La Grande Interview : Hommes de boue

Crédit photo Maxime Segers / DirectVelo

Crédit photo Maxime Segers / DirectVelo

Depuis plusieurs saisons, DirectVelo vous propose d’en savoir plus sur la vie des hommes qui se cachent sous le casque et derrière les lunettes de coureurs cyclistes. L’endroit où ils ont grandi et donné leurs premiers coups de pédales, leurs souvenirs d’enfance, leurs moments de grand bonheur, leurs périodes de doute, de solitude ou de souffrance, leurs passe-temps entre amis ou en famille, leurs plus grands rêves et leurs plus terribles désillusions. En plus de 140 numéros de “La Grande Interview”, ils sont nombreux à s’être confiés en largeur. En cette période des Fêtes de fin d’année, DirectVelo vous propose de revivre quelques extraits de votre rendez-vous habituel du jeudi soir.
Rendez-vous aujourd’hui avec des spécialistes de la période hivernale. La pluie, le froid, le vent glacial, la boue… Les spécialistes du cyclo-cross n’en ont pas peur.

Clément Russo (Team Probikeshop-Saint-Etienne Loire) - Entretien réalisé le 13 juillet 2017 - lire ici

Pourquoi as-tu percé en cyclo-cross pendant de longues années avant de pouvoir, enfin, te faire une place également sur la route ?
Dès tout gamin, j'ai été à l'aise sur les jeux de quilles et d'équilibre. J'avais des facilités de pilotage et c'est ce qui a fait la différence en cross. Il n'y a pas que le physique qui joue à cet âge-là même si en Minimes-Cadets, tu as des mecs qui ont une croissance plus rapide et qui font une tête de plus que les autres... Mais quand on est bon techniquement et à l'aise sur le vélo, ça marche. C'est un avantage que j'ai vite eu sur les autres coureurs et heureusement que j'ai pu compenser grâce à ça car je n'étais pas très costaud à l'époque. Je me suis développé d'un coup chez les Juniors, en fait. D'ailleurs, ceux qui m'ont connu avant et qui me retrouvent aujourd'hui doivent halluciner avec mes 1m86. J'ai eu une croissance tardive mais j'ai bien poussé depuis.

As-tu envisagé de faire carrière en cyclo-cross ?
J'ai toujours un peu rêvé de ça chez les Juniors et même dans mes premières saisons Espoirs. J'y ai pensé, c'est vrai, mais je me suis vite rendu compte que ça n'allait pas être possible en France car il n'y avait pas les structures pour. Et puis, lorsque j'ai commencé à toucher du doigt un niveau "élevé" sur la route, en DN1 puis sur des courses de Classe 2, ça m'a aussi donné d'autres envies, et d'autres idées. Je crois que pour faire carrière en cross, la seule solution aurait été de se rendre en Belgique, mais ça n'aurait pas été l'idéal pour moi. Les Belges et les Néerlandais ont quand même une mentalité un peu différente de la nôtre et ça n'aurait pas été facile de s'imposer là-bas. Ce n'était pas la solution. Je n'étais pas prêt à m'expatrier là-bas.

Ces derniers mois, on a vu des crossmans comme Mathieu Van der Poel, Wout Van Aert ou Clément Venturini remporter des courses sur la route...
Je ne suis pas surpris, ça montre forcément un potentiel. Si tu marches en cross au niveau mondial, il n'y a vraiment pas de raison que ça ne le fasse pas aussi sur la route et ce n'est pas nouveau ! Un mec comme Francis Mourey a fait Top 20 sur un Tour d'Italie. On voit Clément Venturini, Fabien Doubey ou Julian Alaphilippe qui ont réussi à percer sur la route si on prend l'exemple d'autres français... C'est très bien.

Le cyclo-cross va-t-il devenir un simple tremplin pour faire carrière sur la route ?
C'est possible ! Et c'est quand même dommage car le cross est une discipline à part entière. Mais si ça sert de tremplin, c'est déjà une bonne chose. Ca donne de la valeur à la discipline malgré tout.

Aloïs Falenta (VC Villefranche Beaujolais) - Entretien réalisé le 19 janvier 2017 - lire ici

Mais le cross, ce n'est que quelques mois dans l'année ?
C'était provisoire, pour la saison de cyclo-cross. Mais je vais sûrement reprendre le travail pour le printemps et l'été. De toute façon, il va bien falloir que je gagne ma vie.

Justement, comment finances-tu tous tes déplacements sur les cyclo-cross ?
Je vis sur mes économies. Je me débrouille comme je peux. A vrai dire, je ne suis pas très difficile et heureusement car je n'ai pas trop le choix. Je ne vis pas dans le luxe. Je fais vraiment attention à la moindre petite chose pour ne pas dépenser trop d'argent. Lorsque je me déplace, j'essaie de limiter au maximum le nombre de nuits d'hôtel, même si cela joue sur mon état physique et psychologique. Il m'est souvent arrivé de dormir en voiture. En terme de récupération, je suis très loin d'être dans une situation idéale. Même chose avec ce qu'il y a dans l'assiette. Je fais moins attention que la plupart des coureurs. Je ne fais pas à 100% "le job" comme on dit. C'est souvent à la bonne franquette. Mais je n'aime pas me plaindre. Cette situation, je l'ai voulue. Le cross est ma passion et j'en ai vraiment besoin dans ma vie.

Qu'en est-il en terme de matériel ?
Je me contente là aussi du minimum. Pour donner un exemple concret, il faut savoir que j'utilise exactement le même matériel que l'an passé. Je n'ai absolument rien acheté cette saison. J'ai déjà largement assez donné pour les déplacements. La facture est salée et je ne peux pas me permettre de dépenser plus. Je ne m'amuse pas avec l'argent. Les patins, les câbles, les chaînes... tout le matériel avec lequel je dispute mes courses est le même que l'an dernier. Je fais encore toute la saison avec. Je tire le maximum de l'utilisation de chaque pièce. Tant que ce n'est pas complètement usé ou mort, je garde.

Mais si tu casses quelque chose en course ?
Je fais extrêmement attention à ne rien abîmer même si ça m’arrive. Je dois bien avouer que le simple fait de crever un boyau me met les boules car je sais que c'est difficile financièrement et que ça va peser lourd à la fin du mois.

Antonin Marecaille (AVC Aix-en-Provence) - Entretien réalisé le 11 février 2016 - lire ici

Ton voyage en camping-car débute chaque vendredi. Tu quittes la maison de tes grands-parents dans l'Oise, et tu mets le cap vers la Belgique pour trois jours. A chaque fois, une aventure ?
En hiver, c'est vrai que je passe la moitié de ma semaine sur les routes. Il y a beaucoup de petites histoires... Samedi dernier, nous étions bloqués en Belgique par un char de carnaval et nous roulions à 5km/h. D'habitude, on se gare le vendredi sur l'aire de cyclo-cross, je cours le lendemain, puis on part le soir en direction d'une autre épreuve. Une fois, j'ai croisé John Gadret et Steve Chainel dans un endroit improbable. Des « messieurs » dans le cyclo-cross ! Ils ont dû se demander ce que je foutais là ! Mais je cours, simplement je cours... Partout où je peux, quitte à faire des centaines de kilomètres chaque week-end. Au total, j'ai disputé plus de quarante cyclo-cross cet hiver, en France, en Suisse, au Luxembourg et bien sûr en Belgique.

« Bien sûr » en Belgique, parce que c'est la terre sacrée du cyclo-cross depuis quelques années ?
Le cyclo-cross est ma religion et la Belgique mon lieu de pèlerinage. Les grosses courses, comme les manches du Superprestige, sont l'équivalent d'une finale de Coupe du Monde de foot.

Tu te souviens forcément de ta première participation à un cross organisé dans ce pays ?
Inoubliable mais pas spectaculaire. Ça remonte à 2010, quand j'avais 18 ans. Mon père disputait les Championnats du Monde Masters à Mol, et moi une épreuve régionale. Plus marquant, je découvre trois ans plus tard ma première grande course en Belgique : une manche du Trophée Banque Bpost, à Ronse. Le portique de départ ressemblait à ce qu'on utilise en Formule 1, avec des feux rouges qui tout à coup passent au vert. Malheureusement, il y avait une tempête. Le portique s'est écroulé devant les coureurs à trente secondes du départ... Les spectateurs étaient moins nombreux que d'habitude. Mais j'étais lancé dans une ambiance de folie. Cet hiver encore, j'ai pu courir une épreuve de la Coupe du Monde à Namur.

Fabien Doubey (CC Etupes) - Entretien réalisé le 8 octobre 2015 - lire ici

Je suis parti avec un VTT, sans maillot de vélo et je me classe avant-dernier. Mais ça m'avait déjà plu.

Pourquoi ?
Le terrain était gras, ça glissait un peu... J'ai de suite aimé les sensations. J'ai aussi un contact très fort avec la nature. Avant le cyclo-cross, je faisais de la moto-cross, comme mon père. Nous partions sur les chemins autour de chez nous, dans le Jura. Au-dessus de la maison, à Légna, il y a un terrain spécial qui est ensuite devenu mon circuit pour le cyclo-cross. Aujourd'hui, je suis souvent dehors, que ce soit pour le vélo ou le trail, voire les via ferrata que j'ai découvertes il y a peu.

En cyclo-cross, tu n'es jamais seul au milieu de la forêt, tu peux même être entouré par une foule en délire, comme en Belgique.
J'aime aussi le cyclo-cross pour cette raison. Si je regarde des épreuves à la télé, la foule me donne des frissons. La première fois que je suis allé en Belgique, c'était à Zolder, en 2010. Mon père était là, il avait adoré aussi. Tout était énorme : le public (des dizaines de milliers de spectateurs !), les parkings, les paddocks, les camping cars, l'ambiance... Quand j'ai vu le premier bac de sable, je me suis dit : « Ça va être dur de passer ». Et finalement, je me classe 15e.

Pourquoi t'être mis à la route ?
Pour compléter ma préparation cyclo-cross. Je suis aussi passé par le VTT et j'ai même participé à des manches de Coupe du Monde, avec un team UCI. Ma première vraie course sur route, je l'ai disputée en 2013 avec le CC Etupes : Annemasse-Bellegarde.

Donc, si ça ne tenait qu'à toi, tu ne ferais que du cyclo-cross ?
J'ai changé d'avis grâce à mon stage de fin de saison avec la FDJ. C'était la cerise sur le gâteau : l'équipe a été très gentille avec moi et m'a permis de voir ce qu'était le cyclisme sur route à très haut niveau. Maintenant, ça me plaît...

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