L'interview vérité d'Eddy Merckx

Propos recueillis par Philippe Van Holle
L'interview vérité d'Eddy Merckx
©DEMOULIN

«Lance doit oser s'aligner dans des courses où il peut être battu!»
MEISE On ne vous la pose jamais et pourtant c'est la question la plus naturelle qui soit: comment va la santé?

(Interloqué!)«Bien!Toujours aussi actif, dans tous les sens du terme. Je roule régulièrement à vélo - notamment avec Gilles de Bilde et Willy Braillard -, ce qui me fait le plus grand bien. Pour le reste, mes affaires m'amènent encore à bouger énormément. Là, c'est la période des salons qui commencent. Le premier avait lieu cette semaine en Allemagne, à Friedrichshafen; j'y ai fait un aller-retour en voiture, en trois jours, en compagnie de Robert Lelangue. Ensuite, il y aura Milan, puis Hamilton. Entre-temps, j'organiserai aussi des journées portes ouvertes, ici, à Meise, pour les marchands, fin septembre et début octobre.»

Vous avez réussi à composer un beau plateau pour le 27e Grand Prix Eddy Merckx qui aura lieu dimanche. Pas facile de rassembler toutes ces vedettes après le Tour, les classiques d'août et avant la Vuelta et le championnat du monde!

«Non, mais il s'agit quand même d'une course classée 1.2 à l'UCI, que nous essayons d'ailleurs de faire passer à l'échelon supérieur. Du reste, il nous a fallu opérer une sélection, car nous avions davantage de propositions de candidatures que de places disponibles, ce qui est toujours un bon signe pour un organisateur.»

La formule du contre-la-montre en duo est-elle définitivement acquise?

«Oui. Elle a maintenant fait ses preuves depuis plusieurs années. C'est à la fois plus spectaculaire pour le public et moins contraignant, plus plaisant pour les coureurs.»

Impossible d'obtenir la participation de Lance Armstrong cette fois-ci?

«A partir du moment où il déclare lui-même que sa saison est déjà terminée, c'est difficile...»

L'épisode de Liège-Bastogne-Liège (lorsqu'Armstrong avait mené la chasse derrière Axel) est-il complètement oublié?

«Oui, nous nous sommes téléphonés plusieurs fois depuis, notamment pendant le Tour de France.»

Votre réaction (outrée) à la télévision était spontanée, impulsive...

«Sur le moment, j'ai réagi d'abord en temps qu'ancien coureur. Il n'était pas seulement question d'Axel. Tactiquement, Lance a très mal roulé. Quand on s'appelle Armstrong et que l'on veut gagner Liège-Bastogne-Liège, on roule d'une autre manière. La suite de l'épreuve m'a donné raison et, en fin de compte, il n'a quand même pas gagné. Maintenant, je me trouvais au commentaire, en direct, si ce n'est pas pour dire ce que je pense, cela ne sert à rien de le faire...»

Armstrong et vous êtes donc toujours bons amis. Pendant le Tour, par exemple, étiez-vous au courant de ses ennuis divers (diarrhée avant le départ de Paris, tendinite à la hanche, etc) ?

«Non! Nous n'en avons pas parlé. Il garde ses secrets et c'est normal. Tous les coureurs agissent ainsi. Mais j'avais bien remarqué, dès le début, qu'il n'était pas toujours au mieux. J'arrive à voir la différence qui existe entre avoir les traits tirés parce qu'on est en forme ou parce qu'on est tracassé par un mal quelconque. Dans cette édition, il est clair que Lance a énormément souffert de la chaleur exceptionnelle qui a régné sur la Grande Boucle.»

Armstrong ne sera pas présent au Championnat du Monde de Hamilton, en octobre prochain, qui plus est sur le continent américain, c'est regrettable, non?

«Certainement! C'est malheureusement ça aussi le cyclisme moderne. Il est vraiment dommage qu'un coureur de l'envergure d'Armstrong ne participe pas aux grandes épreuves cyclistes. Quand on est un champion comme lui, il faut oser s'aligner dans des courses où l'on peut être battu. Heureusement que tout le monde ne raisonne pas comme lui, sinon il ne faudrait plus organiser qu'une épreuve par an: le Tour de France. Cela tient aussi à la mentalité américaine, il y a une telle publicité qui est faite, aux Etats-Unis, autour du Tour qu'il n'y a plus que cela qui compte là-bas. Armstrong l'a bien compris, mais c'est quand même regrettable pour le cyclisme. Il n'est pas le seul à penser de la sorte. Le dernier vainqueur du Tour à avoir tout fait, c'était Bernard Hinault. Lance, je pense, tient aussi compte du cancer qu'il a eu. Il ne peut pas se permettre de courir toute l'année; il a besoin de se ménager des plages de récupération. À la fin du Tour, je l'ai quand même trouvé très éprouvé.»

Les Belges au Tour ont été inexistants...

«C'est vrai, mais il n'y en avait guère que huit. On dirait que le Tour de France ne les attire plus. Je ne comprends pas Van Petegem qui n'y va pas, alors qu'il est leader de la Coupe du Monde. Bettini, lui, y était, avec les résultats que l'on sait ensuite, à Hambourg et à San Sebastian...»

Parlons d'Axel (comme par hasard, au seul nom du fils de la maison, le canari, situé dans la pièce juste à côté du bureau d'Eddy, se met à chanter à tue-tête!). L'image d'un fils totalement vidé à l'arrivée d'une étape de montagne où il termine hors délai, cela doit être difficile à vivre pour un papa.

«Évidemment. Un père, automatiquement, se fait du souci pour son fils dans un cas comme celui-là. En même temps, je savais que cette (mauvaise) performance ne reflétait pas son niveau. En fin de compte, pour la suite de sa saison, je pense que c'est une chance qu'Axel soit arrivé hors délai. S'il avait pu continuer le Tour, on n'aurait peut-être jamais trouvé le mal dont il souffrait. Il a fallu des examens très approfondis, en effet, pour qu'on trouve les fameux champignons qui étaient présents dans tout son organisme. Et depuis un bon bout de temps! Je pense qu'il devait traîner ce mal depuis Paris-Nice, disputé en début de saison. Il avait abandonné la Course au Soleil, tout comme il avait ensuite jeté l'éponge à la Route du Sud, juste avant le Tour. Ce pourrait d'ailleurs être un phénomène récurrent car Axel avait déjà souffert de cette faiblesse générale voici dix ans, en débutant chez Telekom en tant que professionnel. À l'époque, les symptômes étaient encore plus forts puisque je me souviens de plaques sur tout son corps, qui partaient et revenaient. Comme une sorte d'herpès. C'était impressionnant.»

Dans ce contexte, sa victoire au Tour de l'Ain a dû complètement le rassurer.

«Oui. D'autant qu'il a dû se battre pour aller la chercher. Le premier jour déjà, il avait effectué 150 km d'échappée. Toute la semaine, on l'a trouvé aux avant-postes. Et son équipe l'a remarquablement entouré. À ce titre, je pense qu'il lui aura manqué un jour de récupération supplémentaire pour la course de Zürich. Il se classe encore 20e en Suisse, mais, normalement, il aurait dû être présent dans le dernier groupe de tête, avec tous les favoris.»

Pour Axel, le mondial canadien, le 12 octobre prochain, constituera un objectif important.

«Il faut d'abord qu'il soit sélectionné! Enfin, je pense en tout cas qu'il devrait entrer en ligne de compte pour cette épreuve. Après Zürich, il est parti directement, en voiture, pour Sankt Moritz, sans passer par Monaco. Il s'y est astreint à un entraînement poussé en altitude. Il rentrait ce vendredi pour participer dimanche au Grand Prix.»

Le parcours du championnat du monde, vous le connaissez? Axel pourrait y être chef de file.

«José de Cauwer est allé au Canada. Il prétend que le circuit est plus difficile que celui de Plouay, mais moins exigeant que celui de Vérone. De toute façon, on sera loin de Zolder, le tracé vallonné sera certainement assez sélectif. Quant au rôle d'Axel, il ne s'agit pas d'être oui ou non chef de file. Il faudra être forme, voilà tout. Espérons que Vandenbroucke soit en forme. On verra comment il sortira de la Vuelta.»

Concluons avec votre situation. Êtes-vous conscient du fait que vous avez tout réussi, votre carrière de coureur et votre reconversion de chef d'entreprise grâce auquel vous fournissez encore des équipes en matériel à concurrence d'environ 300.000 € par an?

«Je crois que je peux être légitimement satisfait. Voilà 23 ans que je suis sur le marché, lequel, en outre, est en expansion. L'an dernier, nous avions augmenté nos ventes de 15 à 20%. Les grandes victoires de nos coureurs, sur des vélos Merckx, ne sont pas étrangères à cette augmentation. Mais la qualité paie toujours. Nous ne sommes pas les plus grands, mais on tâche quand même d'être les meilleurs! Au-delà de cela, je suis fier de donner du travail à 27 personnes.»

© Les Sports 2003

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