Dans la droite lignée de sa politique de formation, symbolisée par la naissance de la « Conti » en 2019, la structure de l’Équipe cycliste Groupama-FDJ ajoute aujourd’hui un nouvel étage à son édifice. À compter de la saison 2021, l’équipe mettra ainsi en place un suivi renforcé pour un poignée de coureurs juniors, qui s’accompagnera d’un soutien à plusieurs niveaux pour les jeunes hommes concernés. Référent du programme, Benoît Vaugrenard nous explique les motivations du projet et nous en détaille les grandes lignes. 

Benoît, peux-tu d’abord revenir sur la genèse de ce projet ?

La détection, la formation, sont dans l’ADN de l’équipe. Il suffit pour ça de regarder l’effectif actuel de la WorldTeam, et d’où viennent les leaders. La Conti est venue compléter le dispositif mais il fallait élargir l’offre en proposant quelque chose aux Juniors. Marc a commencé à me parler de ce projet fin 2019, sans que l’on sache encore précisément quand et comment l’initier. Cela s’est doucement mis en route l’hiver dernier, et même si nous avons été un peu ralentis en 2020, compte tenu de la situation globale, nous avons plutôt bien avancé ces derniers mois et tout a véritablement commencé à prendre forme. Pour apporter un peu de contexte, ce projet est identifié comme celui de la Conti. L’objectif est de repérer les meilleurs juniors, sur le plan national ou international, puis de les accompagner vers le haut niveau. L’idée est la suivante : certains intégreront l’équipe Conti, qui elle-même aura pour but de les amener vers l’équipe WorldTour. Il y a donc désormais trois marches. Notre ambition est de donner aux juniors les outils pour réussir, et pour ceux qui franchiront le pas, d’avoir déjà une bonne compréhension du fonctionnement de la structure. De ce fait, on gagne du temps et de l’efficacité.

« Expliquer ce qu’on veut faire aux parents »

Est-ce aussi une manière de ne pas manquer LE talent ?

Comme pour toute équipe professionnelle, l’objectif principal est de repérer les talents, et espérons LA pépite, et de faire en sorte qu’ils ne nous échappent pas. Il faut que nous soyons capables de repérer et attirer les phénomènes qui peuvent être précoces, mais aussi ceux qui peuvent avoir un parcours plus conventionnel. Il faut pouvoir s’adapter car à cet âge, tous ne vont pas évoluer à la même vitesse, il faut bien évaluer cela afin d’adapter l’accompagnement. En résumé, ne pas en griller certains et ne pas en freiner d’autres. Quelque soit la vitesse de progression, tous peuvent devenir de bons, voire d’excellents coureurs. Il faut cependant être honnête : nous sommes dans une ère où des jeunes arrivent et explosent tout. C’est un fait. Il est devenu impératif de se positionner dans cette logique-là. Il faut néanmoins avoir un point de vue global, observer comment le coureur est fait. Pour faire une carrière pro, il faut certes avoir des capacités physiques, mais le mental, l’accompagnement et l’environnement sont des éléments tout aussi déterminants. C’est à nous de développer le coureur dans le bon sens. Cela nécessite parfois du travail sur le long terme, mais forcément, il y a des coureurs qu’on ne veut pas rater car on sait qu’il y a un gros potentiel derrière.

Quel est votre plan d’action ?

Dans la logique des choses, tout part de la détection. Avec Joseph Berlin-Semon, qui est entraîneur à la Conti et qui m’accompagne dans ce projet, on se répartit les courses cadets et juniors. On s’y rend puis on regarde, on détecte. Dans cette démarche, le Trophée Madiot, c’est quasiment l’étape 1. On suit évidemment ce challenge de par son nom, mais aussi car on retrouve de très bons coureurs venant des quatre coins de la France. Parmi les trois coureurs que nous suivons pour 2021, deux ont terminé sur le podium du Trophée Madiot et y ont gagné des épreuves. C’est un vrai point de référence pour nous, et ça fait en quelque sorte partie de l’ADN de l’équipe. Puis, avec mon petit œil de connaisseur, j’observe les coureurs en course, et j’essaie de percevoir s’il y a un potentiel. On procède ensuite à l’approche, d’abord et avant tout avec les parents. Le jeune coureur, à 16-17 ans, va forcément dire oui de suite. J’ai été coureur et j’ai été jeune, je sais ce que c’est. C’est pourquoi on souhaite consulter les parents, leur expliquer ce qu’on veut faire. C’est leur enfant, il y a encore l’école à côté, et c’est à eux que revient la décision. Nous voulons qu’ils adhèrent au projet.

Qu’est-ce qui est concrètement mis à disposition du coureur qui entre dans ce programme ?

Il s’agit d’un accompagnement sur plusieurs axes. Du point de vue matériel, on leur prête deux vélos : un vélo de chrono et un vélo de route. Début janvier, les trois coureurs iront au centre de performance à Besançon pour établir leur position et repartiront avec leur vélo, mais aussi avec un capteur de puissance, comme un coureur professionnel. Ils auront également un casque de route chacun et recevront un casque de chrono. Cela dépend aussi du club et du besoin de chacun. Il est également prévu de pouvoir les aider dans leur scolarité. S’il y a besoin de matériel un peu coûteux ou de soutien, nous avons la possibilité de le faire. Ils ont par ailleurs un accès à la plateforme interne de l’équipe Conti, où ils peuvent rentrer leur entraînement. Cela permet aux entraîneurs de la Conti d’avoir une visibilité, de contrôler ce qui est mis en place et éventuellement de donner leur avis. Ils participeront aussi à des stages et des formations, parfois avec les coureurs de la Conti.

« Ce n’est pas une promesse d’embauche »

Des formations de quel ordre ?

Nous souhaitons faire de la sensibilisation sur divers sujets, comme la diététique avec le médecin de l’équipe, la communication, la gestion des capteurs de puissance. Par exemple, ces derniers sont très importants, et il faut évidemment les utiliser, mais cela à bon escient. À leur âge il faut également et absolument qu’ils travaillent leurs sensations, au risque de se robotiser et de se lasser. Il n’est pas seulement question de leur avenir sportif, mais aussi de la suite de leur vie. C’est notre rôle de faire de la sensibilisation, on est aussi là pour leur parler de notre vécu, de ce qu’il faut faire et de ce qui n’est pas à faire. On veut leur donner plein de petits outils qui peuvent les aider. Tous les coureurs ne seront pas amenés à passer dans l’équipe Conti, mais le but est qu’ils emmagasinent un maximum de connaissances et qu’ils ressortent plus autonomes de ce suivi. Pour nous, le plus important est qu’ils finissent par se dire, peu importe leur direction par la suite : « c’était super, j’ai appris beaucoup de choses et je vais pouvoir maintenant les mettre en pratique ».

Pour autant, il ne s’agit pas d’une équipe en soi.

Tout à fait, et il faut bien le préciser : ce n’est pas une équipe, c’est un suivi. Nous ne faisons pas de courses. Le coureur reste bien dans son club. Celui-ci est essentiel dans le dispositif, et à cet âge, il ne faut pas les déraciner. Nous entretenons de très bonnes relations avec les clubs, et nous leur présentons le projet en toute transparence. Le coureur est la vitrine de son club, et un junior qui ‘’marche’’ fort, ça fait rêver toutes les écoles de cyclisme. Nous sommes aujourd’hui dans une période compliquée, nous avons encore plus besoin de ces « petits » clubs, et il ne faut surtout pas les étouffer. Certains sont parfois plus structurés que d’autres, mais tous nous sont essentiels. Dans cette logique, ils gardent leur entraîneur de club, Joseph et moi sommes là pour les aider si besoin, s’il y a un manque. Il y a un cadre mais nous faisons du cas par cas.

Le but est d’avoir un suivi précis et continu sans être envahissant ?

Complètement, et cela me permet de nommer les trois coureurs que nous avons retenus jusque là. Il y a Louka Lesueur, un crossman, Lenny Martinez, un crossman-vététiste qui fait aussi de la route, ainsi qu’Eddy Le Huitouze, qui pratique la piste et la route. Prenons l’exemple de Louka : il a son entraîneur, et il y a certes l’accompagnement au niveau matériel, mais au fond, ça ne change pas beaucoup son quotidien. On le laisse vraiment dans ses habitudes avec son entraîneur, dans sa préparation hivernale. On suit simplement ce qu’il fait. On fait très attention à ne pas les déranger dans leur routine. Si le coureur ne peut pas venir en stage parce qu’il a des examens, par exemple, ce n’est pas un souci. Cela n’empêchera pas la continuité de son suivi. Nous nous voulons hyper souples, et il faut l’être à cet âge là. Ils ne sont pas non plus salariés de l’équipe, ils sont à l’école. Si je dois leur faire louper un ou deux jours de cours, j’appelle d’abord les parents pour voir si cela est possible. Il faut être très prudents, car nous avons beau les suivre, ce n’est pas une promesse d’embauche. Il faut maintenir un double-projet, même si cette notion convient à certains plus qu’à d’autres.

« Nous sommes ouverts à l’international »

Qu’est-il prévu en termes de stages ?

Le premier est normalement fixé pour février, à Calpe, avec l’équipe Conti. Pour le reste, on ne se fixe pas de calendrier précis, premièrement parce que les coureurs sont scolarisés, deuxièmement car ils ont des courses avec leurs sélections régionales ou en équipe de France, et troisièmement car il est difficile d’organiser quoi que ce soit dans la situation actuelle. Nous souhaitons planifier ces stages dans les moments propices, quand ils sont plus au calme, selon leurs disponibilités. On veut faire attention à cela pour que le stage soit bénéfique et n’empiète pas sur le reste.

Ce programme d’accompagnement pourrait-il être encore plus étendu ?

Pour l’instant, ils sont trois, mais rien n’est fermé, si ce n’est la philosophie : peu en termes de quantité, mais un suivi et une aide concrets et efficaces. Si d’ici le mois d’avril, nous repérons des coureurs susceptibles de nous intéresser, nous n’hésiterons pas à les contacter. Je suis d’ailleurs en discussion avec certains. Nous sommes capables d’intégrer deux ou trois jeunes supplémentaires à notre suivi. Puis, nous sommes aussi ouverts à l’international. Si l’objectif est de trouver les meilleurs, alors il faut bien évidemment regarder ce qui se passe ailleurs qu’en France.

Qu’est-ce qui t’a personnellement amené vers ce projet ?

Entre 2019 et 2020, j’étais en formation pour mon diplôme d’État. Marc m’a parlé de ce projet et m’a demandé si j’étais intéressé. Or, j’ai toujours gardé un œil sur les jeunes. Je suis resté très proche de mon club de Vannes, où je suis licencié depuis mes années cadet. Aujourd’hui encore, je les accompagne, je les suis et je les conseille à titre bénévole. Ça m’a toujours plu d’être au cœur de la chose. Même si j’ai passé dix-sept ans dans le milieu professionnel, je n’étais pas si déconnecté. Dès que je le pouvais, j’allais voir les courses de jeunes par chez moi et je regardais les résultats. Malgré tout, ce projet m’a permis de retrouver un peu les bases et d’observer ce qui se faisait chez les jeunes de manière plus globale. Ça m’intéresse de voir comment ils travaillent aujourd’hui, et de constater l’évolution qu’il y a eu depuis 2000 et mes propres années juniors. C’est assez passionnant, et en un an, j’ai appris beaucoup de choses. C’est très enrichissant et c’est dans la continuité de mon souhait d’apprendre et d’évoluer. Je suis certes référent de ce projet, mais Joseph est également à mes côtés, notamment pour la partie entraînement. Cette année, j’étais déçu de ne pas pouvoir aller sur les courses autant que je l’aurais souhaité. J’étais très excité d’aller voir les jeunes, mais il n’y a eu que très peu de compétitions. Être en repérage au bord des routes, c’est un vrai plaisir. Quand tu as l’œil et le vécu, tu cernes vite le coureur, tu ressens certaines choses, dans son coup de pédale et son comportement en course. Tu sens s’il y a quelque chose. C’est aussi pourquoi ce rôle me plait, ça change du monde pro. Je suis encore dans une phase d’apprentissage et aller voir ce qui se passe ailleurs, chez les jeunes notamment, ça m’intéresse beaucoup.

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