Comme bien d’autres secteurs d’activités, le monde du cyclisme est aujourd’hui en veille. Pour ralentir la propagation du Coronavirus, de nombreux Etats appellent désormais au confinement quasi-total, tandis que les annulations d’épreuves cyclistes, aussi réputées soient-elles, continuent d’affluer. Comme l’ensemble du peloton, les coureurs de l’Équipe cycliste Groupama-FDJ se retrouvent dans une situation sans précédent, qui nécessite naturellement un accompagnement tout particulier, que nous esquisse Yvon Madiot.

Avant d’évoquer la situation actuelle, peux-tu nous la décrire la relation entre directeurs sportifs et coureurs dans un contexte ‘’normal’’ ?

En temps normal, nous avons trois groupes, avec deux directeurs sportifs référents par groupe. Chacun a une « spécialité ». Philippe Mauduit et moi-même sommes plutôt axés sur les grimpeurs, Fred Guesdon et Jussi Veikkanen sur les sprinteurs et coureurs de Classiques tandis que Thierry Bricaud et Franck Pineau sont plus orientés sur les jeunes. De manière générale, un coureur aura donc deux principaux interlocuteurs dans la direction sportive. Cela lui permet d’avoir toujours quelqu’un à qui se référer si l’un des deux « DS » est occupé sur une grande compétition. Généralement, il y a un contact permanent pour s’assurer de la bonne santé du coureur, avant et après les compétitions, mais aussi de sa motivation. Il y a également un échange sur les programmes, et c’est le directeur sportif référent qui annonce la sélection ou non du coureur pour telle ou telle course. Cela permet aussi d’évoquer, éventuellement, la stratégie qui sera mise en place en compétition. Il y a enfin un partage d’informations, et un échange humain, qui porte sur les sensations du coureur, à la fois physiques et mentales. En parallèle, le coureur a un contact avec l’entraîneur, mais celui-ci est davantage axé sur le sportif.

« Montrer qu’il n’y a aucune forme de panique de notre côté »

Entraîneur et directeur sportif se complètent donc dans le suivi du coureur…

Il n’y aucune raison que l’on se marche dessus. L’entraîneur est vraiment focalisé sur la préparation et l’entraînement, même si l’humain peut aussi entrer en jeu puisqu’il est en contact de manière très régulière avec le coureur. Quoiqu’il en soit, il y a une grande confiance entre les deux pôles, performance et direction sportive. On s’appelle très souvent et on échange ensemble sur un groupe. À la moindre alerte, incertitude ou information, on communique sur cette plateforme et cela fonctionne parfaitement.

Revenons-en à la relation DS-coureur. Est-elle d’autant plus importante avec la période qui s’annonce ?

Notre rôle, que l’on soit directeur sportif ou entraîneur, va être très important ces prochaines semaines dans la mesure où l’on n’a aujourd’hui aucune visibilité. Or, un coureur, c’est un compétiteur, c’est un sportif, c’est un pur sang et il a besoin de lâcher son énergie. Le plus compliqué sera donc de gérer son inactivité. Il va falloir qu’on lui apporte de la sérénité, des informations, mais aussi que l’on rassure. La ligne directrice doit être claire pour chacun. À partir des détails qu’on obtiendra ces prochains jours, à droite et à gauche, on pourra communiquer plus amplement avec les coureurs. Il faut aussi qu’on anticipe un stand-by prolongé, peut-être bien jusqu’à début juin. Mais rassurer, c’est aussi montrer que nous sommes, de notre côté, complètement sereins, qu’il n’y aucune forme de panique. Maintenant qu’on a dit cela, avant toute chose, il y a une marche à suivre, des consignes à respecter et il n’y a pas d’ambiguïté à ce sujet.

On imagine que les discours différeront quelque peu selon les coureurs…

Dans la situation actuelle, il y a différents cas de figure. Ce sera peut-être plus simple pour ceux qui ont fait le début de saison et couru jusqu’à Paris-Nice. Ils observent aujourd’hui une période de repos plus ou moins logique, même si la coupure était plutôt prévue après le Tour de Catalogne. D’un autre côté, il y a les jeunes, qui pourraient être un peu perdus, et ceux dont le contrat est expirant. Les coureurs sont en CDD et il va logiquement falloir apaiser les esprits. Certains peuvent se dire que le temps passe et que les mois de compétitions vont très vite défiler. On aura un gros travail à fournir pour rassurer et expliquer la situation aux coureurs. Tous sont évidemment conscients du contexte et acceptent la chose, mais il faudra bien leur rappeler que tout ne s’arrête pas avec et à cause du virus.

« Ni la fin du monde, ni la fin de leur carrière, ni la fin de l’équipe »

En quoi doit consister votre accompagnement envers eux ?

Le but premier sera de balayer les inquiétudes, s’il y en a, et insister sur le fait qu’il n’y a pas d’autres choix que d’accepter cette situation. Elle est non-négociable. Mais, encore une fois, il ne faut pas pour autant en arriver à se dire que c’est la fin du monde, ni même la fin de leur carrière ou la fin de l’équipe. Il faut accepter ce moment compliqué pour ensuite repartir de plus belle, ce qu’ils feront sans problème, c’est certain. On sait que le sportif est généralement doté d’une grosse force mentale. Nous allons nous assurer que chaque coureur est parfaitement au fait et tranquillisé par la situation. Les leaders sont dans une position un peu différente, mais on a conscience que ça peut être plus perturbant pour un jeune, un équipier, un coureur qui arrive en fin de contrat ou un coureur qui a été un peu en difficulté en début de saison. Ce sont plutôt eux qu’il faudra suivre de plus près, rassurer et accompagner.

Quelles sont les préoccupations spécifiques aux leaders ?

Elles ne sont pas les mêmes et leur avenir n’est pas en danger. Dans le cas précis, le vrai problème est qu’Arnaud n’a presque pas couru par exemple. Toute sa préparation était basée sur les mois de mars et d’avril… et il n’a fait que cinq jours de course. Il s’était beaucoup investi et il arrivait seulement dans sa période d’objectifs. Thibaut a lui respecté un programme à peu près normal et ce sera peut-être plus simple à accepter pour lui. Les concernant, la principale déception, frustration même, c’est celle de ne pas avoir profité de leur forme et de leur préparation pleinement pour gagner des courses sur les périodes qu’on avait déterminées. Mais ce sont des leaders, ils possèdent donc une force de caractère importante. Ils savent très bien qu’ils pourront rebondir sur d’autres projets. Thibaut a conscience qu’il aura de gros objectifs cet été, et Arnaud sait aussi très bien que, même sans Giro, une deuxième partie de saison dense et importante l’attend. Par essence, et de part son statut et son état d’esprit, un leader sait rester mobilisé. On s’en assurera, naturellement, mais Arnaud et Thibaut, comme d’autres, savent très bien que lorsque les compétitions reprendront, ils auront toujours cet avantage physique par rapport à d’autres. À un moment ou à un autre, leurs qualités et leur talent ressortiront.

« On a conseillé aux coureurs d’arrêter l’entraînement »

Assurer que l’équité sera plus ou moins préservée, c’est aussi un point d’accroche ?

Absolument. Il faut rassurer les coureurs en leur rappelant que tout le monde, ou presque, va être logé à la même enseigne, et qu’ils ne seront donc pas pénalisés. Au bout du compte, qu’on soit français ou étranger, chacun a une famille dont il veut prendre soin. En plus de cela, les déplacements ne vont pas être simples. Les frontières sont fermées. Un coureur qui tente de partir en stage assez loin pourrait même se retrouver confiné sur place… Beaucoup de choses vont rentrer en ligne de compte, mais oui, on peut dire que tout le monde est à peu près logé à la même enseigne dans les circonstances actuelles. Il faut donc s’arrêter un moment, comprendre, analyser, puis, quand le temps sera venu, on repartira sur des choses plus concrètes au niveau du travail. Car aujourd’hui, on peut certes s’entraîner en intérieur, mais au fond, pourquoi ? C’est une situation très difficile pour un coureur de rouler sans perspective, et je ne pense pas, personnellement, que ce soit la bonne solution pour préparer l’avenir.

Quelle est donc la directive donnée aux coureurs pour les jours à venir ?

Pour l’instant, on va leur conseiller, en concertation avec les entraîneurs, d’arrêter l’entraînement, même sur home-trainer. Le mot d’ordre de l’équipe est de rester confiné chez soi, se reposer, prendre soin de sa famille, et ainsi lutter contre le virus. On préconise cette coupure de douze jours et on espère, d’ici là, avoir avant tout une amélioration de l’état sanitaire global, et pourquoi pas des prémices d’infos, de dates fictives de retour. Le plus important pour le moment, c’est de s’arrêter. Ensuite, si les directives gouvernementales nous le permettent, on repartira sur des cycles de travail en extérieur, avec des objectifs, si ce n’est de compétitions, au moins de condition physique. Plus ou moins à l’instar de ce qui se fait en décembre. S’il y a par exemple une reprise à vue en juin, ce sera à nous de réenclencher une préparation, collégialement avec les entraîneurs, avec quelque chose de plus structuré.

1 commentaire

Patrick STEPHAN

Patrick STEPHAN

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Le 18 mars 2020 à 23:06

Je suis supporter de l’équipe depuis des années, cette situation inédite à cette époque de l’année contrarie les coureurs, j’admire la confiance qui vous habite pour y faire face. Bon courage à vous.