Les confessions de Maxime Monfort sur sa vie de cycliste: “Je n’y prenais plus le même plaisir”
INTERVIEWAprès seize années au plus haut niveau du cyclisme mondial, Maxime Monfort a mis fin à sa carrière dimanche à Marche-en-Famenne. S’il avait initialement prévu de rouler au moins une année supplémentaire, le Belge a voulu saisir l’opportunité de devenir directeur sportif de Lotto-Soudal. Cette décision mûrement réfléchie est également la conséquence d’une lassitude légitime apparue ces dernières années. Ce grand passionné s’est confié à 7sur7 sur les sacrifices qui ont accompagné sa vie de coureur.
Votre carrière de cycliste est terminée depuis quelques heures et cette dernière course remplie d’émotions à Marche-en-Famenne. Dans quel état d’esprit êtes-vous?
C’est difficile à décrire. Je me sens toujours coureur cycliste alors que je suis sûr et certain de mon choix d’arrêter. La journée de dimanche était rêvée pour moi. Elle s’est terminée par une grande fête jusque tard dimanche soir. Lundi, j’ai essayé d’émerger et mardi j’avais quelques impératifs. Pour le moment, je ne me suis pas trop rendu compte. Je suis un peu perdu, mais sûr de moi. C’est très bien.
Réalisez-vous qu’une grande et belle page de votre vie vient de se tourner?
Je ne m’étais pas projeté. Je le sais depuis cinq ou six semaines, je suis rentré dans le processus, cela m’a aidé. Il n’y a pas vraiment de nostalgie, je suis content de ce que j’ai fait et content d’arrêter. C’est vrai que je suis soulagé car je n’y prenais plus le même plaisir. Je voyais les mauvais côtés plutôt que les bons. Par contre, je quitte le peloton sans être dégoûté, ce qui va me permettre de refaire du vélo, mais aussi de rester dans le milieu avec beaucoup de passion.
Je suis soulagé car je n’y prenais plus le même plaisir. Je voyais les mauvais côtés plutôt que les bons.
Vous êtes un immense passionné de vélo depuis votre enfance. Comment gérer cette passion en étant si jeune?
J’ai toujours fait passer le vélo avant tout le reste alors que je n’étais pas issu d’une famille de cyclistes. J’ai vécu comme un professionnel tout de suite, en faisant forcément pleins d’erreurs car j’apprenais auprès d’autres qui n’étaient pas dans ma famille. Notamment des excès dans le “professionnalisme” quand j’étais jeune. J’ai eu cette vie très tôt.
D’un côté, ces excès vous ont permis d’être habitué très tôt à ce quotidien dédié au vélo, avec toutes les contraintes que cela implique…
Ce sont des contraintes en tant que coureur, mais je n’ai jamais vécu cela comme des contraintes. Je les ai vues arriver quand mes enfants ont commencé à grandir et quand une vraie vie sociale s’est développée avec mon épouse. C’est à ce moment que je me suis rendu compte, même si je le savais, que mon métier était vraiment contraignant. Avant, je ne me posais pas la question, j’étais juste content de faire ce qu’il fallait pour rester au niveau.
J’ai vu les contraintes arriver quand mes enfants ont commencé à grandir. Je me suis rendu compte que mon métier était vraiment contraignant.
Existe-t-il des moments dans l’année où il est possible de décrocher?
J’ai tendance à dire qu’être cycliste, c’est 365 jours par an. Même s’il y a trois ou quatre semaines dans l’année, après la fin de saison de mi-octobre à mi-novembre, où on peut se relâcher. Mais finalement, on ne se relâche jamais vraiment à cette période. On ne peut pas prendre beaucoup de kilos et on reste des athlètes de haut niveau. Il peut y avoir des excès mais dans une certaine mesure. Ce n’est pas vraiment se relâcher. Il y a des cyclistes qui se laissent complètement aller, mais c’est autant de travail à refaire derrière. Il y a un minimum à respecter. Après, la préparation hivernale, c’est moins difficile qu’en pleine saison, mais il y a le mauvais temps, et toujours ces kilos à ne pas prendre.
Comment gérer cette alternance entre déplacements pour des courses et temps chez soi?
Il faut une structure familiale sur laquelle on peut s’appuyer. On part en moyenne 150 jours par an. Il faut pouvoir compter, et c’est mon cas, sur une épouse et des enfants qui comprennent cette vie et qui arrivent à vivre sans notre présence. C’est primordial, sinon c’est extrêmement compliqué pour eux et pour moi. Après, en ce qui me concerne, ils m’ont toujours connu comme ça. Je n’ai jamais été tout le temps à la maison donc ils sont habitués. On a réussi à trouver un équilibre, bien différent du quotidien de la plupart des gens, mais qui n’est pas moins bien. Il est même peut-être mieux, je ne suis pas là tous les jours mais on vit les choses différemment.
On part en moyenne 150 jours par an de la maison.
Avez-vous constaté un changement dans votre manière de travailler après avoir accepté cette forme de lassitude?
Sur la préparation, non. J’ai toujours réussi à garder ce sérieux, cela m’a aidé à rester au niveau. Après, je n’étais peut-être pas aussi pointu qu’au début, j’ai peut-être adapté un entraînement ou deux quand le temps était vraiment mauvais. Mais ce ne sont que des détails. Par contre, sur le fait de me dépasser et de me faire mal, j’entrais plus facilement dans une zone de confort et je n’arrivais plus à la dépasser.
Cela signifie que vous n’arriviez plus à accepter la douleur comme avant?
Ce n’est pas une souffrance en continu, sinon c’est impossible. Mais il y a des moments très importants où il faut arriver à se dépasser et à entrer dans cette zone de douleur. Ces derniers temps, après seize années complètes, sans coupure, c’était peut-être trop pour moi.
Vous aviez prévu initialement de courir encore une année ou deux. Cet épuisement a-t-il eu un impact sur ce changement d’avis?
J’ai eu une proposition fin août de mon équipe pour rester coureur mais surtout pour éventuellement passer directeur sportif. J’étais dans une réflexion par rapport à cette lassitude quand la proposition d’avoir un avenir concret s’est matérialisée. J’étais un peu choqué car ce n’était pas forcément prévu, mais je me suis dit que c’était le moment.
J’entrais plus facilement dans une zone de confort et je n’arrivais plus à la dépasser.
Avec un tel dévouement, vous terminez votre carrière avec le sentiment d’avoir exploité le maximum de votre potentiel…
Quand on est dans ce milieu du haut niveau, on est aussi confrontés aux critiques. Certaines disaient: ‘Monfort n’a pas beaucoup gagné, il y a beaucoup de frustration’. Mais chez moi, il n’y a eu aucune frustration car j’ai tout fait pour. J’ai tout essayé, dans le respect des règles, en termes d’entraînement, d’application mentale, j’ai même changé mes méthodes, je me suis vraiment impliqué pendant toutes ces années. Il n’y a aucun regret car le petit adolescent que j’étais n’aurait jamais cru une seconde qu’il allait vivre tout ça. Je pars d’une manière extrêmement sereine.
Vous allez immédiatement intégrer le staff technique de Lotto-Soudal en tant que directeur sportif, pourquoi ne pas avoir fait le choix de vous accorder une vraie coupure?
Je ne me suis pas posé la question car j’avais envie de ça. Je n’ai pas besoin de pause, j’ai toujours aimé être actif dans la vie. Les quelques semaines de transition vont être très appréciées, mais après je vais avoir besoin de me replonger dans le travail.
Quel est le programme de ces prochaines semaines?
Quelques réunions et formations vont s’enchaîner, mais c’est une période relativement calme pour moi. Je vais pouvoir amorcer cette transition en pensant à ma prochaine étape, tout en prenant du bon temps. À partir du 6 décembre, mes nouvelles fonctions commenceront officiellement.
Le petit adolescent que j’étais n’aurait jamais cru une seconde qu’il allait vivre tout ça.
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