé.

Parlons dopage, sujet que vous effleurez. L’utilisation des cétones – qui augmentent de 15 % la performance des sportifs en état de surentraînement – par certaines équipes interroge…

Arnaud Démare Bon, d’abord, il faut dire que tout le monde s’entraîne de mieux en mieux. Mais après, ce que je veux dire, c’est que nous devons tous être au même niveau. Or, les cétones faussent la donne. Leur utilisation par quelques formations – produit qui n’est pas considéré comme dopant par l’Agence mondiale antidopage – interpelle. Les équipes, comme la nôtre, qui sont membres du MPCC – Mouvement pour un cyclisme crédible – interdisent ce produit. De fait, il existe une inégalité que l’on constate en course. Certains coureurs sont capables de répéter des efforts très violents sur plusieurs jours. C’est un peu surprenant, vous ne trouvez pas ?

Icon Education “Une année dans ma roue”, Arnaud Démare avec Mathieu Coureau, Talent éditions, 304 pages, 19,90€.

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