La Grande Interview : Yoann Paillot

Retour aux sources pour Yoann Paillot. Après trois saisons passées à la Pomme Marseille (devenue Marseille 13-KTM en 2015) le spécialiste de l'effort solitaire revient à l'Océane Top 16. La formation qui l'a vu percer comme un futur grand du chrono, avec ses titres de Champion d'Europe (2011) et Champion de France Espoirs (2013) en contre-la-montre. Stéphane Bauchaud, qui l'entraîne depuis son passage chez les Minimes, n'hésite d'ailleurs pas à le comparer à Jérôme Coppel. "S'il n'avait pas perdu toutes ses qualités, il aurait eu le même type de progression", dit-il. Généreux dans l'effort comme dans la vie, Paillot est de l’aveu de son directeur sportif "ce qu'on appelle une bonne pâte" Une qualité qui ne lui a pourtant pas réussi lors de ses années chez les professionnels. D'abord déçu de repartir chez les amateurs, le Charentais n'est pas du genre à ruminer, ni à rester sur un échec. "J'ai appris de mes erreurs. Je me donne deux ans pour repasser pro", annonce-t-il à DirectVelo.

DirectVelo : Alors que tu as passé la ligne d'arrivée avec une belle avance, tu as finalement été déclassé au GP Souvenir Jean-Masse (lire ici). Que s'est-il passé ?
Yoann Paillot : J'ai été mal aiguillé dans un rond-point. Tout le monde a tourné à gauche, y compris la voiture ouvreuse, donc j'ai suivi, et personne ne m'a rien dit sur le moment. Mon directeur sportif avait pourtant réclamé une voiture-neutre mais il n'y en avait pas. Lorsque j'ai enfin été au courant et que j'ai pensé à faire demi-tour, le motard qui était devant moi m'a dit "tu ne vas pas rater grand chose, on va rattraper le bon itinéraire dans pas longtemps". Au final j'ai dû manquer 500 mètres de parcours qui comprenaient notamment l'avant-dernière bosse.

Comment as-tu vécu ta disqualification ?
Sur le moment j'étais déçu, surtout que je ne l'ai pas su tout de suite. C'était un peu le bordel pour avoir des nouvelles après l'arrivée. L'organisation m'a d'abord annoncé vainqueur mais les commissaires ont finalement pris la décision de me déclasser. C'est dommage que ça se soit terminé comme ça parce que j'avais creusé l'écart dans le final : à 25 kilomètres j'avais 40" d'avance, à 8 bornes 1'10", et à 6 km du but, 1'15"... Depuis, j'ai eu le temps de digérer. Je suis peut-être déçu pendant une heure ou deux mais je me projette vite sur le week-end suivant.

Penses-tu pouvoir répéter ce genre de numéro ?
Au vu de mon état de forme, j'espère être capable de remettre ça dans un avenir proche. Au Jean-Masse, j'ai d'abord été le premier surpris par ma performance. Je ne m'étais pas rendu compte que je m'étais autant échappé. Je n'ai même pas attaqué, j'ai juste pris un relais appuyé et quand je me suis retourné, j'étais seul. J'ai ensuite géré mon avance en continuant à mon rythme, comme sur un chrono en somme. Le plus surprenant c'est que je n'avais pas de super sensations. J'étais tombé malade après l'Essor Basque et j'avais encore mal aux jambes à cause de la Coupe de France de la veille (le GP du Pays d'Aix, NDLR).

« ON NE M'A PAS ASSEZ FAIT CONFIANCE »

Pour revenir sur ta fin de saison 2015, quand as-tu appris que tu ne serais pas conservé dans l'effectif de Marseille 13-KTM  ?
On me l'a officiellement annoncé au mois d'octobre. J'ai été surpris par la manière de faire. Ils m'ont fait poireauter pendant deux mois avant de venir me voir. En fin d'année, comme ça, je n'avais pas la possibilité de retrouver un contrat. Au milieu de la saison, il m'est revenu des échos comme quoi il y avait 99% de chance que l'effectif ne soit pas modifié car l'équipe passait en Continentale Pro en 2016. Quand je suis allé voir le staff pour leur demander ce qu'il comptait faire, on m'a répondu qu'on ne savait pas. Même lorsque je suis retourné demander ce qu'il en était au mois de septembre, ils n'étaient pas sûrs de leur choix. Je n'ai vraiment pas compris leur attitude.

Selon toi, qu'est-ce qui n'a pas marché ?
Personne ne m'a dit ce qu'il pensait. Je n'en sais toujours rien aujourd'hui, même si je pense qu'ils se sont surtout basés sur les résultats. L'année dernière on ne m'a pas assez fait confiance. J'avais la sensation d'avoir perdu de la crédibilité aux yeux de l'entraîneur ; du coup, je n'ai quasiment pas eu la possibilité de faire de chrono. La consigne était soit de m'échapper, soit d'emmener les sprints. Comme la manière de courir en pro diffère de chez les amateurs et qu'une échappée n'a que peu de chances d'aller au bout, je n'ai pas eu l'opportunité de signer de bons résultats. J'ai surtout couru sur le front français en 2015. Étant donné que j'enchaînais beaucoup de courses, je n'avais pas le temps de préparer le contre-la-montre comme je le voulais et j'ai perdu mes repères. Ça a été un véritable cercle vicieux.

Tu gardes encore de l'amertume ?
Non, ce n'est pas mon genre. J'ai rapidement tourné la page. De toute façon, j'avais envie de changer d'air. Rester trois ans à courir en Continentale, à faire toujours les mêmes courses, ce n'était pas idéal. Ça manquait de changements.

Quelles différences as-tu noté entre les milieux professionnels et amateurs ?
Chez les amateurs, l'ambiance est complètement différente, c'est beaucoup plus calme. On a toujours un copain pour nous épauler. Être pro c'est particulier. On a un contrat d'un an ou deux, on s'entraîne tous les jours et on court sans savoir s'il sera renouvelé. Cette espèce d'épée de Damoclès qu'on a au-dessus de la tête engendre pas mal de méfiance entre les coureurs. L'entente n'est pas forcément cordiale, c'est chacun pour soi. Personnellement ça ne me dérange pas. Le directeur sportif donne des consignes et on les suit, c'est notre boulot.

« DEUX ANS POUR REPASSER PRO »

Que retiens-tu de tes trois années passées chez les pros ?
J'ai beaucoup appris. Tactiquement et dans l'approche du sprint, je courais souvent en étant mal placé. Au niveau de la gestion de carrière également. Les deux premières années, j'ai été trop gentil. Quand on passe pro jeune, on ne sait pas trop où on met les pieds et on a tendance à se laisser marcher dessus. Il est essentiel de s'affirmer. L'an passé, j'ai commencé à moins me laisser faire, notamment lorsqu'on m'inscrivait à des courses qui ne me convenaient pas. Au final j'ai pris de la caisse physiquement, j'ai mûri et je ferai en sorte de ne pas répéter les mêmes erreurs si je repasse pro.

C'est un objectif ?
C'est sûr que j'aimerais y retourner. Je rêve de rester dans le milieu professionnel, ça me plaît de courir aux côtés des grands, ça me motive. J'estime que je peux encore progresser. Et puis quand je vois la trajectoire de Thomas Rostollan ou Stéphane Poulhiès qui sont bien plus vieux que moi, je me dis qu'à 24 ans j'ai encore de l'avenir. Je compte faire une année complète chez les amateurs pour me mettre toutes les chances de mon côté. Cela veut dire être régulier, remporter un maximum de victoires et remarcher en contre-la-montre. Ce sera une déception si je ne parviens pas  à mes fins dans deux ans et il faudra alors penser à faire autre chose de ma vie. Je veux de toute façon rester dans le vélo. Pour ça, j'ai déjà quelques idées : passer un diplôme pour être directeur sportif ou bien mécano.

Quel cursus as-tu suivi avant de te consacrer au vélo ?
J'ai obtenu un CAP maintenance-industrielle. Ça pourra peut-être me servir plus tard, en fonction de ce que je déciderai.

« J'AIME QUAND IL N'Y A PERSONNE DANS MA ROUE »

Tu parles beaucoup du chrono. C'est toujours ta discipline de prédilection ?
Tout à fait. Même si je n'en ai pas disputé beaucoup pendant mes années à Marseille, ça reste mon exercice favori.

Quand as-tu découvert que l'effort solitaire te correspondait ?
Pendant mes années chez les Juniors. Lors de ma première participation au Challenge National j'avais signé un top 10 sur un contre-la-montre. Je me suis alors dit "pourquoi pas en faire une spécialité". Quelques mois plus tard je termine troisième du Championnat de France... J'ai ensuite progressé au fil des années. Comme je viens du VTT, cela m'avantage. Je fais aussi pas mal de cyclo-cross ce qui constitue une bonne préparation pour le chrono puisque les efforts sont comparables. Il faut "juste" rouler à fond pendant une heure.

As-tu été inspiré par certains grands noms ?
J'ai toujours été passionné par le vélo mais quand j'étais plus jeune, je regardais uniquement le Tour de France. Je ne m'intéressais pas vraiment aux coureurs. Mon père aimait rouler pour le plaisir et j'ai eu envie de l'accompagner. De fil en aiguille, j'ai intégré un club et je me suis mis à la compétition. Ce n'est que plus tard que j'ai apprécié les performances de coureurs comme Tony Martin ou Fabian Cancellara.

Quel type de contre-la-montre apprécies-tu le plus ?
Je les aime tous (rires). J'ai déjà obtenu des résultats sur les prologues et j'ai une attirance naturelle pour les chronos longs, de 40-45 kilomètres. J'affectionne l'effort solitaire dans son ensemble. J'aime appuyer sur les pédales, me faire mal, et qu'il n'y ait personne dans ma roue.

Tu n'aimes pas courir en compagnie d'autres coureurs ?
En fait, lorsque je suis présent dans une échappée, j'ai tendance à en faire trop. Du coup je travaille pour les autres et parfois ça me joue des tours. On m'a toujours dit que j'étais généreux dans l'effort, sans doute trop (sourires).

« ETRE CHAMPION DE FRANCE AMATEURS DE CHRONO »

On a vu au GP Souvenir Jean-Masse que tu passais bien les bosses. Sur quel profil t'imagines-tu pouvoir tirer ton épingle du jeu ?
Je suis à l'aise sur toutes sortes de circuits. J'ai de la puissance sur le plat et les courses à bordure ne me dérangent pas. J'apprécie aussi quand ça grimpe. Je sais que je passe bien les cols car chez les pros j'étais souvent parmi les trente derniers dans le paquet. Je trouve que c'est un effort qui ressemble à celui du contre-la-montre et je parviens bien à monter à mon rythme.

Et quelles sont les courses où tu espères briller ?
Je les ai toutes cochées parce que toute victoire est bonne à prendre. J'espère pouvoir continuer sur ma lancée après ce début de saison encourageant. Mes gros objectifs seront les manches de la Coupe de France et le chrono du Championnat de France. J'aimerais remporter le titre chez les amateurs. Sinon pourquoi pas le Kreiz Breizh où j'ai terminé deuxième la dernière fois que j'y suis allé. Ce serait sympa de l'emporter cette fois-ci.

Crédit photo : Pascal Baudron
 

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