Interview Jérôme Pineau : "Tant qu'on est pas à Nice, on ne sera pas serein"

Interview Jérôme Pineau : "Tant qu'on est pas à Nice, on ne sera pas serein"

Interview Jérôme Pineau : "Tant qu'on est pas à Nice, on ne sera pas serein"

Les 10 coureurs de l'équipe B&B Hotels-Vital Concept pré-sélectionnés pour le Tour de France sont en stage dans les Hautes-Pyrénées, dans leur base d’entraînement d'Argelès-Gazost. C'est au camping Sunêlia-Les Trois Vallées, partenaire de l'équipe, que Jérôme Pineau s'est adressé aux médias. On fait le point avec lui avant la reprise d'une saison qui restera à jamais dans les annales.

En plein confinement vous aviez avoué votre inquiétude, votre angoisse même, déclarant que vous aviez du mal à trouver le sommeil. Alors que la saison semble à nouveau sur les rails , le moral est revenu ?

Cet enfermement a été très compliqué on ne va pas se le cacher, pour tout le monde. Personnellement je l'ai très mal vécu. Si on fait ce métier c'est aussi parce qu'on est passionné de grands espaces, de longues sorties en extérieur. Et surtout on était inquiet pour notre sport qui repose sur le partenariat. Quand le partenaire aussi est à l'arrêt, on se demande ce que l'on va devenir et on a du mal à dormir c'est certain, car c'est une charge lourde psychologiquement de s'inquiéter pour soi mais aussi pour les autres. Ce projet, ce club, est fondé sur deux valeurs essentielles. L'envie commune et la solidarité, avec une bande de gars se connaissant très bien, qui ont fait des choix forts, professionnels et privés pour partager une même vision du vélo. Aujourd'hui ça va beaucoup mieux, car les choses sont plus claires. On reprend le calendrier au 1er août, le Tour aura lieu mais de là à dire qu'on dort très bien ce n'est pas encore ça. On reste encore sous une menace permanente, il faut rester très vigilent et un nouveau confinement serait synonyme de catastrophe.

Inconsciemment le doute plane toujours, notamment sur la tenue du Tour ?

Tant qu'on est pas à Nice, on ne sera pas serein. On ne sait jamais ce qui peut arriver, on l'a vu encore ces dernières heures en Catalogne avec un reconfinement qui prend de l'ampleur. On a tous été marqués et on sait ce qui peut arriver à nouveau. Une chose est sûre, tout n'est pas réglé. Après en ce qui nous concerne, on a tellement espéré ce moment, après avoir été tellement été déçu dans l'attente d'une invitation qui n'est jamais venue, que lorsqu'elle arrive, on ne peut pas pleinement en profiter. Ce n'est peut-être pas plus mal finalement, pour approcher de la course avec moins de pression.

J'imagine que les coureurs et le staff seront régulièrement contrôles par rapport au Covid 19. Comment va s'effectuer ce suivi ?

Bien sûr, même si c'est très compliqué à mettre en place. Chaque coureur, quand il se déplacera sur une course aura un test à -6 jours et à -3 jours, et s'ils sont négatifs, le coureur pourra aller en course. Ces tests seront valables dix jours et au bout de dix jours, on recommence. C'est lourd pour une équipe comme la nôtre, c'est de l'ordre de 40 000 euros mais on a pas le choix, c'est nécessaire. Cela implique d'anticiper énormément, de prévoir des remplaçants, du staff en plus. Sur le Tour il faudra être très réactif, c'est la problématique principale sur une course de trois semaines.

Avec la crainte d'un scénario à la Abu Dhabi qui ferait tout capoter ?

C'est exactement ça, c'est pour ça que les organisateurs ont pris des dispositions avec des coureurs séparés par étage dans les hôtels, pour n'isoler qu'un étage si besoin. Les équipes ne seront pas regroupées, il y aura beaucoup d'équipe seules. Après on est mieux prévenu aujourd'hui, même si ça n'empêche pas le danger.

Pour revenir au Tour, faut-t-il vraiment s'attendre à une course plus ouverte ?

J'ai la naïveté de croire que certaines équipes sont tellement réglées comme du papier à musique, que leurs repères ont été un peu déréglés dans leur approche. Il y a deux paramètres, le changement de dates qui peut jouer sur un plan physiologique des coureurs et la difficulté du parcours. On peut s'attendre à un Tour à rebondissement. Il y aura 170 morts de faim au départ, qui n'auront presque pas couru et cela risque d'aller dans tous les sens, avec cette frustration. Je le sais trop bien pour avoir été coureur pendant 14 ans, il n'y a que la compétition qui compte. On a qu'une hâte au sortir de l'hiver, c'est d'aller attaquer à la moindre occasion. Le GP de la Marseillaise est une course de reprise illisible au sortir de l'hiver et je pense qu'on ne sera pas loin de ça dans la première semaine. Après la réalité du terrain s'imposera avec un parcours excessivement difficile.

Cette participation avait quelque chose de vital pour vous ?

J'ai l'habitude de dire ça, mais le Tour c'est vraiment la locomotive du vélo. Si le Tour n'avait pas lieu cette année, aucun autre organisateur n'aurait pris le risque de se lancer. De plus tout le système économique tourne autour de lui. Quand vous entrez dans une entreprise et rencontrez des décideurs, ils vous demandent si vous faites le Tour, c'est la première ou deuxième question que l'on vous pose. Tout a été fait pour que le Tour ait lieu. Il faut tirer un coup de chapeau aux organisateurs français, qui quelque part ont sacrifié leur date, voir leur parcours et ont accepté de se caler sur le Tour.

Vous allez articuler l'équipe autour de Bryan Coquard pour les sprints d'une part et Pierre Roland pour tenter d'aller dans des coups ?

Ce sont deux choses différentes. Bryan aura besoin d'équipier en direct, on n'aura pas de train, on ne sait pas faire ça et on en a pas envie. Par contre des coureurs capables de l'emmener et le placer au mieux, de passer les difficultés avec lui, oui. Donc il y aura forcément un petit dispositif autour de lui. Le seul leader désigné c'est lui et derrière on a une équipe très forte avec Pierre, accompagné de garçons capables de le soulager sur des étapes où ça va batailler sévère. On croit qu'on peut gagner une étape s'il y a une grosse bagarre dès le départ, sur une étape difficile où un garçon l'emportera au jarret, sur la fatigue. Donc pour ça on doit quelque part aussi constituer une équipe autour de Pierre, mais pas que, car ce na sera pas forcément lui le bénéficiaire, mais peut-être des garçons capables d’aller dans les coups et qui auront aussi leur carte.

En ce qui concerne Cyril Barthe, par exemple, ses limites semblent encore difficiles à cerner.

C'est un garçon qui est en pleine progression. S'il est au départ c'est quelqu'un qui va être très important dans l'équipe et il n'y aura pas à trembler pour lui. Dans un grand jour il est capable de gagner une étape comme celle d'aujourd'hui (l'équipe reconnaissait ce jours là la 8e étape du Tour de France, entre Cazères et Loudenvielle, ndlr). Il grimpe, il est courageux et surtout il n'est pas connu. C'est un coureur qui ne connaît pas encore ses limites et tant mieux. Il va très bien sur le plat, est capable de gagner au sprint, a un profil plutôt de puncheur, mais un puncheur peut gagner une étape de montagne quand il est dans un grand jour. Il n'aura pas de rôle très précis s'il est au départ et c'est justement une carte qui peut aider à la fois Bryan, d'ailleurs aujourd'hui il s’entraîne avec le groupe sprint, et on sait aussi qu'il peut briller sur une étape des Pyrénées comme celle-ci.

Vous vous êtes fixés une date limite pour la sélection finale ?

Nous n'avons pas de date limite, mais je ne crois pas qu'elle interviendra au dernier moment car on a déjà une idée en tête, on serait incompétent si on ne l'avait pas. On ne peut pas non plus laisser le suspens durer trop longtemps dans la tête des garçons. La seule chose, c'est qu'une équipe comme la nôtre ne peut pas aller au Tour sans son champion de France, si cela arrivait, et si celui-ci n'était pas dans les huit. On va laisser certainement une place jusqu'au championnat.

Propos recueillis par Ximun Larre. (crédit photo : Ximun Larre)

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