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Lucien Aimar : le temps des souvenirs

Jacques Anquetil (à droite) aide Lucien Aimar à conserver le maillot jaune lors de l’étape du Tour 1966 reliant Turin à Chamonix.

Le vainqueur de la Grande Boucle 1966 évoque le passé et ses relations privilégiées avec les légendes du peloton.

François Thomazeau, envoyé spécial à Montauban

Il a fallu un demi-siècle à Lucien Aimar pour sortir de sa réserve et évoquer enfin sa victoire dans le Tour de France 1966 et ses relations privilégiées avec quelques légendes du peloton et notamment Jacques Anquetil, dont il fut longtemps le compagnon de chambrée. «Je faisais partie de la famille», note le coureur varois, qui publie aujourd’hui ses ‘’Mémoires, Le Temps des champions’’ *.

Les années en «6» ont souvent donné lieu à des vainqueurs «surprise» sur la Grande Boucle, comme Roger Walkowiak en 1956, Lucien Van Impe en 1976, Bjarne Riis en 1996 ou Oscar Pereiro en 2006, mais l’ancien organisateur du Tour méditerranéen refuse d’être classé dans cette catégorie. «Nous étions entre deux longs règnes, celui de Jacques Anquetil et celui d’Eddy Merckx. Du coup, il n’y avait pas de vrai favori, mais tous ceux qui ont gagné dans l’intervalle – Gimondi, moi-même, Pingeon ou Janssen – étaient de vrais champions, leur palmarès le démontre», corrige-t-il.

La victoire du Hyérois, qui termina encore à trois reprises dans les dix premiers de la Grande Boucle, est peut-être plus à rapprocher de la passation de pouvoir entre Bernard Hinault et Greg LeMond en 1986 : «Avec une différence de taille, le fait que Jacques ne pouvait plus remporter le Tour. Mais il m’a aidé, comme je l’avais aidé si souvent.»

Anquetil l'entraînait dans ses frasques et ses virées En filigrane de cette victoire transparaît la rivalité féroce qui opposait le premier quintuple vainqueur de la plus grande course du monde à Raymond Poulidor, ce choc des ego qui divisait la France et la presse, grimant le Limougeaud en «fils du peuple» et le secret Normand en «aristo». Lucien Aimar fut celui qui réconcilia les deux hommes, dont l’inimitié leur valut de sacrifier un titre mondial en 1966 à l’Allemand Rudi Altig, pourtant souffrant, sur le circuit du Nurburgring.

Le temps des champions, c’était aussi celui d’un cyclisme plus convivial, plus insouciant, plus populaire. Et Lucien Aimar n’élude rien des frasques et des virées où l’entraînait «le père Jacques», aussi flamboyant la nuit que dominateur en selle. «Jacques Anquetil avait cette capacité à dépasser la souffrance pour atteindre un état de transe qui devenait presque agréable. Je n’ai jamais réussi à me mettre dans cet état. C’est toute la différence entre un très bon coureur et un immense champion.»

Le Temps des champions, ce fut aussi celui des années 1960, des amphétamines et du balbutiement des contrôles antidopage. De la mort de Tom Simpson, «l’autre phénomène que j’ai connu», en 1967 dans la fournaise du Ventoux. Quitte à heurter, le champion de France 1968, premier à organiser un colloque sur le dopage, estime qu’une gestion plus souple de la question aurait évité «la fuite en avant que nous avons connue».

Je veux défendre les coureurs, qui ont été les boucs émissaires pendant que les médecins et ceux qui tiraient les bénéfices n’ont pas été inquiétés

Lucien Aimar

«Les amphétamines n’avaient aucun effet musculaire. Seulement un effet psychologique. On a voulu faire de Tom Simpson la victime des amphétamines. Mais les autopsies ont démontré le contraire. On a utilisé sa mort à d’autres fins. Moi, je veux défendre les coureurs, qui ont été les boucs émissaires pendant que les médecins et ceux qui tiraient les bénéfices n’ont pas été inquiétés.»

S’il a attendu aussi longtemps pour se confier, c’est que ce jeune retraité de 75 ans, rangé des vélos depuis seulement trois ans, ne regarde pas dans le rétro : «En tant que formateur puis qu’organisateur de courses, j’ai continué à fréquenter des jeunes coureurs et à ne pas sacrifier à la nostalgie du bon vieux temps.»

Pour Lucien Aimar, le cyclisme moderne a juste créé un nouveau type de coureur, plus complet, plus puissant qu’à son époque, où la longueur des courses et les braquets réduits exigeaient des coureurs plus endurants qu’athlétiques. «Des coureurs des générations suivantes, j’ai bien aimé Mario Cipollini, qui avait la classe, le style et la beauté. Aujourd’hui, j’aime bien Alberto Contador, qui est toujours prêt à la bagarre.»

Et trente et un ans après la dernière victoire française de Bernard Hinault, l’ancien bras droit de Jacques Anquetil aimerait bien voir un Français s’illustrer enfin. «J’ai l’impression que les Français sont encore un cran en dessous. À eux de démontrer qu’ils peuvent franchir ce cran. On y arrive en prenant l’initiative en course, mais aussi avec le soutien de l’entourage. Lorsque je me suis retrouvé deuxième du Tour 1966, j’ai dit à Raphaël Géminiani que ça me suffisait. Il est entré dans une colère noire et m’a dit qu’Anquetil ne courait jamais pour la deuxième place. Aujourd’hui, un directeur sportif comme Marc Madiot peut tenir ce genre de discours et motiver ses coureurs…»

* Le Temps des champions , avec Jean-Paul Vespini, Mareuil Éditions

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