La saison 2021 de l’Équipe cycliste Groupama-FDJ s’est achevée le 17 octobre dernier, avec la victoire de Stefan Küng sur le Chrono des Nations. La vingt-quatrième d’une année faite de hauts et de bas, et dont Yvon Madiot a accepté de dresser le bilan avant d’entrer de plain-pied dans la préparation de la saison suivante. Sans oublier de commenter brièvement le recrutement pour 2022.

Yvon, si tu devais évaluer la saison de l’équipe par une note, quelle serait-elle et pourquoi ?

Je dirais 6/10, soit juste au-dessus de la moyenne. Pourquoi ? J’aurais pu dire 5/10, mais j’ajoute un point car on a tout de même gagné beaucoup de courses. En revanche, je ne peux pas mettre plus car nous n’avons pas gagné sur les Grands Tours. Le Tour de France a été moyen, et même s’il y a eu de bonnes choses, on pensait gagner au moins une étape et ça n’a pas été le cas. Je pense qu’on ne mérite pas plus que 6/10. Il nous manque vraiment cette victoire sur un Grand Tour. On dit souvent que la Vuelta permet de sauver un peu le bilan, mais on n’a pas réussi non plus. Je mets légèrement au-dessus de la moyenne, mais cela reste une note plutôt basse et je pense qu’on ne peut pas aspirer à plus.

« On va se remettre en question »

Un mois après le terme de la saison, quel sentiment prédomine ?

Celui qu’il manque quelque chose : cette fameuse victoire qui marque, qu’on retient. Qu’elle soit sur le Tour, sur les Classiques… Peut-être même qu’il ne nous manque que LA victoire. Une étape sur le Tour et je pense qu’on aurait réfléchi différemment. Il y a ce goût d’inachevé, malgré tout ce qui a été réalisé à côté. Il y a une certaine frustration. Pour moi, c’est extrêmement clair : la saison n’est pas réellement réussie. Il y a évidemment des échecs. Le Tour en a été un. On en attendait beaucoup, on pensait avoir bâti une équipe pour être en position de gagner sur beaucoup de terrains. Stefan termine deuxième d’une étape, battu par le dernier coureur à s’élancer. Ça ne tient à pas grand-chose. Je le répète : il nous manque cette victoire dont on se rappelle. Cette victoire dont on se rappelle, c’est celle qui vous fait passer l’hiver. On ne l’a pas, et ça nous fait donc passer l’hiver dans un état d’esprit de remise en question, de revanche. Je ne me dis pas « ça ira mieux demain ». Non. Ce n’était simplement pas comme on l’espérait et on va travailler pour que ça ne se reproduise pas, et que ça s’améliore rapidement dès la nouvelle année.

Le bilan brut est-il surtout décevant au regard des ambitions nourries ?

On juge effectivement ce bilan moyen car on parvenait régulièrement à gagner sur les Grands Tours ces dernières années. Cela étant, il ne faut pas tout noircir non plus. Beaucoup d’équipes pourraient se satisfaire de vingt-quatre victoires dans une saison. Néanmoins, nous avons un tel niveau d’organisation, de telles qualités et compétences parmi le staff et les coureurs, un tel investissement, qu’on ne peut pas complètement se satisfaire d’une saison comme celle-ci. Nos partenaires nous prodiguent aussi tous les moyens pour réussir. De ce point de vue, nous n’avons pas eu les résultats à la hauteur de nos compétences et de ce que nous mettons en place. Il y a un petit décalage, il manque un petit quelque chose. On y travaille, on a des pistes de réflexion, de progression, on a effectué de bons débriefings. On va se remettre en question, tous, à tous les niveaux, pour aller chercher cette ou ces victoires qui marquent et qui font la réussite d’une saison.  

Comment expliquez-vous ce manque de réussite ?

Dans un premier temps, je dirais qu’on n’a pas pu aborder cette saison comme on aime le faire, avec un grand rassemblement en décembre. La situation sanitaire nous a contraints à nous séparer en différents groupes. Ce rassemblement, où on se retrouve tous, où l’on peut discuter, nous a vraiment manqué, en particulier au staff. Cela est beaucoup revenu lors du débriefing. Peut-être sommes-nous ainsi entrés avec un peu moins de maîtrise dans cette saison. Avec l’absence prolongée de Thibaut, nous n’avons pas toujours pu aligner les équipes que nous souhaitions. C’était aussi un vrai problème, même si on ne peut pas tout mettre sur le compte de cette longue indisponibilité. Les autres coureurs doivent aussi être en capacité d’assurer. Il nous manquait Thibaut, certes, mais on s’est aussi aperçus qu’on n’avait pas non plus pléthore de coureurs capables de gagner à très haut-niveau. Sur le Tour, on a pratiquement perdu Arnaud après trois jours. Ça a évidemment gâché nos plans. Une fois qu’il était parti, on savait que nos opportunités de victoire étaient fortement réduites. Sur d’autres courses, on a aussi vu notre difficulté à performer au plus haut-niveau. Quand nos leaders ont des soucis, on a du mal à tenir la baraque.

« Les coureurs n’ont rien lâché »

En début d’année, Marc disait vouloir « être en situation de jouer la victoire à chaque départ de course ». Est-ce que cette volonté a été assouvie ?

Non, clairement. Il y a certaines courses où l’on savait, au départ, qu’on avait peu de chances de gagner. C’est déjà se tirer une balle dans le pied, même si on y croit toujours, qu’on se dit qu’il y a forcément une solution, si on part de loin… Il nous manquait quelques winners. On sait aussi qu’il y a de la concurrence, qu’on ne peut pas recruter qui on veut, pour des raisons financières ou sportives. On ne peut pas prendre les vingt meilleurs coureurs du monde comme le font certaines équipes. Sans parler de leaders, on s’est rendus compte qu’il nous manquait des coureurs capables de gagner quand le leader est en délicatesse. On a gagné relativement régulièrement, sans gros trous dans le calendrier, mais disons qu’il n’y a pas eu d’euphorie. On gagnait fréquemment, mais pas toujours au niveau que l’on espérait. David Gaudu a par exemple réalisé une belle série entre le Pays Basque et les Ardennaises, mais on n’a pas su le répéter.

Avez-vous ressenti le besoin de resserrer les rangs à un certain moment ?

Il y a effectivement eu une remobilisation après le Tour de France. Nous n’avions pas beaucoup de solutions pour inverser la tendance, mais notre travail était de faire en sorte que les coureurs soient conscients qu’on était partis pour une saison compliquée, mais qu’il ne fallait surtout pas baisser les bras. Le message n’était pas « bougez-vous, on a besoin de résultats ». Il était plutôt « C’est difficile, mais ne lâchez rien, allez-y, il faut y croire ». Nous n’avions pas le couteau sous la gorge, mais nous étions dans une situation où il ne fallait pas craquer. Les coureurs en étaient complètement conscients aussi. Après le Tour, on a aussi voulu changer un peu notre approche. Il fallait être entreprenant, tenter des choses. Ce sont vraiment les consignes qui ont été passées dans chacun des groupes. On ne voulait surtout pas que ça finisse en eau de boudin et que les gars perdent le moral. On leur a dit « on continue notre investissement auprès de vous, et vous, ne lâchez rien ! ». Et ils n’ont rien lâché.

Est-ce l’un des aspects satisfaisants de cette saison ?

Oui, car cela prouve bien que nos coureurs se sont bien battus. Le message était simple à faire passer, mais fallait-il encore qu’il soit entendu, qu’il soit mis en application, qu’il y ait une réaction et des réponses à ces demandes. On aurait très bien pu avoir les mêmes recommandations, le même discours, mais des coureurs qui sombrent. Cela aurait été autrement plus grave.

« Les perspectives sont prometteuses »

Quelles sont les autres satisfactions ?

Il y en a plusieurs. Il y a celle de David, qui arrive au niveau auquel on l’attendait, avec cette victoire d’étape sur le Tour du Pays Basque, sa troisième place sur Liège-Bastogne-Liège, ses performances sur le Tour… C’est un point important car on sait qu’on peut compter sur lui sur les plus grandes courses, alors qu’il arrive gentiment dans ses plus belles années. Il a eu une vraie régularité et nous a apporté une visibilité toute l’année. Au rang des points positifs, on a évidemment le retour de Thibaut. C’est assez simple à souligner, mais il est tout aussi important pour les résultats, les victoires, qu’il l’est pour le groupe en général et la motivation qu’il génère. Arnaud a tout de même gagné neuf fois, et sa victoire sur Paris-Tours nous a fait un bien fou. Il y a aussi la constance d’un Stefan Küng, à la fois dans les résultats, mais aussi dans son engagement auprès de l’équipe. C’est un coureur sur lequel on peut s’appuyer. C’est une valeur sûre et un moteur, au sens propre comme figuré, pour cette équipe. C’est évidemment un coureur qui s’engage énormément sur les contre-la-montre, mais qui s’engage aussi dans le travail pour les leaders, pour le développement du matériel, pour la progression de l’équipe au global. Il est déjà devenu un point d’ancrage vraiment important pour nous. Nos cadres continuent de progresser, et on en a ‘’récupéré’’ un… On devrait alors se retrouver dans des situations plus confortables l’an prochain.

Au rang des satisfactions, on peut aussi, entre autres, mentionner le maillot rose d’Attila Valter, le podium de Jake Stewart sur l’Omloop Het Nieuwsblad…

Je rangerais ces performances dans la catégorie des espoirs. Elles nous rassurent dans l’idée qu’on possède un vivier de jeunes qui devrait être performant très rapidement. Cela nous amène d’ailleurs au sujet de la Conti, qui fait un excellent travail et dont on commence à profiter pleinement. Je crois qu’on peut presque rêver à effectuer, d’ici deux ou trois ans, des recrutements quasi-exclusivement depuis la Conti. Les perspectives sont prometteuses.

« On se dirige vers une intensification des échanges avec la Conti »

L’intégration de la Conti dans le fonctionnement de la WorldTour a-t-elle aussi été une réussite ?

Absolument. La gestion des deux équipes et des montées/descentes a été très intéressante et va encore être développée. Quelques coureurs de la WorldTour ont aussi fait le chemin vers la Conti et ont complètement joué le jeu. C’est aussi important que dans l’autre sens. Quand vous proposez à un jeune de 19-20 ans de venir courir avec la WorldTour, c’est forcément motivant. On pourrait penser que dans l’autre sens, ça l’est un peu moins, mais Sébastien et Miles ont vraiment ressenti le bien que ça leur faisait, et le bien que ça faisait à la Conti. Notre plus gros travail, étant donné qu’on se dirige vers une intensification de ces échanges, sera de bâtir un vrai programme. Ce serait une erreur et irrespectueux envers la Conti d’appeler les jeunes pour boucher des trous, même si ça peut arriver occasionnellement. Le plus judicieux et le plus bénéfique est de construire un programme afin qu’il soit établi que ces jeunes viennent courir avec la WorldTour à des dates précises. On a déjà commencé à le faire cette année. Dans 80% des cas, des places étaient réservées. Les coureurs de la Conti étaient parfois prioritaires par rapport aux coureurs de la WorldTour. Si on veut voir la plénitude de leurs moyens, il faut travailler avec les dirigeants de la Conti pour établir un programme le plus cohérent possible. Pour que ce soit productif, pour nous mais surtout pour eux, il faut que ce soit planifié. On doit les mettre dans de bonnes conditions pour savoir, car ils sont de potentielles recrues pour le futur.

Comme Lewis Askey le sera cet hiver…

Dès le mois de mai, on avait pris la décision de le faire passer en WorldTour. Quand je l’ai appelé pour le lui dire, il m’a répondu « non, je ne veux pas car je n’ai pas gagné de course chez les Espoirs ». J’étais un peu surpris, mais je lui ai dit que ça ne m’importait pas. Moi, je lui proposais un poste dans l’équipe des Classiques qu’on souhaite rajeunir. Et il a compris. On ne s’attache pas qu’aux résultats. Lewis est venu faire quelques courses avec nous en Belgique, et on l’a trouvé extrêmement performant. Mais encore une fois, cela a bien marché du fait que c’était prévu de longue date dans le programme de Lewis, car son entraîneur avait besoin de le préparer au mieux pour ces courses-là.

« Michael Storer, le profil qu’on recherchait »

Lewis Askey est le seul coureur de la Conti à rejoindre la WorldTour. Il était trop compliqué de faire de la place pour tout le monde ?

On était dans une année avec peu de départs, et on ne peut pas non plus prendre que des jeunes de la Conti, car il faut aussi amener un peu d’expérience et de résistance pour le WorldTour. Je pense qu’il y aura plus d’ouvertures l’année prochaine. On a en plus réduit l’effectif de 30 à 28 coureurs. Il y a une abondance de talents au sein de la Conti, et tant mieux. On ne pourra pas toujours les garder avec nous, c’est logique et cela fait partie du jeu.

Quelle a été votre approche pour le recrutement ?

On recherchait deux profils : grimpeurs et sprinteurs. Le profil grimpeur est extrêmement prisé et recherché. On a eu deux belles opportunités qui se sont conclues assez rapidement car on avait en face de nous des coureurs qui avaient envie de venir. Pour le cas de Michael Storer, son agent nous a appelé et nous a dit qu’il voulait venir chez nous et travailler avec nous. C’est le profil qu’on recherchait, à savoir le grimpeur capable d’accompagner nos leaders très loin, et quand ils ne sont pas là, de performer individuellement. C’est ce qu’il a montré dans son ancienne équipe. On a aussi eu le cas de Quentin Pacher, avec qui on avait déjà discuté il y a deux ans. Il avait envie de venir, on avait envie de le recruter, car c’est un coureur offensif mais aussi perfectible. Il a un cheminement régulier et j’ai découvert lors de son entretien quelqu’un de réfléchi, posé, d’une certaine maturité et qui a une bonne connaissance de son métier. On est sûrs d’être en présence d’un bon coureur, qui peut palier à divers rôles. On espère aussi qu’il continuera à se bonifier. Quant à Bram Welten, il nous a lui-même contactés. Il voulait intégrer un grand train tout en ayant sa chance de temps en temps, sans réclamer un statut de leader. Il est encore jeune, et il peut être la belle surprise de 2022. Il veut apprendre aux côtés d’Arnaud, Jacopo, Ramon. Il a un profil différent de Jake, qui est davantage un sprinteur de Classiques, après une course d’usure. Il y a des coureurs performants sur le marché, et on ne regarde pas s’ils sont Français ou étrangers. Pour moi, c’est anecdotique. On essaie de bâtir la meilleure équipe possible. Si les compétences sont de l’autre côté de la frontière, il faut aussi aller les chercher.

1 commentaire

LeHuby

LeHuby

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Le 14 novembre 2021 à 21:43

Chez Yvon, plus introverti que Marc, son analyse de l’année sportive est sans langue de bois. Bien sûr toute la ligne 👍