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Thibaut Pinot : « Certains trichent encore mais je sais que je peux les battre »

Le leader de l’équipe FDJ se donne pour « objectif raisonnable » de monter sur le podium du Tour de France parti du Mont-Saint-Michel samedi.

Propos recueillis par  (Notre-Dame-de-Bellecombe (Savoie), envoyé spécial)

Publié le 29 juin 2016 à 17h16, modifié le 02 juillet 2016 à 16h52

Temps de Lecture 10 min.

Thibaut Pinot, le 11 juin, lors de la 68e édition du Critérium du Dauphiné.

Ceux qui ont vu Bernard ­Hinault, en jaune, lever cinq fois les bras sur les Champs-Elysées ne peuvent pas comprendre. Ceux qui ont vécu les grandes années EPO et les maillots à pois et vert de Richard ­Virenque et Laurent Jalabert non plus.

Pour la première fois depuis le séisme de l’affaire Festina en 1998, un Français s’est installé dans le Top 10 du cyclisme mondial et prend le départ du Tour de France, samedi 2 juillet, avec pour objectif de monter sur le podium. Sans avoir besoin, comme il y a deux ans (3e), d’une hécatombe parmi les favoris – une ­appellation à laquelle il pourrait, désormais, légitimement prétendre mais qu’il se garde bien de revendiquer. Ce Français, c’est Thibaut Pinot.

Le Monde l’a longuement rencontré au mois de mai, à Notre-Dame-de-Bellecombe (Savoie), à l’issue d’un stage de reconnaissance des étapes alpestres de cette 103e Grande Boucle. Un stage entre potes, ceux qui composeront l’équipe de juillet, la plupart courant ensemble depuis le début de saison. Les jambes n’étaient pas bonnes, mais le moral était là car il y avait la nature tout autour et parfois des vaches dans son champ de vision.

Cinq semaines plus tard, Thibaut Pinot s’est rassuré au Critérium du Dauphiné (une victoire d’étape en montagne, à ­Méribel) et aux championnats de France chez lui, en Haute-Saône, où il a décroché le titre du contre-la-montre. Quatre jours avant le grand départ du Mont-Saint­Michel, alors que nous prolongions la discussion entamée un mois plus tôt, il s’apprêtait à vivre son meilleur moment de la semaine : le barbecue avec les proches avant la plongée dans la grande ­lessiveuse du Tour.

Qu’il aborde l’esprit complètement libre, après avoir signé jeudi une prolongation de contrat de deux ans avec la FDJ, avec qui il est entré dans le monde professionnel il y a déjà six ans.

A quoi ressemble la semaine ­qui précède le départ du Tour ?

Cette année, comme j’étais à domicile, en famille, le championnat de France m’a permis de vraiment penser à autre chose. Mais depuis lundi on commence à avoir la boule au ventre, à être stressés : c’est une des semaines les plus ­désagréables de l’année. Les semaines précédant le Tour, je fais plusieurs nuits blanches. Je suis inquiet de savoir comment ça va se passer. Car, quand on se loupe, c’est très dur.

« Le Tour de France, c’est l’opposé de moi » 

C’est au Tour de France 2013 que j’ai compris qu’on pouvait te monter très haut mais aussi t’enfoncer très bas ­[lâché dans une descente lors de la première étape de montagne, Thibaut Pinot avait ensuite traîné sa peine, amoindri par une angine, jusqu’à son abandon avant la 16étape]. Avant chaque départ du Tour, j’ai en tête qu’il peut faire très mal. Même si, désormais, j’arrive à ­gérer ça différemment.

Je m’en suis rendu compte l’an dernier. J’ai mûri. Je me dis que même si je me rate sur le Tour, ce n’est que du vélo, et qu’il y a tellement de choses à côté du Tour de France que ça ne mérite pas que je me fasse du mal.

Le Tour de France, c’est l’opposé de moi. Ce n’est pas la course que je préfère : beaucoup de pression, beaucoup de stress, mais ce sont les trois semaines de l’année où il faut vraiment se faire violence. Tout ce qui entoure la course, cela fait partie des contraintes que j’ai progressivement apprivoisées. Je « bouffe » moins de jus que quand j’étais plus jeune.

Prenez-vous toujours du plaisir à être coureur professionnel ?

Bien sûr ! Le jour où ce ne sera plus le cas, j’arrêterai. Mais, pour l’instant, je prends du plaisir à m’entraîner et à faire des courses comme le Tour de Romandie. Le Tour de France, c’est un passage obligé. On n’a le temps pour rien. Le seul moment de détente, c’est quand on prend notre douche dans le bus après l’étape. Mais une victoire d’étape sur le Tour rembourse de toute la douleur qu’il génère.

Comment concilie-t-on le plaisir de l’entraînement et la nécessité de s’entraîner qualitativement, avec un œil sur le capteur de puissance ?

Le capteur de puissance fait partie de mon vélo, je ne peux pas m’entraîner sans, je l’ai depuis mes années juniors. Mais je n’en suis pas esclave pour autant, je ne passe pas mon temps à le regarder. Certaines semaines, je ne regarde même pas les fichiers, je les transmets à mon frère [son entraîneur, Julien].

Quand je sais que ça va bien, je n’ai pas besoin de me soumettre à ces contraintes. Je ne fais pas « une minute à tant de watts, puis cinq minutes à tant de watts… » Si je vois une bosse que j’ai ­envie de monter à fond, je la monte à fond. Il faut trouver le juste milieu entre l’entraînement millimétré et l’entraînement plaisir, à l’ancienne.

Et en course, peut-on ressentir du plaisir, malgré la douleur ?

On souffre sur le vélo, et sur l’Alpe­d’Huez [sa victoire d’étape sur le Tour de France 2015] j’ai souffert comme rarement, mais j’étais heureux d’être dessus. Quand vous savez que vous êtes à cinq ­kilomètres de l’arrivée seul en tête et que les gens s’écartent devant vous, là vous prenez du plaisir, peut-être plus que sur la ligne d’arrivée. L’Alpe-d’Huez, c’est le frisson. Quand je gagne à Porrentruy en 2012, je ne comprends pas ce qui m’arrive car, pour moi, je gagne une étape comme une autre. L’an dernier, j’ai plus profité.

Vous rêvez de faire du Tour d’Italie votre objectif prioritaire, ce qui n’a jamais été possible jusqu’à présent. Cela a-t-il pesé dans vos négociations pour prolonger à la FDJ ?

C’était la condition numéro un pour que je reste à la FDJ. L’année prochaine, je pense que c’est la bonne. Ce n’est pas encore définitivement acté, mais ça ­devrait le faire. Si ça se passe bien sur le Giro, j’irai ensuite sur le Tour de France pour gagner une belle victoire d’étape ou le maillot de meilleur grimpeur.

« Depuis que je suis passé professionnel, des dopés, j’en ai battu des centaines, donc ce n’est pas ça qui me freine »

De grandes équipes avec de beaux projets s’intéressaient à moi, mais l’idée a toujours été que je reste. Je partirai peut-être le jour où Marc [Madiot] me dira qu’on ne peut pas faire plus. Mais j’ai grandi avec cette équipe, j’y suis passé professionnel à 19 ans. Elle a progressé en même temps que moi et cela doit continuer : dans le matériel, la diététique, le choix des coureurs, les ­entraînements, il y a tellement de ­domaines à améliorer ! Mais c’est la même chose dans toutes les équipes.

Depuis cette saison, l’équipe est par exemple suivie par un diététicien, Denis Riché, qui s’occupe également de Romain Bardet…

Oui, il nous donne de bons conseils, même si on est libres de les appliquer. Je suis incapable d’arrêter le gluten, par exemple, parce que j’ai besoin de mon plat de pâtes après l’entraînement, c’est mon plaisir. Le vélo est déjà tellement dur que je ne veux pas me mettre d’autres contraintes. J’essaie d’être le mieux possible dans ma tête pour ne pas trop me « cramer ».

Quelles limites refusez-vous ­de franchir ?

Les stages interminables, par exemple. Je ne partirai jamais, comme le font certains grands leaders, trois semaines à ­Ténérife [Espagne] avant une course. Ce n’est pas possible. Après, je n’aurais qu’une envie : rentrer chez moi. Cela fait partie des choses que je ne ferai pas dans ma carrière, je pense. Pour marcher, il faut que je sois bien dans ma tête. Et pour être bien dans ma tête, je dois être chez moi.

Chez vous, à Melisey (Haute-Saône), où vous avez fait construire votre ­maison…

Oui, elle est debout depuis deux mois, à deux kilomètres de chez mes parents. C’est une maison en bois. Quand on aime la nature comme moi, on est forcément un peu écolo. Elle est posée sur un terrain au milieu des vaches, des chevaux, des moutons. Je suis au calme, je suis bien. Mon étang est à deux kilomètres en contrebas. La meilleure journée de récupération du monde, pour moi, c’est 8 heures-19 heures à l’étang, la pêche avec les copains, et un bon ­barbecue le midi. Mon étang, c’est la tranquillité. Je l’aime.

« Je ne pars pas dans l’optique d’aller gagner le Tour de France mais dans celle de monter sur le podium, c’est un objectif raisonnable »

Parfois, mon père m’appelle « le paysan », parce que je me trimbale avec de la terre collée aux chaussures. J’assume. Heureusement qu’ils sont là, les paysans. C’est un métier qui aurait pu me plaire. Plus dur que cycliste : ils sont toute l’année debout de 6 heures à 22 heures.

Quitter Melisey, c’était impossible ?

Je suis bien là où je suis. Mon banquier m’a déjà proposé plusieurs fois d’habiter en Suisse. Des gens qui s’occupent des cantons en Suisse, pour récupérer de l’argent ou je ne sais quoi, m’ont aussi contacté, mais ça ne m’intéresse pas. Déjà parce que je pense que je gagne suffisamment d’argent et que je n’ai pas ­besoin de plus. Ensuite parce queje préfère payer mes impôts normalement, et être bien dans ma tête, plutôt qu’en payer moins en Suisse et être loin de ma famille et de mes amis.

Aujourd’hui, dans le cyclisme ­professionnel, jusqu’où peut-on aller sans dopage ?

On peut monter sur un podium de grand tour et même gagner, aujourd’hui, en étant à l’eau. J’en suis convaincu.

Malgré les failles de la lutte ­antidopage ?

Quand on regarde les classements, on sait très bien que certains trichent ­encore. Mais je sais que je peux les battre. Depuis que je suis passé professionnel, des dopés, j’en ai battu des centaines, donc ce n’est pas ça qui me freine. Je sais qu’un jour ils tomberont, et que c’est là qu’on rigolera.

Et l’iniquité entre les équipes, sur la question des corticoïdes notamment, surveillés chez les unes et pas chez les autres ?

Je suis peut-être naïf. Mais, il y a une ­dizaine d’années, mon palmarès en 2016, je ne l’aurais pas eu. Depuis le début de la saison, je n’ai pas encore vu de performances hors du commun.

Croyez-vous à l’utilisation de ­moteurs dissimulés dans les vélos ?

J’ai du mal à l’imaginer. C’est impensable de prendre un moteur pour disputer une course de vélo. Bon, j’ai essayé le VTT électrique de mon frère et, c’est vrai, ça avance bien ! J’espère qu’il n’y en a jamais eu, mais on ne le saura jamais et je préfère ne pas le savoir. Ce ne sont même plus des tricheurs, c’est au-delà. Si toutefois il y en a eu, je pense que c’est fini maintenant, il y a beaucoup de contrôles.

Où vous situez-vous dans la ­hiérarchie des prétendants au Tour de France ?

[Il montre un magazine belge posé ­devant lui, présentant Alberto Contador, Chris Froome, Nairo Quintana et Vincenzo Nibali.] Ces quatre-là sont encore les quatre premiers. Je me situe juste derrière eux. J’essaie de réduire l’écart. Je les ai battus de temps en temps, mais si tout se passe bien pour eux, ils sont ­encore au-dessus.

Après, il y a des faits de course dans le vélo. Heureusement que ce n’est pas toujours le plus fort qui gagne, sinon on s’ennuierait. Je ne pars pas dans l’optique d’aller gagner le Tour de France mais dans celle de monter sur le podium, c’est un objectif raisonnable.

Avez-vous le sentiment d’être ­reconnu comme quelqu’un qui est 6e mondial dans son sport ?

Peut-être pas, et j’en suis bien content. On me fout la paix. Je ne veux pas être une célébrité, je ne veux pas passer à la télé, ce n’est pas mon truc.

Vous n’enviez pas la vie de Christopher Froome ou d’Alberto Contador ?

Non ! Contador a dû déménager en Suisse parce qu’il était trop embêté chez lui. Le jour où je ne peux plus vivre chez moi, où je dois partir… Personnellement, j’arrêterai ma carrière avant de déménager.

Vous pensez toujours vous arrêter quand vous aurez gagné le Tour ?

Si c’est cette année, peut-être pas, mais dans quatre ou cinq ans, il y a de grandes chances.

Pour faire quoi ?

Je ne sais pas encore. Mais il y aura des animaux et de la nature pas loin.

Thibaut Pinot lors des championnats de France sur route, le 26 juin, en Haute-Saône.
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