La Grande Interview : Confidence pour confidence

Crédit photo Freddy Guérin / DirectVelo

Crédit photo Freddy Guérin / DirectVelo

Depuis plusieurs saisons, DirectVelo vous propose d’en savoir plus sur la vie des hommes qui se cachent sous le casque et derrière les lunettes de coureurs cyclistes. L’endroit où ils ont grandi et donné leurs premiers coups de pédales, leurs souvenirs d’enfance, leurs moments de grand bonheur, leurs périodes de doute, de solitude ou de souffrance, leurs passe-temps entre amis ou en famille, leurs plus grands rêves et leurs plus terribles désillusions. En plus de 140 numéros de “La Grande Interview”, ils sont nombreux à s’être confiés en largeur. En cette période des Fêtes de fin d’année, DirectVelo vous propose de revivre quelques extraits de votre rendez-vous habituel du jeudi soir.
Pour ce dernier volet du “Best of” de l’année, DirectVelo vous propose de revivre les confidences de certains coureurs sur des thèmes divers et variés.

Pierre Bonnet (Team Pro Immo Nicolas Roux) - Entretien réalisé le 15 juin 2017 - lire ici

Il est aujourd'hui possible de gagner sa vie en étant cycliste dit "amateur", en division nationale. C'est quelque chose que tu imaginais possible lorsque tu as débuté dans le milieu ?
Pas du tout. Je ne connaissais pas grand-chose au monde du vélo au début et dans ma tête, soit je passais pro après les Espoirs 4 maximum, soit j'arrêtais le vélo. Je ne me doutais pas une seconde que je pourrais être là, à 27 ans, à toucher un salaire en DN1. Ce n'est quand même pas la même situation qu'à la Cofidis ou au Team Direct Energie. Un mec qui serait remercié dans cette équipe aura deux ans de chômage pour rebondir. Là c'est plus compliqué.

Tu t'imagines continuer longtemps dans cette situation si tu en as la possibilité ?
Pas vraiment. Je ne sais pas encore combien de temps je vais continuer mais ce ne sera pas quatre ou cinq ans. On verra bien ce que me propose le club mais dans tous les cas, les déplacements finiront par me peser. C'est usant au bout d'un moment. Et puis, il y aura sûrement de la lassitude aussi. De toute façon, j'ai toujours eu envie de reprendre la ferme familiale, alors c'est pour bientôt ! En tout cas, j'en profite pour remercier Nicolas Roux qui permet à des coureurs comme moi de poursuivre notre passion quelques années supplémentaires.

Y'a-t-il beaucoup de coureurs dans ton cas dans le peloton amateur ?
Avec un "vrai" salaire suffisant pour vivre, pas tant que ça. Par contre, je pense que pratiquement tous les coureurs qui sont en DN1 touchent au minimum 200 ou 300 euros. Mais là, ça inclut tout le monde dont les jeunes qui arrivent des rangs Juniors et qui visent une équipe pro. Par contre, des mecs de plus de 25 ans dans mon cas, il n'y en a pas des dizaines. Il faut trouver un contrat et ce n'est pas si simple... Les équipes préfèrent miser sur les jeunes, c'est normal. A 25 ans, tu es presque un vieux dans ce monde-là. Et le système des manches de Coupe de France DN1, avec seulement deux "vieux" autorisés par équipe, n'aide pas les coureurs comme moi. C'est dommage car à mon âge, tu es loin d'être fini.

Ces différentes situations salariales dans le peloton amateur créent-elles des tensions ou de la jalousie ?
Ah ça, c'est sûr ! J'ai déjà entendu des réflexions mais pour être honnête, j'ai moi-même été de l'autre côté, à pester et me dire que ce n'était pas normal que tel ou tel mec gagne autant pour faire ce qu'il fait... C'est le jeu.

Thomas Joly (CC Nogent-sur-Oise) - Entretien réalisé le 23 novembre 2017 - lire ici

Tu arrives dans le peloton professionnel sans que l’on ait beaucoup entendu parler de toi chez les amateurs. Pourquoi ?
Thomas Joly : Déjà, j’ai commencé le vélo assez tard, en Cadets 2. Ensuite, j’ai fait deux ans en Ufolep et Pass’Cyclisme. Je suis arrivé en Élites il y a seulement trois ans, même un peu moins puisque je suis passé en première catégorie courant 2015. Lorsque j’étais à l’ESEG Douai, le manager Laurent Pillon m’a aussi préservé. Depuis, je me suis fait ma petite place mais c’est vrai que l’on continue de se dire “Thomas Joly ? Mouais. Ok…”.

Tu comprendrais que l’on puisse parler de toi comme du coureur français au passage chez les pros le plus surprenant cette saison ?
Oui. Je ne dirais pas que c’est un hold-up non plus mais c’est clair que je me sens tout petit. Je suis là sans être là pour l’instant (sourires). Ce n’est pas démérité, mais j’ai conscience d’avoir une chance. J’ai réussi à la saisir.

Tu as été aidé par de bons contacts ?
C’est sûr que je n’ai pas été pris uniquement pour mes résultats. Je suis donc passé par Douai et j’ai la chance d’avoir un manager là-bas qui a parlé de moi aux dirigeants de Roubaix car l’été dernier, ils cherchaient un stagiaire de la région. Il y a aussi Arnaud Molmy à Nogent (ancien coureur professionnel chez Roubaix-Lille Métropole en 2010, NDLR) qui a aidé. Mais c’est surtout Laurent Pillon qui m’a permis d’en arriver-là. C’est grâce à ces deux personnes-là que j’ai été stagiaire. Mais si je passe professionnel en 2018, c’est parce que j’ai réalisé un bon stage avec eux et qu’ils étaient visiblement content de mon travail.

Maxime Cam (Côtes d’Armor-Marie Morin) - Entretien réalisé le 4 mai 2017 - lire ici

On dit de toi que tu marches énormément au mental, peut-être plus encore que d'autres...
Disons que quand j'ai vraiment quelque chose en tête ou que j'ai un objectif précis, je suis motivé à 200% dessus. J'aime bien que les choses soient claires. Si on m'annonce un programme de course au dernier moment, je ne vais pas être dedans car je n'aurai pas eu le temps de m'y préparer. C'est quelque chose qui m'énerve car je sais que je ne suis pas dedans, sans même le vouloir. Avec moi, il faut que les choses soient carrées.

Pour ne rien laisser au hasard ?
Pour se préparer convenablement, tout simplement. On ne va pas préparer une course en quelques jours. Chaque épreuve a ses spécificités. Il faut les travailler. C'est vrai pour une course mais aussi à l'échelle d'une saison. Je préfère connaitre à l'avance les périodes où je vais beaucoup enchaîner et les périodes où je vais pouvoir souffler.

Et ça n'a pas toujours été le cas ?
Non, pas chez Fortuneo. Je pensais que tout allait être bien cadré chez les pros mais en fait, il m'arrivait d'être prévenu quasi au dernier moment pour certaines courses. Quand ça allait bien en début de saison en 2016, il y a eu un moment où j'aurais bien aimé lever le pied. Mais ça n'a pas été le cas et j'ai commencé à m’essouffler pendant le week-end Drôme-Ardèche. Derrière, je n'ai donc pas fait le Tour de Bretagne puis j'ai subi le calendrier le reste de l'année. J'avais le sentiment de boucher des trous, on me mettait là où il y avait de la place. Entre fin mai et fin juillet, je n'ai disputé que le Championnat de France. En pleine saison, pff... Ce n'est pas le mieux !

Tu n'as jamais eu le sentiment de pouvoir t'exprimer chez les pros ?
J'ai eu l'impression d'être en entreprise, comme s'il fallait rendre des comptes sans arrêt. Si tu es équipier, tu as la possibilité de t'exprimer quand même, peut-être deux ou trois fois dans la saison, mais si la semaine d'avant tu as roulé comme un bourrin à l'entraînement parce que tu n'étais pas censé courir le dimanche, tu arrives cramé sur la course. Je trouve ça dommage.

Flavien Maurelet (GSC Blagnac VS 31) - Entretien réalisé le 29 juin 2017 - lire ici

Comment expliques-tu le fait "d'exploser" d'un coup, à 26 ans ?
Je ne pense pas avoir énormément progressé physiquement même si j'ai passé un cap en ne faisant que du vélo à partir de 2014, après avoir passé mon DUT. Mais en revanche, j'ai passé un gros cap mentalement. Et puis, j'ai toujours aimé jouer la carte du collectif. Par exemple, j'aime lancer les sprints, pour un Yoan Verardo ou un Maxence Moncassin. J'adore ça et du coup, j'ai souvent oublié de courir pour moi alors que maintenant, je ne me pose plus autant de questions que les années précédentes.

Et ce "gros cap mental", il a été franchi comment ?
Après le décès d’Arnaud, j'avais du mal à me décider à reprendre quelqu'un. J'avais peur de ne pas pouvoir être capable de faire autant confiance en cette personne qu'en Arnaud. Mais cette année, je me suis lancé et j'ai décidé de retravailler avec quelqu'un, Niels Brouzes. Il m'a donné énormément confiance en moi. Il m'aide beaucoup sur le mental comme sur la façon de travailler à l'entraînement. Les gens s'arrêtent beaucoup trop sur ce qu'il a pu se passer dans sa carrière mais c'est toujours pareil dans le monde du vélo. Il a eu un contrôle, c’est vrai, et je ne cautionne pas du tout ce qu'il a fait à l'époque (positif à la testostérone sur le Tour de Normandie 2002, NDLR) mais je ne veux pas non plus m'arrêter là-dessus.

Tu n’as pas peur des on-dit ?
Si. Enfin, à vrai dire, c’est même surtout Niels qui s’inquiète pour moi. Il ne veut pas que ça me porte préjudice pour la suite. J'espère juste que les gens savent faire la part des choses. Mentalement, c'est quelqu'un qui m'apporte beaucoup et on l'a vu cette année. Il sait aussi me rassurer quand c'est un peu plus dur et j'en ai besoin. C'est presque comme un coach mental. Et le plus gros changement pour moi, il est vraiment là, car je ne me sens pas beaucoup plus fort que l'an dernier. Peut-être que je faisais juste un blocage.

Mais tu as quand même progressé...
Ah oui ! C'est sûr que depuis quelques semaines, je suis au meilleur niveau auquel je n'ai jamais été. Je n'aurais jamais pu espérer être ce niveau-là. En plus, c'est un cercle vertueux. La réussite va avec. Quand on commence à gagner deux-trois courses, on ne peut plus se dire que l'on est moins fort que les autres. Alors on prend confiance, et on gagne encore.

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