Ronan Pensec : "Je repense très peu à ma carrière"

Ronan Pensec : "Je repense très peu à ma carrière"

Moins présent médiatiquement que certains coureurs de sa génération, Ronan Pensec n’est pas moins actif pour autant. Engagé sur plusieurs fronts, l’ancien porteur du maillot jaune a notamment toujours un pied dans le cyclisme avec un poste de l’ombre à France Télévision. Il est revenu pour vélo-club.net sur les différentes fonctions qu’il occupe actuellement, sur quelques moments-clés de sa carrière, et n’a pas oublié d’évoquer le cyclisme actuel, qui ne le comble pas vraiment..

Ronan Pensec : « Mon nom est sorti auprès du grand public en cet été 1986 »

Ronan Pensec n’est pas un grand nostalgique, il l’admet sans difficulté : « Je repense très peu à ma carrière ; je n’ai par exemple jamais pris le temps de me replonger dans les photos ou les vidéos de cette époque. Je donne parfois quelques cartes postales à mon fils de 11 ans pour ses copains, mais ça s’arrête là ». Pour autant, n’allez pas croire que le Breton a oublié cette période de sa vie. Sa mémoire est intacte, concernant les bons comme les mauvais moments passés sur le vélo. Du bon, il garde surtout en tête ce Tour 1986, son premier : « Je débute, j’ai 23 ans, personne ne m’attend. Moi-même, je ne sais pas ce que je vaux sur trois semaines. Alors finir 6e, côtoyer Bernard Hinault en montagne, ce n’est pas rien… Mon nom est sorti auprès du grand public en cet été 1986 ». Un acte de naissance professionnel, en quelques sortes… Mais comment passer sous silence ces deux jours en jaune lors de la Grande Boucle 1990 ? « Pour le commun des mortels, ce maillot représente beaucoup, on ne peut pas mettre ça de côté. Et puis je l’ai pris le jour de mes 27 ans, ce qui rajoute une charge émotionnelle ». 

Pourtant, après cet épisode glorieux a succédé, le lendemain, l’un des plus grands regrets de la carrière de Pinpin. Il explique : « Dans un petit coup de cul de la descente du Glandon, Breukink attaque, Lemond suit. Moi je suis derrière Gilles Delion, de l’autre côté de la route. Greg étant devant, je ne roule pas [les deux hommes courent alors tous deux sous les couleurs de la formation Z]. Gilles essaie d’y aller mais il coince et on rate cette échappée… Ce fait de course est alors passé totalement inaperçu car aucune caméra n’était présente à ce moment-là, mais si les choses s’étaient passées différemment ce jour-là, la face du Tour en eût été changée ». Point de forfanterie dans cette déclaration car, rappelons-le, le maillot jaune possédait encore plus de 9’ d’avance sur le futur vainqueur Greg Lemond à l’issue de cette étape. Plus que les 48 secondes concédées à l’arrivée, c’est psychologiquement que ce débours a pesé… Le contre-la-montre du lendemain s’est ensuite chargé de lui ôter ses dernières illusions « Cette journée reste un mystère. Le matin lors de la reconnaissance, je voltige, et l’après-midi, lors du chrono, rien, je suis à l’arrêt ». Il perd alors le maillot au profit de Chiapucci et endosse aussitôt loyalement le rôle d’équipier de Greg Lemond, aidant l’Américain à remporter le Tour quelques jours plus tard…

      Deux générations de coureurs bretons côte à côte : Ronan Pensec talonne Bernard Hinault lors du Tour 1986

« J’ai dû rapidement me poser des questions sur ma reconversion »

Trois ans après ce Tour de France aux allures de montagnes russes, le Breton décidait d’organiser une cyclosportive, « La Ronan Pensec ». Aujourd’hui ancrée dans les mœurs, cette initiative était alors l’une des premières du genre. Et l’initiative était d’autant plus louable qu’elle se mettait au service de la lutte contre le Sida. En 1993, les ravages de cette maladie, identifiée quelques années plus tôt, sont alors au coeur de l’actualité. Durant 15 ans, Ronan Pensec organisera cette cyclo, s’impliquant personnellement dans la recherche de sponsors, le tracé du circuit… Une activité très chronophage qui prendra fin en 2008. Pensec dit à ce sujet « : L’épreuve est morte de sa belle mort, après quinze années d’implication très forte, je n’avais plus assez de temps pour m’en occuper. »

Mais revenons un peu en arrière… Eté 1987, peu après le Critérium du Dauphiné, Ronan Pensec se casse le talon : « Pendant quatre mois, je ne pouvais plus marcher, la suite de ma carrière s’est trouvée en suspens de longs mois durant. J’ai donc eu le temps de réfléchir et j’ai dû me poser des questions sur ma reconversion de manière prématurée ». Un mal pour un bien, car cela a permis au natif de Douarnenez d’anticiper une période souvent délicate à négocier pour les sportifs. Dès 1992, profitant de la loi rendant obligatoires les contrôles techniques, Ronan ouvre son premier centre. A l’heure de la retraite, ce sont quatre centres qui sont entre ses mains, et la reconversion est bien engagée. Aujourd'hui agé de 54 ans, l’ancien pensionnaire de RMO est à la tête d’une belle petite entreprise : « Je possède désormais 30 centres Secur Auto Ronan Pensec dans tout le Finistère, détaille-t-il. Avec 55 salariés à gérer, ça implique une grande responsabilité, c’est une activité à laquelle je consacre beaucoup de temps, pour la gestion humaine justement ». 

"Mon rôle est de conseiller le réalisateur sur l’aspect tactique"

Cette casquette de chef d’entreprise a une autre facette, car l'ancien coureur a également créé une agence de voyage dédiée au cyclisme en 2003. Cette société, sobrement nommée Ronan Pensec Travel, doit permettre aux férus de la petite reine de parcourir les routes emblématiques de France sans se soucier des détails logistiques. « Ca marche pas mal, notamment l’Etape du Tour, les cyclos La Marmotte et Le Marathon des Dolomites. On a beaucoup d’Anglo-saxons, même si les Américains sont un peu moins présents depuis la fin de l’ère Armstrong. Il y a aussi un certain nombre de Sud-américains, principalement Argentins et Brésiliens."

Enfin, l’ancien coureur suit au plus près ses successeurs, au sein du service technique de France Télévision. Créé presque pour lui, il occupe le poste d’assistant tactique auprès du réalisateur Jean-Maurice Ooghe. Le Breton précise : « Mon patron, c’est Jean-Maurice, je suis juste à côte de lui durant les courses. Mon rôle est de le conseiller sur l’aspect tactique. Je vois toutes les images, et je suggère aux cameramen de suivre tel ou tel coureur, de faire un gros plan sur une blessure, un visage… Je suis dans l’anticipation. Quand les images sont diffusées aux téléspectateurs, moi je suis déjà passé à autre chose. Après, je ne peux pas non plus tout régenter, on doit tenir compte des contraintes : les motos ne peuvent pas aller partout, n’importe quand »… Sur le pont de Paris-Nice à Paris-Tours, Ronan Pensec vient de boucler sa 20e saison complète au côté de Jean-Maurice Ooghe.

Tour de France 2018 : « L’étape de Quimper devrait être très intéressante »

Interrogé sur son intérêt pour un poste au sein d’une équipe professionnelle, le vainqueur du GP de Plouay 1992 ne s'en cache pas, il en fut longtemps question. Malheureusement, les circonstances n’ont pas permis de concrétiser ce souhait-là : « A l’époque où j’avais vraiment dans l’esprit de monter une équipe, le cyclisme traversait une mauvaise passe, où même le monde du vélo ne savait pas ce qui allait se passer avec toutes ces histoires de dopage. Alors attirer un sponsor était quelque chose de très très compliqué ». Pourtant, il a bel et bien oeuvré quelques temps pour une équipe, l’actuelle Fortunéo-Oscaro. « Fin 2006, explique-t-il, le sponsor Jean Floch se retirait et la région Bretagne avait impérativement besoin d’un nouveau cosponsor pour que l’équipe survive. Jean-Yves Le Drian, alors président de région, m’avait demandé si je pouvais aider la structure à trouver un nouveau sponsor, ce que j’ai fait bien volontiers. Je jouais un rôle à mi-chemin entre président d’honneur et relatons publiques. Lorsque l’équipe est devenue Bretagne Armor Lux, le chargé des sports de la région m’a fait comprendre que mon rôle n’irait pas plus loin… Tout ça est un peu politique… ». Un regret sur lequel ne s'éternise guère l'ancien champion, qui n'est pas du genre à regarder derrière lui... 

Alors que le parcours du Tour de France 2018 a été dévoilé récemment, difficile de ne pas évoquer ces trois étapes disputées intégralement dans la région du vainqueur du Circuit de l’Aulne 1990. « L’étape de Quimper devrait être la plus intéressante, elle va être bien casse-patte. Elle me semble très compliquée à maîtriser pour une équipe de sprinteurs, c’est très vallonné et très sinueux. On n’aura pas une course type ardennaise, mais un scénario très favorable à une échappée ». Concernant le spectacle offert par le cyclisme ces dernières années, Ronan rejoint nombre d’observateurs et se veut assez critique : « Certaines fois, on se fait bien ch…, il faut le dire. Si ce spectacle satisfait le monde du vélo, tant mieux, mais je pense que c’est dangereux. Tout est aseptisé maintenant. Par exemple on laisse partir l’échappée dès le départ et on roule à 30 km/h. Si on appelle ça être professionnel… » Mais il le jure, son rôle de consultant reste cantonné au service technique de France TV, et il ne s’immisce absolument pas dans le travail de Thierry Gouvenou et de son équipe. Cela ne l’empêche pas de regretter que la caravane ne pousse pas jusqu’à la pointe du Raz l’été prochain : « Ca aurait donné de belles images… »

Avec toutes ces occupations, le bras droit de Jean-Maurice Ooghe trouve malgré tout le temps d’enfourcher sa bicyclette de temps à autre. Mais, comme il l’avoue en riant, il n’est plus le grand adepte de météos difficiles qu’il fut lorsqu’il courait : « Maintenant, je ne sors que quand il fait beau ! »

Photo prise lors du Critérium de Pipriac. Crédit : Ronan Pensec

Propos recueillis par David Guénel ( davidguenel)

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