Laura Weislo : « Pas de course, pas d’argent »

Crédit photo Thomas Maheux

Crédit photo Thomas Maheux

C’est un visage familier de ceux qui se rendent régulièrement sur les courses cyclistes. Depuis une petite décennie, Laura Weislo collectionne les jours de compétition et les différents maillots. Non pas sur le vélo, mais en tant qu’assistante. Parmi les équipes pour lesquelles elle a notamment travaillé : Auber 93, Direct Energie, EF Education First, Movistar, Sojasun espoir, l’équipe nationale suisse ou encore, ces derniers mois, Israël Start-Up Nation. La Francilienne de 28 ans, qui réside aujourd’hui à Gérone (Catalogne), fait partie des innombrables personnes durement touchées par l’actuelle pandémie de coronavirus. En tant que “freelance” (travailleur indépendant), elle se retrouve sans travail et sans revenus pour une durée indéterminée. “Et beaucoup d’autres sont dans mon cas”, tient-elle à préciser. Pour DirectVelo, Laura Weislo - récemment à l’initiative de la création d’un site internet permettant de faciliter les contacts entre les équipes cyclistes et les assistants en recherche de contrats - partage son vécu et ses inquiétudes.

DirectVelo : Avant d’évoquer la situation liée à la pandémie de coronavirus, peux-tu nous rappeler comment tu t’es retrouvée dans le milieu du cyclisme ?
Laura Weislo : J’ai commencé à faire du vélo à Epinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis) et ce jusqu’en Espoir 1. Lorsque j’ai arrêté, on m’a proposé de donner un coup de main dans le staff et c’est comme ça que je me suis retrouvée dans le métier. C’était au début des années 2010. J’ai ensuite passé mes brevets fédéraux et une formation en massages en parallèle de mes études dans le sport. J’ai contacté des équipes pour mon stage et à ce moment-là, je ne pensais pas en faire mon métier. Puis au fur et à mesure, les opportunités se sont présentées dans différentes équipes amateurs ou professionnelles.

A-t-il été difficile de te faire une place dans ce “monde” ?
Au début, c’était un peu la galère. Je touchais 50 à 60 euros par jour sur le terrain, seule, avec beaucoup de choses à faire. Une fois que j’ai mis un pied dans le monde des pros, je me suis retrouvée dans une situation plus intéressante, où j’étais beaucoup mieux payée. Je commençais donc à avoir besoin de faire moins de jours de course dans l’année et j’ai décroché plus facilement d’autres contrats.

Signes-tu des contrats à l’année avec les équipes ?
Dans mon cas, c’est rare. Depuis 2013, ça ne m’est arrivé que deux fois, avec Auber et Wiggle. Les contrats annuels, c’est une sécurité supplémentaire mais personnellement, je préfère travailler en freelance. J’ai, par exemple, refusé une très bonne proposition de Movistar l’an passé mais les contrats annuels, j’y trouve certaines “contraintes”. Je préfère être libre et ne pas être toujours avec la même équipe car on s’installe dans une routine et je trouve ça monotone.

« MÊME LORSQUE ÇA VA REPRENDRE, IL Y AURA MOINS DE PLACES »

Que change l’actuelle crise de coronavirus pour toi ?
Théoriquement, j’avais environ 80 jours de course de prévus avec Israël Start-Up Nation pour cette saison 2020. J’en aurai forcément moins. Je devais aussi faire des courses avec Movistar ou la Suisse, entre autres, mais certains événements risquent de tomber à l’eau, comme le Tour de Romandie (lire ici). Le fait d’être freelance n’offre, du coup, aucune garantie. J’imagine que ceux qui ont des contrats continueront d’avoir des salaires qui tombent tous les mois, même s’ils devront sûrement rattraper des jours de course autant que faire se peut.

Mais pour les indépendants…
Forcément, ça va être problématique. Pas de course, pas d’argent. Je sais que le manque à gagner sera déjà de 3.000 euros ce mois-ci. Et il y aura forcément des répercussions pour plus tard aussi… Le plus compliqué, c’est que même lorsque ça va reprendre, il y aura moins de places pour les gens comme moi.

Pourquoi ?
Justement parce que les “salariés” des équipes auront des jours de course à rattraper. Les équipes feront donc sûrement moins appel aux indépendants. Concrètement, ça semblerait logique qu’Israël me dise qu’il y a dix masseurs qui doivent rattraper vingt jours de course et qu’ils n’ont donc pas besoin de moi. Mais bon, j’espère que ça va le faire malgré tout car on a des accords verbaux et je me dis qu’on ne va pas nous laisser tomber. S’il y a des reports de course, ça peut aussi nous “sauver”. Peut-être qu’en fin de saison, il y aura parfois quatre fronts certaines semaines et si c’est le cas, on aura besoin de nous. Mais c’est difficile d’imaginer comment ça va se passer.

« IL FAUDRA PEUT-ÊTRE EN FAIRE DEUX FOIS PLUS »

Dans le monde du cyclisme, y’a-t-il aujourd’hui plus de “soigneurs” en freelance ou en contrat annuel ?
Je dirais que c’est 50-50, environ. Parmi tous les freelance, beaucoup ont un job à côté. Tous ceux que je connais et qui ne font que ça de leur vie sont, comme moi, dans la mouise. En début d’année, j’ai lancé un site internet pour faciliter les contacts entre les équipes à la recherche d’assistants, et ces mêmes assistants en recherche de travail (voir ici). J’étais contente des deux premiers mois, ça tournait déjà bien. Là, forcément, mon site internet va aussi en prendre un coup, mais ça repartira peut-être bien quand les courses reprendront.

Combien de temps penses-tu pouvoir tenir dans la situation actuelle, sans jours de course au compteur ?
Personnellement, je dois avouer que j’ai quand même quelques réserves, heureusement. Mais c’est vrai que dans le monde du vélo, on n’a pas grand-chose pendant la trêve hivernale… Alors, quand la saison reprend, ça fait du bien. Or cette fois-ci, dès le mois de mars, ça s’arrête déjà… Se retrouver sans course aussi tôt, ça fait mal (le Président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé ce lundi soir qu’un fonds de solidarité sera prochainement mis en place notamment pour les travailleurs indépendants, NDLR). Je me suis vaguement renseignée pour savoir si les indépendants ont droit au chômage. C’est sans doute possible mais il faudrait rentrer dans certains critères spécifiques et surtout, le temps de faire toutes les démarches, la crise sera déjà passée. Quand l’activité reprendra tout doucement, il faudra peut-être en faire deux fois plus. Je pourrais par exemple éventuellement proposer plus de massages à Gérone (où vivent de nombreux coureurs durant la saison, NDLR).

Les restrictions dues au coronavirus touchants absolument tout le monde, tu ne peux pas non plus te reporter vers d’autres disciplines sportives…
Il y a quelques années, j’avais bossé dans le monde du basket également. Je ne suis fermée à rien pour la suite. Paradoxalement, peut-être que cette situation me poussera tout de même, à terme, à m’ouvrir à d’autres opportunités. Il est impossible de prédire l’avenir, et c’est sans doute plus vrai encore dans de telles circonstances.

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