La Grande Interview : Tony Hurel

Crédit photo DirectVelo

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Il pensait faire toute sa carrière dans la structure de Jean-René Bernaudeau. Pourtant, après trois saisons au Vendée U puis sept nouvelles années dans l’équipe première au Team Europcar puis Direct Energie, Tony Hurel a dû se faire une raison. Remercié par ses dirigeants, le Calvadosien pensait avoir trouvé un point de chute en se mettant d’accord avec David Lima Da Costa et l’Armée de Terre. Raté.  “J’étais vraiment effondré. On était déjà mi-novembre et je savais que c’était fini pour les pros”. Décidé à tout plaquer sur le coup, le Normand de 30 ans décide finalement de repartir pour une nouvelle aventure chez les amateurs de Sojasun espoir-ACNC, avec l’appui de son ami Julien Guay, celui même qui l’avait déjà fait venir au Vendée U, dix ans plus tôt. En 2018, l’ancien lauréat de la Polynormande (2012) et d’une étape de la Tropicale Amissa Bongo (2017) ne va courir qu’après une seule chose : un nouveau contrat professionnel. “C’est l’année charnière, ça passe ou ça casse. Mais je me vois encore faire trois ou quatre ans chez les pros sans soucis”. A la croisée des chemins, Tony Hurel sait que les prochains mois seront décisifs pour son avenir sportif.

DirectVelo : On te voit très motivé et déjà aux avant-postes sur les premières courses de l’année : après quoi cours-tu actuellement ?
Tony Hurel : Un contrat pro, c’est clair et net ! Je veux simplement montrer que ma présence chez les amateurs est une erreur... Si je ne trouve pas un contrat pro avant la fin de l’année, j’arrêterai le vélo. C’est l’année charnière, ça passe ou ça casse. Mais je veux prouver que j’ai le niveau, tout en aidant les jeunes de Sojasun à passer au-dessus, eux aussi. J’ai le couteau entre les dents.

Tu te sens donc capable de faire encore un bon bout de chemin sur le vélo car si tu veux repasser pro, ce n’est sans doute pas pour une seule année ?
Ah oui c’est clair ! Je suis encore passionné et j’ai l’envie. J’ai 30 ans, je ne suis pas vieux. Si j’ai la chance de retrouver un contrat, je me vois encore faire trois ou quatre ans chez les pros sans soucis. Par contre, je ne continuerai pas chez les amateurs. Financièrement, je suis à l’abri pendant deux ans mais après, il ne faudra pas trop jouer au con. J’ai une femme, un enfant… En amateurs, c’est compliqué financièrement. 2018 est une année pour rebondir ou pour passer à autre chose.

« IL FAUDRA COMPTER SUR MOI »

Pour retrouver un contrat pro, il faudra marquer les esprits sur les plus gros rendez-vous…
J’en ai parlé avec Stéphane Heulot (directeur sportif chez Sojasun espoir-ACNC, NDLR). On aura un très gros programme de courses au mois d’avril avec le Circuit des Ardennes, le Tour du Loir-et-Cher et le Tour de Bretagne. Je dois marcher sur ces courses-là. Ce sera un mois très important pour moi. Le gros objectif, ce sera le Tour de Bretagne. Je pense essayer d’y viser une victoire d’étape, plutôt que de jouer un général. Ensuite, il y aura le Championnat de France. Dans les Yvelines, ça peut me convenir.

Il faut donc s’attendre à te voir régulièrement et sur les hauteurs du Challenge BBB-DirectVelo !
C’est clair que je veux faire une très belle année, je suis motivé comme un Cadet. J’aime le vélo et j’ai envie de gagner des courses. On me verra toute l’année et c’est logique : je sors de sept années chez les pros. J’ai fait trois Grands Tours, des Classiques comme Milan-San Remo ou le Tour des Flandres, des courses avec plus de 250 kilomètres ! Je n’ai pas la même force qu’un jeune de 20 ans, c’est normal. Cela dit, ce n’est pas pour ça que je vais gagner. La preuve, je ne l’ai pas encore fait ! En tout cas, il faudra compter sur moi.

Cela doit te faire bizarre d’avoir changé de structure après une décennie à “l’école Jean-René Bernaudeau”, dans la réserve du Vendée U puis dans la structure professionnelle ?
Oui et non : je me suis vite habitué. L’équipe Sojasun est très bien structurée, comme une Continental, je pense. Il y a des gens avec de très grandes compétences ici et ça ne me fait pas plus bizarre que ça. Le plus drôle, c’est les à-côté, comme le fait de se changer au camion… Ca change un peu du bus (rires). Mais ça fait partie du vélo. En retournant chez les amateurs, je savais que ça allait être ça. Enfin, c’est le vrai vélo, à l’ancienne, au contact du public. J’aime bien !

« LE VENDÉE U, C'ÉTAIT UN RÊVE DE GOSSE »

Il n’a jamais été envisageable que tu retournes au Vendée U ?
Non pas du tout. Il fallait que je change d’air. Je n’avais pas envie d’y retourner. Pour moi, ça aurait été un retour en arrière. Evidemment, le fait même de se retrouver en Amateurs est un retour en arrière mais avec le Vendée U, ça aurait été encore plus marqué, je trouve. J’avais besoin de rencontrer d’autres personnes, même si je garde de très bons contacts avec le Vendée U et Direct Energie.

Revenons à ton histoire avec la structure vendéenne. Tout a commencé en 2008 et c’est là-bas que tu t’es construit en tant que coureur ?
Oui, clairement. Il faut dire que lors de mes deux premières saisons Espoirs au CA Mantes-la-Ville, je me cherchais encore. Je travaillais puisque j’étais en apprentissage, en CAP de plomberie. Nous n’avions pas un gros calendrier de courses avec l’équipe et c’était “compliqué” pour moi. J’ai décidé de ne faire que du vélo en Espoir 3. Je voulais rejoindre une belle structure de DN1 pour me donner les moyens de réussir. J’ai débarqué au Vendée U grâce à Julien Guay, qui était déjà un très bon copain à l’époque. J’ai progressé d’année en année là-bas.

Qu’est-ce qui t’avait le plus marqué, les premiers mois, lors de ton arrivée au Vendée U ?
Déjà, c’était un rêve de gosse de rejoindre cette équipe, réserve de la formation professionnelle. Rien que de l’extérieur, ça paraissait génial. Je savais que j’allais avoir un programme de courses assez important, avec des entraîneurs qui allaient me suivre de près. C’était nouveau pour moi. Ce n’était que du bonheur ! Le Vendée U aura clairement été un tremplin dans ma carrière.


« ON SE SENT PRIVILÉGIÉ »


Tu t’étais vite imaginé devenir coureur professionnel ?
Je suis issu d’une famille de cyclistes. Tout petit, j’allais voir mon père courir (Joël Hurel, NDLR). J’y allais tous les dimanches, déjà à 4 ou 5 ans. J’ai été bercé dans le vélo. Bien avant le Vendée U, en fait ! Depuis tout gamin, mon rêve était de passer pro. Quand j’étais à l’école, je ne pensais déjà qu’à ça. Je me suis toujours dit que je serais coureur professionnel et finalement, mon rêve s’est réalisé. Tant mieux, car je n’avais pas d’autres idées ou d’autres secteurs en vue…

Quels souvenirs gardes-tu, une décennie plus tard, de ces années passées avec les rouge-et-blanc ?
J’y ai appris les valeurs de la vie, le partage, le respect… On avait la chance d’avoir un manoir à disposition. Je me souviens que l’on pouvait habiter là-bas, tous ensemble. On apprend à vivre en groupe et c’est quelque chose de fort. Quand on est au Vendée U, on se sent privilégié. Bien sûr, il faut faire ses preuves comme tout le monde… Mais cette équipe a toujours fait rêver les jeunes et ce n’est pas pour rien. C’est une sacrée belle formation, c’est même le top.

Et sportivement parlant ?
C’était mes meilleures années sur le vélo ! On arrivait à dominer pas mal de courses, c’était super plaisant. Je me souviens notamment du Circuit des Plages vendéennes en 2010 : on avait fait fort là-bas. On réussissait à créer des bordures et à faire mal à tout le monde. On était arrivé à six ou sept de l’équipe ensemble, main dans la main. Ce sont des souvenirs extraordinaires. Et tout cela m’a permis de passer pro en 2011.

« IL Y AVAIT MOINS DE RELATIONNEL »

Ta première course chez les pros, c’était en 2009, sur le Tour de l’Ain, lorsque tu avais été une première fois stagiaire chez Bbox Bouygues Télécom !
(Rires) C’était vraiment dur ! Je me souviens d’une étape autour de Lélex, sur une centaine de bornes. L’étape débutait par un col et j’avais pété de suite. J’avais fait toute l’étape derrière, avec un autre coureur. Et là, quand j’ai coupé la ligne, je me suis dit : “Eh bien putain c’est ça les pros ! Je vais morfler !”. J’avais bien reçu comme on dit. En plus, il y avait encore un chrono à faire l’après-midi mais moi, j’avais déjà fait mon chrono le matin ! C’est marrant après coup, et ça faisait partie de l’apprentissage.

Qu’espérais-tu lorsque tu es passé pro en 2011 ?
Je voulais évoluer le plus vite possible et faire de grosses courses. Au tout début, c’était compliqué. J’étais intimidé, même si on voyait bien que c’était les mêmes valeurs qu’au Vendée U. Je sortais de la réserve où j’avais toujours été chouchouté par le staff, avec une bande copains… Et là, tu te retrouves avec les plus anciens comme Thomas Voeckler et ça fait bizarre. Dans l’équipe pro, je me suis retrouvé un peu plus livré à moi-même. Quand j’étais au Vendée U, j’avais mes directeurs sportifs au téléphone toutes les semaines. Ils étaient à la fois nos entraîneurs et nos conseillers. Ce n’était plus le cas chez les pros, il fallait se débrouiller. Il y avait moins de relationnel.

Tu aurais aimé être rassuré ?
C’est vrai que parfois, j’en aurais eu besoin. Ce qu’il m’a manqué, c’est des liens avec le staff. Je ne me souviens pas d’avoir eu beaucoup de coups de téléphone des directeurs sportifs. Mais il n’y avait rien de grave non plus, je me suis vite habitué. C’est juste qu’il n’y avait plus la copinerie d’avant mais après tout, on est des pros ! C’est du travail et on le sent.

« MES DEUX RÊVES ÉTAIENT DE PASSER PRO ET DE DISPUTER UN GRAND TOUR »

Autrement dit, il vaut quand même mieux avoir un minimum confiance en soi lorsque l’on débarque chez les pros ! 
Ah ça, c’est clair ! Mais je pense que c’est partout pareil. Et c’est logique. Ce n’est pas une critique, c’est simplement quelque chose de différent et les coureurs ne doivent pas être surpris quand ils basculent des amateurs aux pros.

Comment ton rôle au sein de l’équipe Direct Energie a-t-il évolué au fil des saisons ?
Les trois premières saisons, je progressais de façon linéaire. En 2014, on est passé WorldTour et au niveau du calendrier, ça m’a fait beaucoup de bien. J’ai fait Tirreno-Adriatico, le Tour de Romandie et même le Giro. Ces courses-là m’ont fait progresser. Je me souviens avoir fait un très bon Giro ou avoir terminé 2e d’étape en Romandie (seulement devancé par Michaël Albasini, NDLR). C’était, et ça reste aujourd’hui encore, ma meilleure saison !

Tu as disputé un Tour d’Italie puis deux Tour d’Espagne : finalement, il ne t’aura manqué qu’une participation au Tour de France !
Si j’avais dû le faire une fois, ça aurait été en 2014 justement. J’étais en condition pour le faire. Et puis, avec les résultats que j’avais, c’était justifié… Mais bon, je venais déjà de faire le Giro et je n’allais pas doubler ! Par la suite, je n’ai jamais réussi à y aller. Ce n’est pas un drame, je n’ai pas de regrets. Mes deux rêves étaient de passer pro et de disputer un Grand Tour. J’ai réalisé les deux.


« J’AVAIS ENCORE MA PLACE DANS L'ÉQUIPE »

Tu t’es imaginé faire toute ta carrière dans la structure de Jean-René Bernaudeau ?
Je me sentais vraiment bien dans l’équipe alors je n’ai jamais imaginé partir. Je suis arrivé au Vendée U en 2008 et je connaissais vraiment bien tout le monde. Je me sentais bien dans le groupe alors pourquoi partir ? Je n’avais pas du tout envie de bouger et je me serais bien vu terminer ma carrière chez Direct Energie, effectivement.

Pourquoi l’aventure s’est-elle terminée l’hiver dernier ?
J-R (Jean-René Bernaudeau, NDLR) a décidé de ne pas me renouveler. Il a rencontré, je pense, quelques difficultés financières et il fallait réduire l’effectif à vingt coureurs tout en faisant monter des jeunes du Vendée U. Il fallait donc virer quelques mecs et j’en faisais partie. C’est la vie d’une entreprise… Je pense que j’avais encore ma place dans l’équipe mais il faut l’accepter.

Tu as imaginé mettre un terme à ta carrière suite à cette décision ?
Je ne me voyais pas du tout retourner chez les amateurs. J-R m’a annoncé la nouvelle au lendemain du Championnat de France. Assez tôt, heureusement. Sur le coup, j’ai pris un gros coup au moral. Quand tu as fait dix ans dans la même structure, c’est dur à entendre. C’est même un coup de massue. Mais je me suis très vite remotivé. J’ai appelé de nombreux managers mais j’ai eu beaucoup de refus. Mi-août, je suis rentré en contact avec David Lima Da Costa (manager de l’équipe de l’Armée de Terre, NDLR) et le feeling est bien passé. Mais tout le monde connaît la suite de l’histoire… Là, cette fois, j’étais vraiment effondré. On était déjà mi-novembre et je savais que c’était fini pour les pros. J’étais écoeuré…

« NE PAS PRENDRE LE MONDE AMATEUR A LA LÉGÈRE »

Mais ?
Mais ça n’a duré qu’une journée. Après avoir bien réfléchi, et bien parlé avec ma femme, je me suis dit que je ne pouvais pas arrêter le vélo comme ça. C’est ma passion. Il fallait que j’aille chez les amateurs, tant pis. Et là encore, c’est Julien Guay qui m’a orienté puisqu’il m’a parlé du groupe Sojasun. Il a parlé de moi et le staff a vite été emballé pour me faire une place.

Du peu que tu as pu voir en un mois de compétition, qu’est-ce qui a changé depuis 2010, chez les amateurs ?
Je n’ai pas beaucoup couru pour le moment mais il me semble que la façon de courir est la même que lorsque j’étais au Vendée U. J’attends quand même de voir ce que ça va donner sur les Coupe de France DN1 car on m’a dit que ça courait presque comme chez les pros maintenant, de façon plus “structurée”. Pour le reste, je suis très impressionné par les moyennes que l’on fait en amateurs. Ca roule très fort ! Il y a un très bon niveau… Il ne faut pas prendre le monde amateur à la légère. Il faut avoir la même hygiène que chez les pros sinon, on est vite rappelé à l’ordre.


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