La Grande Interview : Tomber pour mieux se relever

Crédit photo Camille Nicol

Crédit photo Camille Nicol

Depuis plusieurs saisons, DirectVelo vous propose d’en savoir plus sur la vie des hommes qui se cachent sous le casque et derrière les lunettes de coureurs cyclistes. L’endroit où ils ont grandi et donné leurs premiers coups de pédales, leurs souvenirs d’enfance, leurs moments de grand bonheur, leurs périodes de doute, de solitude ou de souffrance, leurs passe-temps entre amis ou en famille, leurs plus grands rêves et leurs plus terribles désillusions. En plus de 140 numéros de “La Grande Interview”, ils sont nombreux à s’être confiés en largeur. En cette période des Fêtes de fin d’année, DirectVelo vous propose de revivre quelques extraits de votre rendez-vous habituel du jeudi soir.
Aujourd’hui, zoom sur un aspect essentiel de la vie d’un sportif de haut-niveau : le mental et la force de se battre, de se relever après un échec ou une période difficile.

Martial Roman (Team Exploit) - Entretien réalisé le 23 mars 2017 - lire ici

Que se passe-t-il lorsque les résultats ne suivent pas ?
C'est arrivé durant la première moitié de saison 2016, avec Saint-Etienne (le Team Probikeshop Saint-Etienne Loire, NDLR). Les premières manches de la Coupe de France DN1 s'étaient très mal passées pour nous. A vrai dire, tout le monde nous rigolait au nez. On nous promettait la DN2 et je voyais beaucoup de gens du milieu se moquer de nos performances. Mais nous ne nous sommes jamais posés de questions et on a gardé nos habitudes. On s'est battu et ça a fini par payer.

Pourquoi se moquait-on de vous ?
Pour nos résultats, mais pas que. Je pense que certains méprisaient aussi notre façon de pratiquer le cyclisme. Ils voyaient bien que l'on ne faisait que rigoler et que l'on s'éclatait. On devait nous prendre pour des rigolos. Sauf que ce n'est pas parce que l'on rigole que l'on ne sait pas faire le métier à côté. Mais certains confondent tout.

Et vous aviez su répondre sur le terrain...
On ne se posait pas de questions. Je me souviens de la victoire de Guillaume Bonnet sur le Tour de Dordogne. Toute l'équipe avait réalisé un super boulot ce jour-là. J'étais fier. Et puis, il y avait eu cette fameuse manche de Coupe de France sur le Grand Prix de Nogent-sur-Oise. Avant la course, nous étions dans les profondeurs du classement mais nous, on continuait de faire les cons avant le départ. On se serait presque cru dans une colonie de vacances. Sauf que le lendemain, on a assuré notre maintien en terminant deuxième de la manche. Comme quoi, l'un n'empêche pas l'autre. En tout cas c'est ma vision du vélo et on ne me l'enlèvera pas.

Benoit Sinner (UC Nantes Atlantique) - Entretien réalisé le 9 février 2017 - lire ici

Et la notion d'échec dans tout ça ?
En cyclisme comme à l'Armée, il faut apprendre à encaisser les coups. Je l'ai fait à l'Armée en apprenant à accepter l'autorité, ce qui n'était pas mon point fort. Et sur le vélo, il a fallu faire avec différents échecs. Tout n'a pas toujours été facile, notamment après ce premier retour chez les amateurs en 2010. Je ne m'y attendais pas et ça a été dur à avaler.

Il y avait aussi eu cette non-sélection sur le Championnat de France amateur l'année suivante, que tu avais apprise par simple email, une semaine avant la course...
J'étais très déçu car je méritais ma place pour ce Championnat. Je me savais légitime et j'attendais cette course pour me refaire une place chez les pros. Mais j'avais vite su rebondir. Tu apprends de chaque échec. Je ne suis pas du genre à me lamenter. Et puis, le résultat d'une course, ça reste juste un résultat, rien d'autre. Encore une fois, j'ai toujours préféré garder les souvenirs de groupe et de partage.

Andrea Mifsud (VC La Pomme Marseille) - Entretien réalisé le 9 novembre 2017 - lire ici

Humainement, tu as également appris de tous ces sportifs ?
Les rugbymen que j’ai croisés, même si je parle de “brutes” sont des mecs adorables avec lesquels je suis toujours en contact. Cela peut sembler tout bête mais on s’est échangé nos numéros de téléphone et j’ai été marqué par leur gentillesse. Dans mon malheur, j’ai eu beaucoup de chance de me retrouver dans un tel centre de rééducation. Et tout le monde ou presque en a bien conscience… Mais je me souviens avoir vu arriver deux footballeurs qui étaient sur une autre planète. L’un venait de la réserve du PSG, l’autre du Red Star. Ils ont pris tout le monde de haut et faisaient n’importe quoi. Deux idiots qui ont d’ailleurs réussi l’exploit de se faire exclure du centre. J’ai trouvé ça à la fois drôle et pathétique mais finalement, je me suis dit que contrairement à eux, j’avais compris la chance que j’avais d’être ici, entre de bonnes mains, dans un centre où tu as, en plus, la chance de tomber sur des sportifs qui vivent la même galère que toi. On s’entraide et ça fait du bien.

Cet épisode douloureux te rendra plus fort mentalement ?
C’est certain, ce que j’endure actuellement ne fait que révéler ma motivation ! Cela fait maintenant plus d’un an que je n’ai pas pris le départ d’une course. C’est un grand vide, un véritable manque. Mais je compte bien rattraper le temps perdu. Il y a encore de très belles pages à écrire.

Grégoire Tarride (AVC Aix-en-Provence) - Entretien réalisé le 20 avril 2017 - lire ici

Tu es quand même passé par des moments difficiles, notamment début 2011 lorsque tu devais passer pro, à 19 ans, et que tu as finalement appris que ça ne se ferait pas au tout dernier moment (lire ici)...
C'était une période difficile. Mentalement, c'était vraiment dur. J'allais à l'école mais sans envie. J'étais partagé par différentes émotions. J'avais surtout le sentiment que tout avait été très vite, trop vite. J'allais passer pro sans jamais y avoir vraiment pensé ou rêvé. Ca allait lancer ma carrière pour de bon et d'un coup, tout dégringolait. C'était l'ascenseur émotionnel. Puis je me suis fracturé la clavicule au mois de mars après m'être finalement engagé au Martigues SC en catastrophe (lire ici). Dans ces moments-là, le fait de me raccrocher aux études m'a beaucoup aidé. Et finalement, tout est reparti et je suis passé pro l’année suivante.

Comprends-tu de voir de plus en plus de coureurs vouloir mettre de côté leurs études pendant une année ou deux pour se consacrer à 100% au vélo "pour voir ce que ça donne" ?
Bien sûr ! Chacun est libre de faire ce qu'il veut. Pour mon cas personnel, les études ont été un vrai fil rouge : c'était l'assurance d'aller au bout d'un projet alors que sur le vélo, tu n'es pas sûr de faire carrière. Il y a beaucoup de candidats et peu d'élus. Mais après, c'est une décision personnelle, ou que l'on peut prendre en famille. De mon côté, je sais que ma famille m'a toujours soutenu dans mes prises de décision, que ce soit pour le vélo ou pour les études. Ils m'ont toujours aidé et sans eux, ça aurait d'ailleurs été plus dur de réussir. Aujourd'hui, il y a des gamins qui sont très bien encadrés dès les Juniors et qui se retrouvent dans de très belles équipes réserves, qui forment parfaitement les jeunes. C'est tentant de ne faire que du vélo dans ces conditions. Mais je dois avouer que de mon côté, j'ai toujours été attiré par les mecs qui ont un parcours atypique.

Comme qui par exemple ?
Jean-Christophe Péraud ! Ce mec a un très beau parcours, je trouve. C'est la classe. Il est passé par plein de phases dans sa vie et tu le ressens même dans sa façon de s'exprimer. J'adorais la façon dont il répondait aux interviews.

C’est-à-dire ?
Même après des chutes ou des gros coups durs, il avait une façon de relativiser que je trouvais très intéressante alors que d'autres mecs se seraient écroulés dans la même situation. Puis on connait tous son parcours d'ingénieur, son passage à plus de 30 ans chez les pros. Dans un autre style, j'aime le parcours de mecs comme Nairo Quintana, depuis son arrivée de Colombie, un pays où la vie n'est pas toujours facile. C'est beau de voir les choix de chacun, de voir la façon dont les gens décident de mener leur vie. Ca m’intéresse.

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