Arnaud Jouffroy : « J’ai pleuré directement »

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Arnaud Jouffroy a renoué avec le succès ! Pas sur le vélo, mais par l’intermédiaire de ses protégés. Désormais reconverti comme entraîneur, l’ancien Champion du monde Espoirs et Juniors de cyclo-cross est à la tête d’une académie qui porte son nom. Jarod Egea Garcia, membre de celle-ci, et Nathan Bommenel, que l’ancien coureur de 31 ans a pris sous son aile à l’aube de son projet, lui ont tous les deux rendu la pareille en décrochant les titres nationaux, respectivement en Cadets et Juniors, dimanche dernier, à Saint-Quentin-en-Yvelines. Pour ses premières émotions en tant qu’entraîneur, Arnaud Jouffroy revient sur cette journée avec DirectVelo, et fait le point sur son académie et ses mois de travail avec ses deux Champions de France.

DirectVelo : As-tu réussi à te remettre de tes émotions de dimanche ?
Arnaud Jouffroy : Je suis content pour eux, j'ai encore eu du mal à y croire lundi. Je me rappelais que je me suis lancé il y a un an, je suis parti dans le projet de l'académie pour promouvoir la discipline et aider les jeunes. Avec tout ce qui se passe, je ne peux pas espérer mieux. Tout est parfait. Pour l'instant il y a des moments où tout va bien, il faut les apprécier. Je me suis un peu posé, je me dis que c'est super qu’ils y arrivent.

Nathan Bommenel confiait à DirectVelo qu’il avait attendu ça toute la saison (lire ici), as-tu éprouvé le même soulagement que lui ?
Pour Nathan on s'y attendait plus que pour Jarod. C'est le premier coureur que j'ai entrainé dès octobre 2019. J'ai réussi de suite à le faire progresser. Le seul référentiel qu'on a eu, c’était de voir avec François (Trarieux) comment il se comportait avec les Bleus. Mais moi je savais qu’il avait progressé. Je commence à savoir ce qui va le faire performer, mais ça prend du temps. Physiquement et mentalement, je saisis comment il fonctionne. Pour moi il pouvait gagner ce Championnat physiquement mais mentalement il y avait encore du travail. Lors du dernier stage avant le Mondial il avait passé un cap, il n’avait jamais été aussi fort. Ce dimanche, il n’avait pas le niveau d'il y a trois semaines/un mois. Dans le sable, c'est là où il est le plus fort. Je lui ai dit que si tu passes dans le sable tu passes partout. Il a eu une grosse frustration de louper le Mondial. Dans un jour normal il pouvait faire Top 5.

« JE VAIS GAGNER, LA MARSEILLAISE EST POUR MOI »

Comment l’as-tu préparé pour ce Championnat tardif ?
Je le mets aussi dans l'optique de performer sur la route. Il a pris beaucoup de force mais il tourne moins les jambes, il va falloir reprendre ça. Je ne croyais plus du tout à ce Championnat. Lorsque le Mondial a été annulé il m'a appelé. Il était tellement dégoûté qu’il ne voulait pas le faire s’il y en avait un. Pour moi il était évident qu’il fallait y aller. Il n’a jamais gagné une course, même un championnat régional. On ne peut pas espérer être pro si on ne gagne pas chez les jeunes. Et puis il a été motivé. La semaine avant le Championnat, on a fait quatre jours avec Nathan, Jarod et un Master que j’entraîne, Pierre Caillol. On a fait trois-quatre jours costauds, et Nathan a fait un stage route avec l’Occitanie.

Tu n’étais pas présent à Saint-Quentin-en-Yvelines, quel contact as-tu eu avec eux durant cette journée ?
C’était le jour de mon anniversaire, je suis resté chez moi. Je suis plus utile là que pour les encourager. Il y a les parents, le club, leur staff... Je les prépare pour être prêts, je suis encore plus fier sans être là. Ça veut dire qu’ils ont réussi seuls, c'est leur succès. Pour Nathan, je lui ai dit de bien gérer tactiquement. Des échos que j'ai eus, il a géré. Même s’il a été énormément à l'avant, c’était tout en gestion. Il s'est mis a bloc uniquement pour attaquer. Il a réussi à assumer psychologiquement. Le matin il ne se rendait pas encore compte qu'il pouvait le faire. Puis à une heure du départ il m'a envoyé un texto : "je vais gagner, la Marseillaise est pour moi". Je me suis dit, ça y est il est prêt, il est en mode warrior. Il se cachait un peu plus avant.

« ÇA M’A BEAUCOUP ÉMU »

Et Jarod a décroché le titre chez les Cadets juste avant la course Juniors…
Ça l'a aidé aussi, ils se connaissent bien tous les deux. Ce sont mes deux pépites, même si peu de gens connaissent Jarod. C’est son père qui m'a contacté avant la saison route l’année dernière. J'ai commencé à m'en occuper, il était Cadet 1. Talentueux mais très réservé. Il roulait très peu. Mais il savait ce qu'il voulait. Sa maturité est impressionnante. Il est avec plein de gars plus âgés, et on oublie que c'est un cadet. Il était déjà capable de gagner la Coupe de France de cross pour moi. Je l'avais mis dans les 5 à coup sûr dimanche. Je l’avais averti qu’il y avait 90% de chances qu’il continue les efforts tout l’hiver pour rien. Et puis il a tenu tout le long. Je l'ai appelé début février pour lui dire que c'était sans doute mort. Je lui ai même dit de s'amuser pendant quelques jours. Et puis trois jours après on a eu l’annonce du France (rires).

Tu as dû avoir une journée de dimanche assez stressante…
Le matin, le premier réflexe a été de prendre mon téléphone et envoyer un message. C’était plus ou moins : « allez les gars donnez tout, faites vous plaisir. Je vous prépare à souffrir pour être bien dans l'effort. Vous aurez le plaisir à l'arrivée en étant fiers de vous ». Je les ai appelés pour voir comment ils étaient avant. Puis je partais l'après-midi chez mes parents. Je savais que c'était le départ de Jarod à ce moment. Je me suis garé, j'ai sorti mon téléphone. François (Trarieux) m'appelle à ce moment. Il me dit "la Jouff’ Aca est en train de rentrer il va peut-être gagner". On s’entend très bien avec François, je pensais qu'il rigolait. Il raccroche et m'appelle en visio. Et je vois l'arrivée de Jarod. C'est la première fois que je vis ça, j'ai pleuré directement. Ça m'a beaucoup ému. Puis son père m'a mis la Marseillaise etc. J'étais super content. Plus tard j’ai eu Jarod au téléphone. Je lui ai dit de profiter. Qu’il en avait bavé des semaines pour une journée, quelques heures. Et il me dit que Nathan court et qu’il est bien parti. À nouveau François m'appelle en visio et je vois Nathan qui gagne. Pfff... (sourire)

« JE N’AI PAS L’ESPRIT DE DEUXIÈME CARRIÈRE »

On imagine que tout ça t’a rappelé quelques souvenirs…
Ça m’a rappelé ma famille qui a vécu ça à travers moi... Je comprends ce qu'on ressent maintenant. J’avais des hauts et des bas comme sportif, en tant qu’entraîneur c’est différent. J’apprends toujours, ce n’est pas facile d’analyser ce qu’on fait et s’autocritiquer. Et transmettre mes avis personnels en fonction de qui j’ai en face. Ce qui marche avec Jarod ne marche pas avec Nathan. J'ai tellement d'idées pour l'académie, de projets. Un an après les débuts on est double Champions de France. Pour que ce soit totalement parfait, il aurait fallu un Mondial Juniors et voir Nathan faire une belle course, mais bon. Ils ont été très reconnaissants aussi. Les entendre me remercier direct… Je vois Nathan qui pleure presque et me remercie pour les jambes que je lui ai données. Je vais leur faire un cadeau avec un petit paquetage de l’académie, même pour Nathan qui ne fait pas partie du club.

As-tu l’impression de retrouver le chemin de la victoire par procuration ?
Je n’ai pas du tout l'esprit de deuxième carrière et de gagner des courses à travers les gens. Je suis content que mon projet serve à quelque chose. Je suis resté absent longtemps du cross. Je suis revenu en commentant les courses. Quand j'ai arrêté fin 2013, je n’avais pas la maturité de faire un truc comme ça. J'avais envie de voir autre chose, ça m'a fait du bien. Tout le monde parlait de moi, puis j'ai eu ma blessure au genou avant de revenir un peu. Et j'ai arrêté. Psychologiquement j'avais envie d'autre chose donc je me suis régalé dans mes années de commercial. Ça m'a beaucoup apporté de faire ce boulot. Puis je me suis formé tout seul dans le marketing, la communication. Je me rends compte qu'aujourd’hui je m'y retrouve et j'arrive à faire tout dans mon projet. J'aimerais qu’on performe encore plus haut, mais aussi dans mon rôle perso avec l'équipe de France. Si je peux aider à propulser un jeune vers le titre mondial... Je n’ai pas ce côté "ce sont mes coureurs", je suis là pour promouvoir le cross et aider. Quand les gens sont timides et n’osent pas m’appeler, je dis que je peux aider à découvrir la discipline, même s'ils ne font pas de compétitions. Si vous vous éclatez, c'est comme ça que ça évoluera.

« EN FRANCE, PERSONNE NE ME CONNAISSAIT »

Que faut-il faire pour revoir des Français sur le toit du monde en cyclo-cross ?
Partir à l'étranger, c'est ce qui m'a pesé le plus. Si dans cinq-dix ans il y a des structures qui permettent aux jeunes de rester en France, on sera capable de faire des grands champions. Mais il faut que ce soit un sport connu et reconnu. Quand j'allais en Belgique certains m'encourageaient et me connaissaient. En France, personne ne me connaissait et certains pensaient que je me baladais quand je disais que je faisais du cyclo-cross (rires). Comme dans mon rôle de commentateur avec la chaîne L’Equipe, j'essaye d'intéresser monsieur tout-le-monde et expliquer quelque chose de très simple. On est à un changement pour le cyclo-cross. On a Julian Alaphilippe qui en vient, il y a Van der Poel et van Aert, ça fait parler. Quand on voit qu’il y a un million de téléspectateurs le week-end des Mondiaux, forcément ça va mettre des ronds derrière. On ne va pas me donner des sous pour quelque chose que les gens ne connaissent pas. Mais ça commence à prendre.

Tu es aujourd’hui à la tête d’une académie, as-tu des envies de passer à l’échelon au-dessus ?
C'est un vrai club, affilié à la FFC. Mais oui, pour moi qui aime la compétition, j'ai plein d'idées. J'aimerais faire un Team, mais on ne me verrait pas. Ça me tient à cœur de promouvoir la discipline alors je veux continuer à commenter. Donc je ne serais pas là avec mon équipe et les jeunes. J'ai quand même pas mal de boulot en gérant, je suis ambassadeur Orbea. Donc si je fais ça c'est avec des personnes de confiance. Peut-être que ça se fera un jour. Mais le jour où ça sera le cas, ça tiendra la route. Ce n’est pas dans les tuyaux même si ça me démange un peu. Je voudrais pour le moment organiser des stages Jouffroy Academy. Avec une semaine Cadets/Juniors, puis Espoirs/Elites etc. Là ce sera sous mon format, c'est mon prochain objectif. N'importe qui pourrait venir. Mon club, mais aussi un débutant ou un expert. Actuellement j’anime des cours particuliers avec des gens qui veulent découvrir le cross. Les gens viennent de toute la France. Pourquoi pas à l’avenir un stage pilotage comme en moto, avec des conseils, découvrir le haut niveau ou juste se perfectionner. L’idée n’est pas du tout d'être là sur les compétitions avec une équipe. Mais pourquoi pas un jour.

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