Il est un touche à tout qui n’a peur de rien, voire qui se cherche encore. Matej Mohoric, 24 ans, est un homme de classiques : mais il ne sait pas encore lesquelles, et même, en vérité, il pense aux courses par étapes. Cette saison, pour la première fois, il découvre les courses flandriennes et ces pavés qu’il avait aimé, déjà, chez les jeunes. Il y a deux semaines, dans le final de Milan-Sanremo, il était à deux doigts d’aller chercher un monument. Finalement, s’il en garde un peu de déception, il a surtout gagné beaucoup de confiance avant d’aborder le printemps – 9e de Gand-Wevelgem, 15e d’A Travers la Flandre. Avant le GP E3 et le début de sa campagne flamande, il y a une semaine, il a répondu à la Chronique du Vélo. Après de brèves présentations dans un français presque parfait, la vie à Monaco aidant, c’est en anglais que le Slovène s’est raconté.

Cinq jours après Milan-Sanremo (au moment de l’entretien), pensez-vous encore au final de la course ?

Oui, bien sûr. J’étais un peu déçu par le résultat mais une cinquième place, ce n’est pas si mal. Seulement, j’ai fait quelques erreurs dans le final et je ne veux pas les répéter sur les prochaines courses.

Vous pensez avoir fait des erreurs ?

Oui. Je pensais que mon coéquipier dans le final était Sonny Colbrelli mais en réalité, c’était Vincenzo Nibali.

Parce que vous avez semblé très près de la victoire. Quand vous attaquez dans le dernier kilomètre, si Julian Alaphilippe ne saute pas dans votre roue, vous gagnez, non ?

Oui, je pense aussi. J’ai attaqué quand il restait un kilomètre, avant les deux derniers virages, et je pensais que c’était le moment parfait. Mais Julian était très vigilant, il était très concentré sur tout le monde puis suivre chaque attaque et gagner la course.

Avant la course, vous étiez un outsider. Quand vous êtes avec Alaphilippe, Sagan, Valverde, Kwiatkowski, dans le final, que vous dites-vous ?

Sur la via Roma, Mohoric, à droite de l’image, n’a pu faire mieux que 5e – Photo RCS Sport

J’étais assez confiant sur le fait que s’il y avait une sélection, je pourrais être dans le bon groupe. Ma condition est bonne, mes jambes aussi, j’étais prêt pour Milan-Sanremo comme je suis prêt pour les classiques flandriennes qui sont mon objectif du printemps.

Les flandriennes justement, c’est une découverte pour vous. Pourquoi cette saison ?

Parce que je pense que ces classiques correspondent à mes caractéristiques, j’aime me battre pour ma position, j’aime ces routes, la tactique, le vent. Mais il y a d’autres courses qui me vont bien, comme le Tour de Catalogne. Il y a beaucoup d’étapes où j’aurais pu bien figurer. Je pense que j’étais dans les dix premiers de quasiment toutes les étapes l’an dernier (6 étapes sur 7, en effet, ndlr). Mais c’est en même temps, alors jusqu’ici mes équipes avaient choisi de me mettre davantage sur ce type de courses, elles pensaient que c’était plus probable que j’obtienne des résultats, et j’évitais aussi de prendre trop de risques de chuter ou d’avoir un incident sur les pavés. Mais cette saison, je voulais vraiment faire les classiques. L’an dernier, j’ai fait le Binck Bank Tour et avec un peu de chance, j’ai remporté le classement général. Donc je pense que je peux bien me débrouiller sur les pavés ces prochains jours.

Plus jeune, avez-vous goûté à ces pavés, sur les épreuves juniors de Paris-Roubaix et du Tour des Flandres par exemple ?

J’ai été sur Paris-Roubaix juniors, oui, deux ans de suite. Et j’ai beaucoup aimé. Ça ne s’est pourtant pas bien passé pour moi. La première année, j’ai fait un bon résultat (14e, ndlr) mais la deuxième fois, j’ai eu un problème mécanique dans le final. Mais j’aime ce type de courses, surtout la partie technique.

Les flandriennes sont généralement les classiques les plus ouvertes, les plus spectaculaires. Vous pensez pouvoir être un de ceux qui fait la course ?

Je ne sais pas, je vais voir. Ce sera ma première fois. Mais habituellement, j’aime les courses quand ça devient tactique, quand vous devez être concentré, vigilant, que les stratégies d’équipes rentrent en compte. Il faut alors avoir des coéquipiers ou d’autres leaders autour de vous. Je crois que chez Bahrain-Merida, nous avons un bon collectif, avec notamment Sonny Colbrelli et Ivan Cortina, qui ont beaucoup d’expérience. Si nous courons les uns pour les autres, si nous nous protégeons mutuellement, nous pouvons faire une bonne campagne.

Ce programme sur les flandriennes veut-il dire que vous ne ferez pas Liège-Bastogne-Liège cette année ?

Pour le moment, non, je ne pense pas que j’irai sur Liège. Normalement, je dois aller jusqu’à l’Amstel puis prendre quelques jours de repos avant le Tour de Romandie.

« La course que j’attends le plus ? Je pense que c’est le Tour des Flandres, parce que c’est la plus spéciale, la plus prestigieuse. C’est sûrement l’une des courses les plus dures du monde. »

– Matej Mohoric

Ces dernières années, est-ce que les classiques ardennaises vous ennuyaient ?

Oui, je pense qu’il y a beaucoup plus de gestion dans les ardennaises. Mais en vérité, les jambes parlent aussi davantage, et je ne crois pas que ma condition était assez bonne, ces dernières années, pour lutter avec les meilleurs. Je ne grimpais pas assez bien, la tactique sur ces courses est aussi moins décisive, alors c’était difficile pour moi de faire un résultat. Au fil des années, j’ai aussi toujours eu des leaders plus forts dans l’équipe, sur ces courses. Je devais donc faire un boulot d’équipier. Alors l’an dernier, on a pensé à modifier un peu mon programme pour que je fasse le début des classiques plutôt que la fin.

Les saisons passées, Bahrain-Merida n’avait pas vraiment de coureur capable de gagner sur les pavés. Pouvez-vous être une surprise, sur le Tour des Flandres par exemple ?

Je pense que l’an dernier, Sonny (Colbrelli) n’était pas loin de jouer la victoire à plusieurs occasions. Mais cette année, il y a aussi d’autres gars dans l’équipe qui peuvent être là. Alors c’est dur de dire avant la course si on aura de bonnes jambes, mais on fera tout pour décrocher un résultat dans les deux prochaines semaines.

Vous avez déclaré forfait pour le week-end d’ouverture à cause d’une blessure. Vous allez donc voir les pavés avec un peu de retard sur les autres, ça vous inquiète ?

Oui, je n’ai pas aimé chuter à l’entraînement, je voulais vraiment courir le Het Nieuwsblad et Kuurne-Bruxelles-Kuurne. J’avais aussi des ambitions sur les Strade Bianche, qui était mon plus gros objectif du printemps, mais avec cette chute, ça a retardé mon pic de forme de quelques semaines. J’espère donc que je serai au top sur les flandriennes et on verra comment ça se passe.

Après Milan-Sanremo, on imagine que vous avez gagné en confiance.

Oui, bien sûr. Quand la sélection s’est faite, j’ai montré que j’avais de très bonnes jambes et j’espère que ma forme va aller en s’améliorant encore. Tirreno m’a aidé à revenir en forme après ma chute, parce que j’avais observé quelques jours d’inactivité à cause de mon genou. Mais désormais c’est bon et j’espère atteindre mon pic de forme pendant les classiques.

Après la Vuelta en 2017, le Slovène s’est imposé sur le Giro en 2018, à Gualdo Tadino – Photo RCS Sport

Quelle est la course que vous attendez le plus, dans cette campagne flandrienne ?

Je pense que c’est le Tour des Flandres, parce que c’est la plus spéciale, la plus prestigieuse. C’est sûrement l’une des courses les plus dures du monde.

Est-ce aussi celle qui vous correspond le mieux ?

Ça c’est difficile à dire parce que je n’y ai encore jamais été. Mais sur le papier, oui, je pense.

Ces deux dernières années, vous avez beaucoup gagné, avec notamment ces victoires sur le Giro et la Vuelta. Qu’est-ce que ça a changé pour vous ?

Je pense que ça m’a apporté de la confiance. Bahrain-Merida m’a aussi donné plus de responsabilités, j’ai dû davantage porter les ambitions de l’équipe, j’ai dû me mettre au niveau et être prêt pour les courses où je devais performer. Ils m’ont soutenu alors j’essaie de leur rendre du mieux que je peux.

Votre manager, Brent Copeland, a dit qu’avant, vous vouliez toujours aller dans l’échappée, et il a dû vous calmer un peu. C’est vrai ?

C’est surtout que dans le passé, j’étais le plus souvent équipier. Alors j’essayais de faire mon travail du mieux que je pouvais mais je ne roulais pas pour moi. J’aidais les autres à 100 %. Mais maintenant, quand je suis le leader, le coureur protégé, c’est totalement différent et c’est bien plus facile de faire un résultat par moi-même. Parfois, on ne voit pas les efforts faits par les autres coureurs, à quel point ils aident leurs coéquipiers. Mais c’est un sport d’équipe et j’apprécie le travail de mes coéquipiers.

A vos débuts, vous étiez présenté comme un grand espoir du peloton. Etait-ce dur d’assumer cette pression ?

Pour moi, ce n’était pas trop compliqué parce que je ne me mets pas trop de pression. Les autres parlent et pensent, mais je m’en fiche. En revanche, l’écart de niveau entre les catégories jeunes et le peloton professionnel, c’était autre chose. C’était très dur. C’est presque un autre sport. Ça demande beaucoup plus, c’est plus professionnel, plus long, plus dur, plus rapide. Ça m’a pris quelques années pour m’y faire mais je crois que maintenant, je suis au niveau où je peux penser à faire des résultats sur les grandes courses.

« Pour moi, c’est surtout compliqué de me spécialiser dans un seul type de courses, parce que je ne suis pas super dominant dans un domaine. Je peux être bon partout, mais je ne suis ni un super sprinteur, ni un super grimpeur, etc. Alors pour moi, il s’agit de toujours essayer et de trouver une course qui récompense ma polyvalence. »

– Matej Mohoric

Ressentiez-vous malgré tout que l’on parlait plus de vous que d’autres jeunes coureurs ?

Oui, mais je m’en moquais. J’étais simplement concentré sur moi, sur mon travail. Je croyais en moi et je pensais qu’un jour, je serais capable de me battre avec les meilleurs. Mais je pense que pour les jeunes, aujourd’hui, c’est compliqué. Remco Evenepoel, par exemple, était une star chez les jeunes et je pense que l’on parle trop de lui. Ça lui met énormément de pression et ça n’aide pas nécessairement. Vous devez être costaud pour ignorer ça et vous concentrer sur vous. Pour moi, c’est un peu trop, parfois. Mais il faut dire aussi que, généralement, ce sont ces coureurs-là qui deviennent les futurs champions.

Plus jeune, on vous comparait aussi avec Sagan, alors que vous avez en réalité des profils très différents…

Je ne m’en occupais pas trop. Je pense que Peter est un coureur complètement différent de moi. Physiquement déjà, il est davantage un sprinteur, et moi un grimpeur. Je peux aussi jouer les classements généraux.

En parlant de grimper, vous pensez de plus en plus aux classements généraux pour les années futures, non ?

Oui, j’y pense. J’ai gagné deux classements généraux l’an dernier, sur le Binck Bank Tour et le Tour d’Allemagne. Je pense que je vais me concentrer sur le général sur quelques courses par étapes, cette année après le Tour. Pour cela, il faudrait aussi que je travaille un peu mes qualités de montagne.

On dirait que vous voulez tout essayer. Vous vous ennuyez quand vous avez le même programme chaque année ?

Pour moi, c’est surtout compliqué de me spécialiser dans un seul type de courses, parce que je ne suis pas super dominant dans un domaine. Je peux être bon partout, mais je ne suis ni un super sprinteur, ni un super grimpeur, etc. Alors pour moi, il s’agit de toujours essayer et de trouver une course qui récompense ma polyvalence. Mais je crois que j’ai trouvé ma voie ces dernières années et j’espère obtenir des bons résultats dans le futur.

Ce que vous avez fait sur Milan-Sanremo ou en gagnant des étapes du Giro et de la Vuelta, ça montre que vous êtes un homme de classiques, non ?

Oui, pour l’instant, je vais me concentrer sur ce printemps et sur les classiques d’un jour. Mais pour la suite de ma carrière, il s’agira peut-être davantage des classements généraux.

Quand vous étiez jeune, quelle était la course dont vous rêviez ?

Le Tour de France, je crois. Parce que c’était la course la plus connue. Quand je ne connaissais pas grand chose au vélo, je connaissais quand même le Tour de France. Mais je ne pense pas que ça a eu une influence sur le coureur que je voulais être. C’était juste la course que je connaissais parce qu’elle passait à la télévision. D’ailleurs, ça n’a jamais été mon rêve de gagner le Tour de France. J’adorais juste prendre mon vélo et rouler et c’est pour ça que j’ai voulu devenir coureur professionnel.

Buy me a coffeeOffrir un café
La Chronique du Vélo s'arrête, mais vous pouvez continuer de donner et participer aux frais pour que le site reste accessible.