Interview : Francis Lafargue : "Heureusement à nos côtés, on a un sponsor qui nous rassure"

Interview : Francis Lafargue : "Heureusement à nos côtés, on a un sponsor qui nous rassure"

Francis Lafargue : "Heureusement à nos côtés, on a un sponsor qui nous rassure"

Francis Lafargue s'occupe depuis cet hiver des relations publiques de l'équipe Kern Pharma pour la France. Celui qui un fut un taulier de la maison Reynolds puis Banesto, l'intime de Pedro Delgado et Miguel Indurain, nous reçoit chez lui à Larresore, dans un Pays Basque auquel il est viscéralement attaché. Il confie le plaisir de travailler au sein d'un projet lui rappelant ses débuts et bénéficiant surtout, en ces temps d'incertitudes, d'un partenaire solide.

Bon tout d'abord Francis, comment se sont passés ces deux mois de confinement pour vous ?

Personnellement plutôt bien, dans la mesure où je suis dans un petit village à la campagne, c'est un privilège par rapport aux gens qui sont restés en appartements dans les grandes villes. Ce qui m'a préoccupé, en plus de la pandémie elle-même et de mes proches, c'est évidement le futur.

La dernière fois que nous nous sommes vus, vous étiez avec les couleurs d'Euskadi-Murias. Quelques mois plus tard, est-ce qu'il y encore des regrets sur la disparition de l'équipe ?

Des regrets certainement, l'équipe aurait mérité de continuer, ou bien d'avoir une autre sortie, maintenant il ne faut pas vivre avec le passé. Cela a été cinq années très intéressantes sur un plan personnel, après avoir connu de grandes équipes, j'ai pu transmettre un peu de mon expérience et je ne garderai que de très bons souvenirs. Il ne faut pas oublier qu'avec de très petits moyens on a fait de grandes choses. J'en veux pour preuve, et c'est déjà pas facile d'y être invité, nos deux participations avec nos deux victoires d'étapes sur la Vuelta et toutes les courses gagnées à côté.

On ne va pas refaire l'histoire, mais il y a eu cette fusion manquée avec la Fondation Euskadi, puis quelques mois plus tard le retour du sponsor Euskaltel...

C'est une bonne chose le retour d'Euskaltel bien entendu pour le cyclisme basque. Après avec ce qui arrive aujourd'hui, on se rend compte que le cyclisme professionnel reste très fragile. Murias, Euskaltel ou même Ineos, tout peut arriver dans le cyclisme.

Aujourd'hui, nouvelle équipe donc et c'est un peu un retour aux sources, vers Pampelune, là où tout avait démarré pour vous avec Reynolds ?

Tout à fait, à la fin de la saison dernière on m'a appelé pour savoir si j'étais partant pour faire la même chose avec cette nouvelle équipe Kern Pharma. Je connaissais plus Manolo Azcona mais je voyais aussi Juanjo Oroz. C'est une histoire de confiance entre nous, je n'ai pas hésité, et surtout on partage cette même philosophie autour de la formation. J'arrive maintenant à la retraite et si je peux partir en transmettant, comme je l'ai fais avec Murias, tant mieux. Je veux rendre au cyclisme ce qu'il m'a donné.

Et Pampelune, c'est en effet mon jardin. Quand tout a démarré avec Reynolds, j'habitais à Biarritz et partais avec une vieille 2CV, c'était toute une aventure à l'époque. C'est un peu la même histoire, mis à part que le cyclisme a beaucoup évolué.

L'équipe est nouvelle, mais derrière il y a tout un passé avec le club amateur de Lizarte et l'association Galibier. Des grands noms sont passés par là, de Beloki à Carapaz, en passant par Amador ou Soler.

Effectivement il s'agit à la base d'un des meilleurs clubs amateurs d'Espagne. Avant Lizarte il y a eu d'autres sponsors, mais l'arrivée de ce constructeur de pièces automobiles à permis de consolider le club, de continuer dans cette philosophie de formation. Le club a recruté beaucoup de coureurs espagnols, des basques aussi, et des coureurs sud-américains, en faisant marcher ses réseaux, un peu comme on faisait à l'époque avec Reynolds. Tous ces coureurs passaient par Pampelune et formaient la réserve de l'équipe Movistar.

Lizarte va d'ailleurs continuer d'être la réserve amateur de Kern Pharma. La formation reste au cœur du projet ?

Tout à fait la formation maison, "l'esprit Lizarte" reste d'actualité. Dans l'équipe Kern Pharma, sur les 14 coureurs, 11 ont été formés par le club et 8 montent directement des amateurs. La réserve a donc été pas mal renouvelée mais devrait encore fournir de beaux espoirs à l'avenir.

Avec notamment dans ses rangs des grimpeurs prometteurs comme Ibon Ruiz et Ion Aguirre , le tout jeune colombien Daniel Mendez, comment définiriez-vous l'équipe Kern Pharma ?

Ce sont des jeunes avec du talent, au départ je ne les connaissais que de nom et j'ai fais vraiment connaissance avec eux à l'ouverture de la saison, au Grand Prix la Marseillaise et à l'Etoile de Bessèges, où je les ai accompagné. En tant que passionné je me suis régalé, j'ai trouvé une équipe avec de l'envie. Daniel Mendez, par exemple, m'a tapé dans l’œil. Il n'a pas encore 20 ans mais a bien couru en sachant rester caché dans le peloton quand il le fallait et s'est montré dans l'arrivée en bosse (10e au Mont Bouquet, ndlr).

A Bessèges, le premier jour on avait beaucoup de vent, des chutes et j'ai vu certains se relever, repartir et dire après l'arrivée "c'est la course la plus dure que j'ai faite de ma vie". Le soir je leur disais : écoute petit, la route est plus longue que large, ce que t'as vu aujourd'hui c'est que le début. Alors forcément ça me rappelle tout ce que j'ai vécu il y a 10, 20 ou 30 ans avec d'autres, c'est un éternel recommencement.

L'UCI , a mis au point un calendrier pour tenter de sauver les meubles cette année, vous croyez qu'il sera réalisable ?

Comme tout le monde je souhaite avant tout qu'on puisse courir mais aujourd'hui, personne n'est capable de dire, que ce soit les organisateurs de course, l'UCI ou bien nous-mêmes, si véritablement on pourra reprendre au mois d’août. Pas plus tard que ce week-end la Polynormande a été annulé. Donc concernant le Tour de France, et avec tout le respect et les sentiments que j'ai pour lui, on ne sait pas. Ce sont les conditions sanitaires qui décideront et dans quelles circonstances. En tout cas c'est obligatoire pour moi qu'il y ait du public, on ne peut pas faire autrement. Ensuite il y a le côté logistique bien sûr, travailler avec des masques dans les voitures ou à l'hôtel etc...Mais il y a aussi le problème des passeports pour les coureurs étrangers, est-ce qu'on pourra passer les frontières, il y aura-t-il des quarantaines ?

L'UCI a tenté de caser en priorité les grands Tours ou les classiques majeures et pour une équipe Continentale comme la votre, il n'y a presque rien en vue au programme en Espagne ?

Exactement, à part le Tour de Burgos et les deux courses d'un jour à Getxo et Villafranca de Ordizia. L'Espagne est déjà un pays où le cyclisme ne va pas bien en temps normal, contrairement à ce qu'on peut imaginer parfois. Pour une équipe comme la nôtre, heureusement qu'on a la chance de courir en France, malheureusement, encore une fois, on voit des courses qui y sont annulées. Les organisateurs français sont inquiets, ils ont souvent des petits partenaires qui se retrouvent tout à coup dans des situations difficiles. Avec Kern Pharma on est frustré bien sûr, on devait faire toute la Coupe de France. Heureusement à nos côtés, on a un sponsor qui nous rassure.

Justement, la société Kern Pharma semble avoir les reins solides, et se situe dans un secteur qui ne devrait pas être touché par la crise, au contraire.

Le hasard veut que notre sponsor est un laboratoire pharmaceutique important implanté en Catalogne et en effet et on a reçu des assurances de ce côté là. C'est bien sûr une bonne chose. Après la situation est décevante pour tout le monde, surtout pour tous ces jeunes coureurs qui rongent leur frein.

Quand on voit des équipes du World Tour déjà en difficulté, ou très inquiètes, on peut se faire du soucis pour d'autres aux étages inférieures. C'est le modèle du cyclisme pro qui est en danger?

Il va y avoir de la casse c'est sûr, le modèle du cyclisme et du sport professionnel en général est menacé. Même dans le football, et là on est sur de tout autres chiffres, il faudrait revoir certaines choses à la baisse. Pour revenir au cyclisme, on est pas vraiment dans un modèle économique viable, mais depuis que je suis dans le vélo on le dit tout le temps. A mes débuts, on payait pour faire le Tour de France et il a fallu batailler pour renverser ça. En plus on voit aussi toute la dépendance du cyclisme par rapport au Tour de France. Pour les équipes qui y participent, 70% de la visibilité se fait là.

En ce qui nous concerne, on va faire la demande pour monter en UCI ProTeam, la 2e division, c'est notre prochain objectif. On était obligé de passer par la case Conti Pro, mais ça n'a pas lieu d'être pour espérer courir et progresser. Donc bien entendu, cela voudrait dire par exemple être sur l'Itzulia, le Tour de Catalogne, et pourquoi pas la Vuelta. On va se renforcer évidement et les budgets sont prévus. Kern Pharma est solide donc et c'est un sponsor privé. Si on doit attendre des pouvoirs publics locaux, comme on l'a vu en Pays Basque avec Euskadi-Murias, c'est fichu d'avance.

Vous avez près de 40 ans d'expérience en relation publique dans le cyclisme. Qu'est-ce qui a changé le plus depuis vos débuts ?

Il y avait autrefois des contacts directs avec les journalistes, on les retrouvait dans les chambres des coureurs. En particulier avec ceux des radios espagnoles, on vivait presque ensemble pendant les trois semaines du Giro par exemple. A minuit ils avaient encore des émissions et c'étaient souvent dans la chambre. J'ai eu la chance aussi de connaître de grands journalistes, comme Pierre Chany. Et puis bien sûr il y a eu l'évolution technologique. On s'arrêtait dans les cabines pour téléphoner, alors quand j'ai vu le fax arriver à la maison, ça été une bénédiction ! Donc les rapports humains ont changé aussi forcément. L'arrivée des réseaux sociaux a bouleversé plein de choses.

Pour le grand public, vous avez été la voix française de Pedro Delgado puis Miguel Indurain, vous êtes toujours aussi proches d'eux ?

Bien entendu, c'est une histoire qui marque, c'est pour la vie. On reste en lien permanent et il y a toujours des journalistes qui veulent entrer en contact avec Miguel et passent par moi. Pareil avec Delgado, on se voit toujours. L'été dernier il est venu à la maison et on fait du vélo ensemble, puis un bon resto. D'ailleurs il reste toujours un phénomène social autour de lui en Espagne, c'est impressionnant.

On parle là des leaders, mais parmi les travailleurs de l'ombre, si vous deviez en retenir un ou deux dans ceux que vous avez côtoyé?

Il y en a dont on ne parle jamais mais qui m'ont marqué par leur dévouement. Je pense par exemple à Marino Alonso, équipier de Miguel pendant ces cinq Tours victorieux. Un autre qui m'a beaucoup marqué c'est Jean-François Bernard. Bien sûr il avait failli gagner le Tour avant, mais quand il est venu chez nous il s'est mis au service de Miguel sur le Tour. Il avait des capacités hors normes. Je pense à Rué aussi, bref il y avait tout un esprit de sacrifice et cela a beaucoup compté dans nos victoires, d'avoir ces équipiers de luxe.

Crédit photo et propos recueillis par Ximun Larre.

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