Interview : Pavel Sivakov "Ne pas brûler les étapes"

Interview : Pavel Sivakov "Ne pas brûler les étapes"

Interview : Pavel Sivakov (Team Ineos) "Ne pas brûler les étapes"

Un mot tout d’abord sur ton Tour des Alpes, est-ce que tu t’attendais sincèrement à afficher ce niveau de performance ?

Non, je ne pensais pas gagner. Je savais que j’étais très bien, et peut-être même au plus haut niveau auquel j’ai jamais été donc j’étais assez confiant, mais sachant qu’il y avait Majka et Nibali je ne savais pas où je pourrais me situer par rapport à eux, donc oui, c’était une petite surprise.

Un moment marquant a été celui où Froome te tire dans une ascension, qu’est-ce qu’on ressent dans ces moments-là, quand un quadruple vainqueur du Tour de France fait le boulot pour toi ?

Sur le coup, on ne se rend pas vraiment compte, parce que c’est dans la course, mais après quand on y repense, c’est vrai que c’est un peu fou.

Donc sur le moment, jamais tu te dis, c’est Froome, j’ai pas le droit de lâcher ?

Non, je me disais juste que j’avais pas le droit de perdre la roue car j’étais avec le maillot de leader. Mais c’est vrai que c’est vraiment spécial de l’avoir eu sur cette course, ça m’a énormément apporté, et même dans l’optique du Giro. J’ai pas mal appris de lui, de la manière notamment dont il faut gérer son effort dans les montées, donc c’était vraiment super.

Est-ce que tu as eu une sorte de prise de conscience après la course par rapport au niveau que tu pouvais afficher ?

Ce n’était pas vraiment une prise de conscience, mais comment dire (il réfléchit)...Je savais qu’un jour en travaillant dur j’arriverais à un très bon niveau, mais peut-être pas aussi tôt. Donc c’est sûr que ça m’a fait réalisé que j’avais un très bon niveau, mais je savais que le Giro c’était une toute autre course, donc ça ne m’a pas non plus donné une super confiance par rapport à cette course en particulier. J’ai gardé les pieds sur terre, je me suis dit « C’est bien, t’as gagné le Tour des Alpes, maintenant profite un petit peu mais il faut passer à autre chose et travailler pour être bon au Giro. »

Justement dans la foulée du Tour des Alpes tu as appris le forfait de Bernal, comment tu réagis à ce moment-là ?

J’étais en Andorre et lui aussi, donc je suis passé le voir le jour de son opération. C’est vrai que ça m’a fait un petit choc, car j’étais prêt à bosser pour lui et à l’aider à remporter le Giro.

Est-ce que cette nouvelle t’as fait changer tes ambitions pour la course ?

Ça ne m’a pas vraiment fait changer mes ambitions, car je ne savais pas où j’allais sur une course de 3 semaines. Je me suis dit que j’allais prendre les choses jour après jour, et essayer de pas avoir de journée « sans ». C’est juste la façon d’aborder la course qui a changé en fait, si Egan avait été là, j’aurais pu prendre quelques journées tranquille pour être plus frais afin de l’aider en montagne, alors que là il fallait que je sois frais du début à la fin, sans ne jamais rien lâcher. Je dirais donc que ce n’était pas vraiment un changement d’ambition, mais plus un changement de mentalité dans la manière où je devais aborder la course.

Je ne vais pas te demander si le top 10 était une surprise, car j’imagine que c’en était une...

Ouais surtout le fait d’avoir été constant sur trois semaines. J’ai eu quand même quelques journées un peu plus difficiles, mais jamais une journée sans où j’ai perdu 5 à 6 minutes, comme ça arrive à pas mal de coureurs.

Du coup, la question qui m’intéresse plus au vu de ton âge (21 ans), c’est comment tu juges l’écart entre toi et les meilleurs ? Qu’est-ce qui te manque encore pour les suivre ?

Je pense qu’il me manque encore un peu de puissance et de force, ce qu’on arrive à avoir avec l’âge et le nombre de Grands Tours que l’on fait. Si je regarde les moments où j’ai perdu un peu de temps, c’est par exemple sur une montée comme le Mortirolo où il m’a manqué encore un peu de force pour pouvoir suivre les meilleurs en montagne, et pour rivaliser avec eux sur les chronos également.

Il y a quand même des moments où tu étais bien, on se souvient notamment de celui où tu passes Nibali et Roglic qui font de la patinette…

En fait ce jour-là c’est sûr que si ils n’avaient pas fait de la patinette, je ne les aurais pas attaqué. Après, lors de la 20ème étape, je ne les ai pas vraiment attaqué, j’ai juste fait ma montée, j’ai accéléré un peu sur la fin du col quand j’avais Roglic et Nibali dans la roue et au sommet lorsque je me suis retourné j’ai vu qu’ils n’étaient plus là. Donc ça (il est amusé), c’était vraiment un des moments forts de mon Giro, parce que lâcher des mecs comme ça à la pédale, sans même attaquer, c’était un peu spécial. Pour finir la-dessus, c’est vrai que j’ai eu des très bonnes journées, mais je n’étais pas non plus avec Carapaz et tout, et il me manque encore un petit truc, ce qui est normal. Ça serait même, je dirais pas inquiétant, mais être déjà à 21 ans parmi les meilleurs...Si on veut faire une longue carrière c’est quand même difficile de rester à ce niveau tout le temps. Je suis donc content d’avoir encore une marge de progression et j’espère un jour arriver au niveau de ces gars-là.

Cette envie d’y aller tranquille, tu me l’a répété à plusieurs reprises au fil des interviews, on sent que c’est quelque chose qui te tient à cœur d’y aller « étape par étape ».

Ouais c’est sûr. Je pense que c’est important pour la longévité d’un coureur, car je me rends compte que pour préparer une course comme ça c’est pas mal de sacrifices. Et si on arrive à finir ses courses et ses saisons encore assez frais mentalement et physiquement c’est important. Pour un jeune coureur il ne faut pas brûler les étapes et y aller tranquillement pour arriver à maturité un peu plus tard.

Tout à l’heure tu évoquais quelques bons moment du Giro, quel est le meilleur d’entre eux ?

Je pense que c’est ça, avoir lâché Nibali et Roglic lors de la 20ème étape, sur la montée la plus dure du jour, et même si c’était en début d’étape. Ça m’a fait bizarre de pouvoir faire ça car c’est quand même Nibali et Roglic. Après je dirais aussi le fait d’avoir revêtu le maillot blanc de meilleur jeune, c’était vraiment cool aussi de l’avoir pour quelques jours.

On sent que ce moment avec Nibali et Roglic te fait sourire, qu’est-ce que tu te dis justement à cet instant-là ?

Ce jour-là c’était la dernière étape de montagne, donc j’avais dans un petit coin de ma tête l’idée de pourquoi pas remonter au général. Yates et Majka n’étaient pas si loin devant moi et à un moment j’étais virtuellement devant Yates. J’avais eu 2 journées difficiles avant cette étape, notamment dans le Mortirolo, je pensais que je commençais à fatiguer, et au final j’étais super bien lors de la 20ème étape.

Est-ce que tu as des regrets par rapport à cette étape au final, que ça n’ait pas plus bataillé ?

Ouais c’est sûr, il y avait en plus Eddie devant et quand on est rentrés sur eux, j’aurais peut-être du lui demander de rouler pour ne pas que Yates rentre, mais il restait quoi, encore 100 kilomètres, donc je ne sais pas si ça aurait changé grand-chose. Au final, c’était le jour où il me fallait une montée plus pentue pour finir, alors que les journées précédentes, j’espérais au contraire que ça soit un peu moins dur. Mais bon, pas de regrets, c’était quand même une belle journée pour moi.

Dans l’optique du futur justement, est-ce que ça te donne de l’espoir de voir que tu termines bien le Giro, et qu’en fin de troisième semaine tu montres de belles facultés en terme de récupération ?

Ouais et c’est surtout le fait que même en 1ère et 2ème semaine j’ai toujours été au contact, et j’ai pas vraiment eu de grosse journée sans, comme je le disais au début. Si on regarde les écarts sur chaque étape, je ne perds jamais beaucoup de temps sur les favoris, et c’est vraiment bien pour moi.

Pour finir sur le Giro, tu as découvert un peu la pression médiatique, comment tu as géré ça ?

Au Giro honnêtement ça s’est bien passé, j’étais un peu sollicité mais pas plus que ça. C’était plus au Tour des Alpes en fait, où en tant que leader j’avais la conférence de presse et le contrôle anti-dopage après chaque étape. Je ne dirais pas que ça empiétait sur ma récupération, mais c’est une heure et demi où tu n’es pas dans le bus pour récupérer. Après pour en revenir aux médias, c’est quelque chose de normal quand tu arrives à un haut niveau, donc c’est juste quelque chose qu’il faut apprendre et gérer.

Quid de la suite désormais, un peu de repos ?

Cette semaine oui, là j’ai vraiment fait 3 jours sans rouler, et je vais reprendre lors de la Route d’Occitanie. Pour la suite, on a pas encore défini le programme, peut-être le Tour de Pologne en août.

Tu m’avais dit que tu voulais prendre ta revanche sur la Vuelta, est-ce que ça serait trop d’enchaîner un second Grand Tour fin août ?

Sincèrement on y a pensé, mais même si c’est faisable physiquement, je pense que le plus important c’est de ne pas griller les étapes.

Et les mondiaux, c’est dans un coin de la tête ?

Ouais ça me plairait de faire ça, ça fait plusieurs saisons que j’y vais tous les ans, et pourquoi pas préparer les mondiaux.

Propos recueillis par Charles Marsault (photo : LaPresse - D'Alberto / Ferrari / Paolone / Alpozzi)

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