La Grande Interview : David Gaudu

Crédit photo Manu bonnefoy et Camille Nicol

Crédit photo Manu bonnefoy et Camille Nicol

Bretagne et montagne. Comme Warren Barguil avant lui, David Gaudu est tissé avec les deux fibres. Sa silhouette toute fine de farfadet plane sur les bosses depuis les rangs Juniors (vainqueur d'Aubel-Thimister-La Gleize, 2e de la Classique des Alpes) jusqu'à ses débuts chez les Espoirs en 2015 (11e de la Ronde de l'Isard, une étape du Tour d'Auvergne). "Tu sens qu'il a un très gros moteur et qu'il est en train d'exploser", témoigne son coéquipier Jérémy Bescond. Il en impose, David Gaudu : grimpeur fluet (1m73 pour 54 kilos), braquet souple, cylindrée puissante. Comme Barguil avant lui, le coureur de 20 ans reste fidèle aussi longtemps que possible à sa Bretagne, loin des Alpes ou des Pyrénées. "Parce que je m'y sens bien", dit-il. Installé à Saint-Brieuc, licencié au club de Côtes d'Armor-Marie Morin, il est aussi membre de la Fondation FDJ et pensionnaire de l'Equipe de France Espoirs. Ce qui lui permet de se reposer à demeure et de grimper à l'extérieur.

DirectVelo : Commençons par un chiffre étonnant : tu détiens le 6e temps dans la Planche des Belles Filles, si on en croit Strava. Alors que tu étais Junior à l'époque, tu mets six secondes de plus que Thibaut Pinot et quinze secondes de moins que Romain Bardet à l'entraînement. Ou encore 39 secondes de plus que le recordman, Laurens Ten Dam, qui établit son chrono lors du Tour de France 2014. Quel regard portes-tu sur cette donnée, qui a fait pas mal causer ?
David Gaudu : Il ne faut pas comparer l'incomparable. Même si nos temps sont confrontés automatiquement, Strava est juste un moyen de s'amuser. Nous sommes dans deux univers différents. Les gars du Tour de France enchaînent plusieurs cols avant la Planche des Belles Filles. Pour ma part, je me suis présenté dans l'ascension pendant un stage [avec le B'Twin Racing Team U19, en 2013, NDLR]. J'ai fait seulement cette montée à bloc et j'étais dans un pic de forme. Jamais je ne pourrais imaginer grimper plus vite que ces gars. Ce serait insensé !

Au demeurant, ces coureurs professionnels t'inspirent ?
Oui. Quand je vois ce que font Pinot et Bardet dans la montagne à leur âge [25 ans], j'ai envie d'aller le plus haut possible...

« LA MONTAGNE, C'EST MYTHIQUE »

Est-il facile d'être grimpeur quand tu habites, cours et t'entraînes en Bretagne ?
Oui et non. Nous avons des épreuves où les grimpeurs peuvent tirer leur épingle du jeu, comme Manche-Atlantique ou le Circuit du Viaduc au Ponthou. Mais, c'est vrai, les bosses sur ces courses-là sont davantage propices à un puncheur qu'à un pur grimpeur. Le relief se corse dans les Monts d'Arrée, au centre du Finistère, la région la plus « montagneuse » de Bretagne. C'est là que j'ai fait mes débuts de grimpeur.

Cette région t'a profondément « façonné », estime ton coéquipier Jérémy Bescond. Quelle incidence ce massif pas très connu du grand public a-t-il eu sur ta carrière ?
Je roule sur ces routes depuis l'âge de quinze ans. Les Monts d'Arrée sont magnifiques, avec des landes, des forêts et des montagnes... Heu, non, pas des montagnes, des monts ! Rien à voir avec les cols des Pyrénées ou d'Auvergne, mais on trouve déjà de très belles montées de deux ou trois kilomètres, qui se succèdent et forment un bon 2000 mètres de dénivelée sur une longue sortie. Depuis le Roc'h Trédudon, on aperçoit la mer. La nature a des reflets jaunes. J'aime cette région tout particulièrement en été. Il n'y a pas âme qui vive. Quasiment pas de voitures, peu de cyclistes à l'horizon. Beaucoup disent qu'ils roulent dans les Monts d'Arrée mais on ne les voit pas. Certainement que nous n'avons pas les mêmes horaires. Et puis le coin est étendu...

Donc, depuis tes années Juniors, tu as travaillé ton coup de pédale dans ces petits « cols » bretons ?
J'y suis allé par étape. Au début, nous partions à pied sur les sentiers. Puis à vélo, un morceau de route, un autre, ensuite une bosse et une sortie complète. Nous habitons à Landivisiau, tout près des Monts d'Arrée. Mon père, lui, faisait du VTT. Je voulais faire pareil que lui. Mais ma famille a insisté pour que je me mette au cyclisme sur route.

D'habitude, c'est l'inverse : les parents préfèrent le VTT pour leurs enfants !
Oui, mais il y a beaucoup de casse de matériel... Alors j'ai débuté par la route, chez les Poussins première année [à neuf ans, NDLR]. Mon père m'a suivi dans la discipline.

Ton premier col à l'entraînement, c'était où et quand ?
Le Tourmalet, lorsque j'avais 12 ans. J'ai eu la chance que mes parents m'emmènent à la montagne : ski l'hiver et vélo l'été. J'ai monté le col par Sainte-Marie de Campan, mais seulement la moitié : je faisais un kilomètre à vélo et un kilomètre en voiture... J'ai de suite été attiré par ce terrain de jeu. Au sol, il y avait le nom des coureurs du Tour tracés à la peinture. Tu comprends que le lieu est mythique.

« LE CHAT SE JETTE SOUS MA ROUE EN DESCENTE »

Et en course ?
Le Col du Chat, sur la Classique des Alpes Juniors, en 2013. Je n'avais jamais couru en montagne auparavant. Dès ce premier col, j'attaque et je passe le sommet en tête devant Rémy Rochas. Puis je pars seul et je fais la course à l'avant dans les trois ascensions suivantes. On repasse par le Col du Chat et là, je me prends... un chat ! Ce n'est pas une blague, même si j'en souris aujourd'hui. En pleine descente, l'animal s'est jeté dans mes roues. Je suis tombé. Sans gravité mais j'ai tout perdu (voir sa réaction à chaud). Quand tu as trois minutes d'avance et que tu vois tes poursuivants revenir les uns après les autres, c'est dur.

L'année suivante, tu es revenu le moral à bloc pour la Classique des Alpes ?
Oui, mais j'étais plus marqué qu'en 2013. Il faut dire que j'avais annoncé mon envie de gagner... Au final, je me retrouve en tête, encore avec Rochas, et je perds dans un sprint à deux (voir ici). Mais j'avais adoré. Cette même année, il y a aussi Liège-La Gleize, qui a beaucoup compté pour moi. Je m'échappe à trente kilomètres de l'arrivée, je remporte la dernière étape et le classement général. Un beau souvenir aussi.


En 2015, la Ronde de l'Isard (11e) et le Tour des Pays de Savoie (18e) confirment ton potentiel dès ta première saison chez les Espoirs. Rassurant ?
Je m'étais bien préparé pour la Ronde de l'Isard. Je me classe quatrième de la première étape (voir ici), qui se terminait au sommet [à Goulier-Neige]. Au bout du compte, j'ai gagné ma sélection pour le Tour des Pays de Savoie. Là, je suis arrivé moins au top de ma forme et je suis monté en pression au fil des jours. Ces deux épreuves m'ont beaucoup appris. J'ai reçu des coups sur la casquette ! [rires] Quand Chambéry Cyclisme Formation fait une bordure en descente sur le Tour des Pays de Savoie, c'est beau pour le public mais un peu moins beau pour les coureurs derrière ! [rires]

La descente, ta lacune du moment ?
Oui, j'ai encore une grosse marge de progression. Pour s'améliorer dans ce domaine, c'est une affaire de technique et de mental. Il faut savoir débrancher le cerveau : c'est le plus dingo qui passe. Si je descends à la même allure et avec la même position que Nans Peters, ma roue part dans le décor. Certains mecs sont des artistes du vélo...

« LE CLUB NE ME MET PAS DE PRESSION »

En fin de compte, tu es autant puncheur que grimpeur ?
J'aime bien les « vrais » cols. Si une montée fait cinq kilomètres, il y a plus de monde à battre. Un truc d'au moins dix kilomètres, ça peut refroidir les puncheurs. Ils se disent avant le départ : « Je ne pourrais certainement pas m'accrocher ».

Et toi, que penses-tu le matin d'une étape de cols ?
Que la journée s'annonce bien. J'imagine les scénarios. Si la bagarre se déclenche au pied du col, je me dis qu'il faudra attendre, essayer d'attendre. Si un tempo s'installe, il faudra suivre. Quel que soit le déroulement, je me dis que les meilleurs grimpeurs vont tôt ou tard se retrouver ensemble, et que c'est une occasion à saisir car les épreuves de montagne sont rares au calendrier Espoirs.

La question à cent euros : pourquoi es-tu resté chez Côtes d'Armor-Marie Morin, en Bretagne, en DN2, au lieu de rejoindre un club de DN1 proche des montagnes ?
Parce que je m'y sens bien ! Pour le moment, c'est pratique : je suis à l'école à Saint-Brieuc [en BTS de comptabilité, NDLR], le siège de l'équipe se trouve à Saint-Brieuc. Pas besoin de faire trois heures de train ou de voiture le dimanche soir au retour des courses. Je récupère mieux et je peux être en cours comme il faut le lundi matin. En plus, l'ambiance est très bonne et j'apprécie qu'on ne me mette pas la pression comme ce serait le cas dans un club de DN1. Et puis j'ai tout ce dont j'ai besoin. Le programme est intéressant, même pour un grimpeur. L'an passé, nous avons couru la Ronde de l'Isard, le Tour Nivernais-Morvan, le Tour de Dordogne, le Tour d'Auvergne...

Sans compter que l'Equipe de France Espoirs peut t'ouvrir la porte des grandes épreuves montagneuses ?
Oui, à condition de te montrer sur les courses et sur les sélections !

« J'AI UN COTE HYPERACTIF »

Plusieurs de tes proches te décrivent comme une « pile électrique ». Ton avis ?
Je suis un faux-calme. Hyper timide au début, et puis mon coté hyperactif ressort.

Ta pile est branchée sur quoi ?
Sur le plaisir. Quand je suis sur le vélo, je donne tout ce que je peux pour aider les autres, faire le jeu de l'équipe. Pareil en-dehors : j'aime bien rire ou faire rire. C'est quand même mieux que de tirer la gueule, non ?

Ton caractère hyperactif t'a souvent pénalisé en course. Ton directeur sportif, Fabien Schmidt, dit que tu étais « capable d'attaquer quinze fois pour terminer sixième ». Mais il se réjouit que tu aies « attaqué une seule fois pour terminer premier » dimanche dernier, sur Plaintel-Plaintel. Vas-tu changer ta façon de courir cette année ?
Dans l'idéal, oui, je vais changer. Je me suis souvent beaucoup trop dévoilé, quitte à finir complètement sec. A Plaintel, je réalise presque ce qu'on appelle « la course parfaite » : je me retiens, tant bien que mal, et je donne tout quand mes coéquipiers me disent d'y aller, seul, à vingt kilomètres de l'arrivée. Mais il faut relativiser : c'est une épreuve toutes catégories, pas une Elite Nationale comme Manche-Atlantique. Est-ce que je serai toujours capable de courir ainsi ? Sans doute que non. Ce n'est pas toujours possible : tout dépend du terrain et des adversaires.

A part les études et le vélo, comment occupes-tu tes journées ?
Je joue aux jeux vidéos. Idéalement, je passe du temps avec ma copine mais si elle n'est pas là, je branche l'ordi ou la console. Le dernier jeu que j'ai acheté, c'est Skyrim [The Elder Scrolls V]. Tu te bats contre deux dragons dans un univers du Moyen-Age. J'essaie de me détendre comme ça. Quand le jeu m'énerve trop, j'arrête.


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