La Grande Interview : Victor Lafay

Crédit photo Zoé Soullard / DirectVelo

Crédit photo Zoé Soullard / DirectVelo

Voilà peut-être (enfin) Victor Lafay au premier plan. Catalogué comme pur grimpeur dès ses années Juniors, capable de faire sauter tout le monde sur les routes de la Classique des Alpes, le coureur aujourd'hui agé de 21 ans pouvait légitimement espérer réaliser de gros résultats ces dernières saisons. Mais un mal de genou récurrent l'a longtemps tenu éloigné des podiums. "J'ai perdu du temps, c'est sûr", peste le Haut-Savoyard. Qu'importe : il est désormais passé à autre chose et se satisfait pleinement de son nouveau départ en 2017, lui qui avait décidé de quitter le Chambéry CF pour Bourg-en-Bresse AC à l'intersaison. "J'ai énormément appris à Chambéry, mais j'avais besoin de changer d'air pour me relancer". Bingo : Après un début de saison intéressant, le voici qui vient d'honorer ses premières sélections en Equipe de France Espoirs sur le GP de Plumelec et les Boucles de l'Aulne, "une superbe expérience". Un nouveau défi, toujours avec le maillot des Bleus sur le dos, l'attend en cette fin de semaine en Coupe des Nations, sur la Course de la Paix (République Tchèque). L'occasion de s'affirmer, peut-être, comme l'un des nouveaux piliers des Bleus en montagne, pour celui qui dit ne pas vouloir "parler vélo, manger vélo et dormir vélo" à longueur de temps. L'occasion, surtout, de confirmer tous les espoirs placés en lui chez les Juniors.

DirectVelo : Après ton week-end au milieu des pros, te voilà en République Tchèque pour honorer une nouvelle sélection en Equipe de France Espoirs...
Victor Lafay : C'est tout nouveau pour moi. Je n'avais jamais porté le maillot de l'Équipe de France. Les deux courses face aux pros m'ont permis de voir tout autre chose : c'est très différent de tout ce que j'avais connu jusqu'à présent, y compris les épreuves de Classe 2. Le niveau est plus homogène et c'est beaucoup plus dur. J'ai bien appris, c'était une superbe expérience. J'ai aussi découvert l'atmosphère autour d'une sélection nationale.

Et qu'en penses-tu ?
Il y a une belle dynamique autour des Bleus. Ce n'est pas forcément évident sur le papier de faire courir ensemble des mecs qui sont adversaires tout le reste de l'année mais en réalité, tout le monde s'entend très bien, et très vite. On arrive à mettre nos ambitions personnelles de côté pour le bien du groupe. Chacun veut d'abord faire briller le maillot de l'Équipe de France. Et puis, c'est une fierté de porter ce maillot.

« LE POTENTIEL POUR Y ARRIVER »

Ces premières sélections en Bleu, c'est une surprise ou tu les attendais ?
En début de saison, j'en avais parlé avec mon entraîneur et on savait tous les deux que j'avais le potentiel pour y arriver. J'ai toujours gardé ça dans un coin de ma tête. Je m'étais dit que si je marchais sur les belles courses du début de saison comme Annemasse-Bellegarde ou plus récemment le Rhône-Alpes Isère Tour, c'était possible.

Aurais-tu pu être sélectionné avant ?
Chez les Juniors, oui. Ca ne m'aurait pas forcément étonné. Par contre en Espoirs, c'était impossible les deux premières saisons. J'ai toujours été blessé et je n'ai pas trop marché. Même là, ce n'était pas écrit non plus que je sois pris...

Pourquoi ?
Je n'ai pas un palmarès énorme. Mais je suis fier et content que Pierre-Yves Chatelon (le sélectionneur national, NDLR) me fasse confiance. Maintenant, je dois encore montrer que j'ai toute ma place dans ce collectif.

« PEUT-ÊTRE QUE ÇA DEVAIT ARRIVER »

Et tu te sens légitime dans cette Equipe de France ?
Je ne fais pas de complexes. Je me sens à ma place et puis, on est tous potes alors ça aide aussi à s'intégrer et à se sentir bien dans le collectif. Ca devient vite naturel, comme en club ou en Comité régional. Pour le reste, je me dis que si je suis là, c'est que je dois le mériter autant que les autres.


Décrocher tes premières sélections est peut-être également une sorte de revanche après tes pépins physiques des dernières saisons (lire ici) ?
Je n'ai pas vraiment de revanche à prendre. J'ai été blessé, c'est la vie, peut-être que ça devait arriver. Il n'y a pas eu que du mauvais à en retirer. Je me suis battu et peut-être que c'est grâce à ces épreuves que j'en suis là aujourd'hui. Qui sait, peut-être que je n'aurais quand même pas marché en Espoir 1.

2015 et 2016 resteront quand même deux saisons gâchées...
J'ai perdu du temps, c'est sûr. Il ne faut pas se voiler la face. Normalement, les deux premières saisons Espoirs sont celles qui servent à prendre de la caisse et à faire des bornes. Ca pourrait me manquer en fin de saison par exemple. Mais bon, encore une fois, il faut l'accepter. Et puis, cette période-là m'a permis de faire d'autres choses que je n'aurais pas pu faire sans cette blessure.

« JE NE M’INTERDIS PAS UN RESTAURANT OU UN MCDO »

D'autres choses ?
Déjà, j'ai pu vraiment me concentrer sur mes études, avec mon DUT Science et génie des matériaux. C’est quelque chose de très important car si tu es blessé, que tu ne peux plus rouler, et que tu n'as rien à côté... Tu fais quoi ? En parallèle, j'en ai aussi profité pour pas mal sortir. J'ai pris du temps pour moi. J'ai fait la fête, je me couchais tard… C'est aussi à cette période que j'ai pu rencontrer ma copine. De toute façon, j'étais blessé alors je pouvais prendre le temps de profiter, ce qu'on ne fait pas vraiment sinon même en Amateurs. Au moins, je n'aurai pas de regrets car j'ai su profiter quand j'en ai eu l'occasion.

Ce qui sous-entend que désormais, tu ne sors plus ?
Beaucoup moins. Mais c'est aussi que je n'en ai plus vraiment envie. En fait, ces deux années compliquées m’ont permis de voir ce que c'est, pendant une certaine période... Depuis quelques années, on voit des gamins qui font le job à fond dès les Cadets ou Juniors. Ils se couchent à 22h00, ils font attention au moindre truc qu'ils avalent... Il n'y a qu'à voir comme certains mecs sont secs dans le peloton chez les Juniors ! Je trouve ça dingue ! Sauf qu'après, tu retrouves certains de ces mecs qui "pètent les plombs" quelques années plus tard et qui arrêtent le vélo car ils saturent. Moi, je pense que je ne saturerai pas car j'ai profité. Je n'ai pas été frustré. Et maintenant, je peux partir sur autre chose et "faire le métier" comme on dit.

A quel point fais-tu le job ?
Ca dépend... Certains coureurs le font de façon très poussée. Moi, je garde des moments pour profiter quand même. Niveau alimentaire, je ne m'interdis pas un restaurant ou un petit McDo de temps en temps. Je ne considère pas que ce soit ce qui fait le plus de mal. Mais je m'adapte quand même à mes objectifs. Je ne vais pas au McDo la semaine avant un gros objectif. Par exemple, je ne me permettrais pas de manger "sale" à la veille de partir en République Tchèque pour la Coupe des Nations. Mais quand il n'y a pas une grosse course juste derrière, ça peut m'arriver. Même chose pour l'heure à laquelle je me couche. Il peut m'arriver de me foutre au lit à 1h du matin si je suis avec des amis ou ma copine... Ce n'est pas le top pour la récupération mais mentalement, j'en ai besoin. Après, encore une fois, c'est sans excès. Ce serait idiot d'exagérer.

« J’AVAIS BESOIN DE ME RACCROCHER À D’AUTRES CHOSES »

Pendant cette période où tu ne pouvais plus courir et prenais pas mal de bon temps, tu n'as jamais envisagé de tout bonnement arrêter la compétition ?
Jamais ! Je fais du vélo depuis que j'ai quatre ans et demi. C'est une partie de moi. A un moment donné à Chambéry, je n'ai pas pu toucher le vélo pendant cinq mois de suite, ce qui ne m'étais jamais arrivé. J'ai trouvé cette période tellement longue... Je n'avais qu'une envie, c'était de reprendre. Ca aurait été trop dommage de lâcher, j'adore ça.


Tu garderas quand même de bons souvenirs de tes deux saisons au Chambéry CF ?
Bien sûr ! Quand je suis arrivé là-bas à la sortie des Juniors, c'est une équipe qui me faisait rêver. Il faut savoir que je n'étais pas forcément sélectionné au début... Mais Nans Peters avait appuyé mon dossier auprès de Loïc Varnet (manager, NDLR). C'est un grand centre de formation. Certains pensent peut-être que c'est un club uniquement pour les très gros moteurs mais on s'y occupe très bien de tout le monde. Ils font tout pour bien accompagner les Espoir 1 et ne pas les griller. Même sans trop courir, j'ai beaucoup appris là-bas. Malheureusement, j'avais fini par sortir un peu du cercle...

Car tu ne courais plus ?
On partageait moins de moments comme je n'étais pas en course. Et moi, j'avais besoin de me raccrocher à d'autres choses alors j'allais manger avec mes copains de l'école. En revanche, si j'ai quitté Chambéry, ce n'est pas parce que je ne m'y sentais pas bien mais parce que j'avais besoin de changer d'air pour me relancer.

« JE NE VEUX PAS VIVRE QUE DE VELO »

Et le fait d'être pratiquement 24h sur 24 avec tes coéquipiers, ça t'a plu ?
C'est une sacrée expérience ! En fait, le truc, c'est que tous les mecs ou presque qui sont à Chambéry ne pensent qu'à une chose : passer pro. La plupart des coureurs ne vivent que pour ça et du coup, ça parle vélo, ça mange vélo, ça dort vélo... Sans arrêt. Ce n'est pas forcément un reproche car je peux parfaitement comprendre cette approche-là et je la trouve même très belle. Mais moi, parfois, j'aime bien parler d'autres trucs. En plus, j'étais moins dans l'optique de passer pro que d'autres quand je suis arrivé à Chambéry. Je voulais me frotter au haut-niveau bien sûr, mais je voulais d'abord me faire plaisir. Peut-être que ça m'a bloqué aussi et que j'ai progressé moins vite à cause de ça.

Et avec tes proches alors, tu parles vélo ou non ?
Ca me gonfle (rires) ! Je ne suis pas très enthousiaste à l'idée de raconter mes courses ou autre pendant des heures. Bon, si je gagne une course ou que je fais un numéro, pourquoi pas... Mais par exemple, quand ma mère m'envoie plein de SMS après une course ou qu'elle m'appelle pour me dire "alors raconte-moi...", ça me saoule un peu. J'adore ce que je fais, mais je ne veux pas vivre que de vélo.

Tu penses qu'il y a une majorité de coureurs comme toi dans le peloton, ou de jeunes qui ne vivent que pour le vélo ?
Il y a un peu de tout. Je ne sais pas trop... Mais on voit plein de coureurs qui ne vivent qu'à travers le vélo, c'est clair. Ou des coureurs qui partagent leur vie avec des gens du vélo... Moi, ma copine, elle n'est pas du tout du vélo. Elle s'en fout (rires). Mais ça me va très bien ! On n'a pas besoin de parler de ça... L'entraînement, les courses, la bouffe... Quand je suis avec elle, je m'évade. J'oublie mon quotidien de cycliste. J'ai trouvé mon équilibre comme ça.

« IL Y A SÛREMENT UNE PLACE À PRENDRE, MAIS... »

Tu te montres très philosophe et assez détaché sur différents aspects mais comment imagines-tu l'avenir actuellement ?
J'ai envie de passer pro, contrairement à l’époque où j'étais Juniors. Je sens que j'ai des capacités pour faire, éventuellement, une carrière professionnelle. Cette blessure, ces moments où j'ai profité d'autres plaisirs, m'ont fait réaliser la chance que ce serait de pouvoir vivre de ma passion. Et je vais essayer de me donner les moyens d'y arriver. Être cycliste professionnel, ça peut être quelque chose d'exceptionnel.


Peut-être qu'à court terme, la première grosse étape serait de te faire une place de choix en Equipe de France Espoirs ?
On n'en a pas encore trop parlé avec Pierre-Yves (Chatelon) mais il connaît mes qualités de grimpeur et je serai peut-être protégé en République Tchèque par exemple. Alors pourquoi pas, mais il y a encore du chemin.

Tu sens qu'il y a une place de leader à prendre sur les courses par étapes difficiles ?
Il y a sûrement une place à prendre en effet mais je ne sais pas si elle est pour moi. Aurélien (Paret-Peintre) grimpe largement aussi bien que moi, Rémy (Rochas) encore mieux. Des mecs comme Sofiane (Merignat) ou Lucas (De Rossi) sont complets également. Il y a du monde et le plus important, c'est de faire gagner des Français.

Tu te considères toujours comme un pur grimpeur ?
J'ai pris de la force à Bourg-en-Bresse au côté de gros moteurs comme Savickas ou Fred Brun. J'ai progressé sur le plat. Bon, je suis toujours aussi nul au sprint (rires). Mais pour le reste, ça va mieux. Je passe bien les pentes de 4-5% maintenant. Je préfère même ça aux cols à 10%, en fait. Je ne suis pas un grimpeur de poche comme David Gaudu. Peut-être que j'aurais du mal sur une étape où il faudrait enchaîner trois-quatre cols longs et raids. Mais j'aurai sans doute plus de réponses dans les prochains mois.

Crédit photos : Zoé Soullard (DirectVelo), Philippe Pradier et Corentin Photographies Cyclisme

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