La Grande Interview : Yannis Yssaad

En 2015, à 21 ans, Yannis Yssaad côtoyait dans le peloton Espoirs des concurrents qui rêvaient de passer au-dessus, alors que lui, avait déjà une année professionnelle dans les jambes. Malgré quelques bons résultats (6e du Grand Prix de Denain, deux Top 10 au Tour du Poitou-Charentes), son contrat n'avait pas été prolongé chez Auber 93. "Le feeling avait du mal à passer entre l'encadrement et moi, reconnaît-il. Et quand ça ne passe avec tes supérieurs, c'est foutu."
Pas abattu, sous les couleurs de Sojasun espoir, il a réussi son retour chez les Amateurs, avec comme point d'orgue une victoire d'étape sur le Tour de Bretagne (2.2). Séduite par ses résultats, l'Armée de Terre lui a offert une nouvelle chance de se démarquer chez les professionnels. En revanche, sur les podiums, il sera plus difficile de le différencier de ses coéquipiers. Entrée sous les drapeaux oblige, il a dû se séparer d'une grosse partie de sa, désormais, mythique chevelure.

DirectVelo : Il est difficile de ne pas parler, pour commencer, de ta coupe de cheveux...
Yannis Yssaad : Elle a souvent été une approche pour me parler ! Cela ne me dérange pas, il n'y a jamais eu de problème pour en causer. Mais maintenant, elle n'est plus là ! Je me suis coupé les cheveux il y a quelques semaines.

Est-ce que ça a été difficile ?
Cela ne m'a pas chagriné du tout. Ce n'est ni plus ni moins qu'une coupe de cheveux. Bon, la seule chose qui m'embête est d'être en hiver. J'ai déjà attrapé froid (rires).

« ON ME DEMANDAIT COMMENT LES CHEVEUX RENTRAIENT SOUS LE CASQUE »

Elle datait de quand cette mythique coupe ?
(Il réfléchit.) Je me suis laissé pousser les cheveux à partir de la 3e. Aller chez le coiffeur régulièrement n'est pas quelque chose qui me pré-occupe. Je n'ai même jamais aimé trop ça. Les cheveux se sont donc installés pour cette raison ! De fil en aiguille, ils ont poussé... Et c'est devenu ma coupe de cheveux jusqu'à cet automne.

Dans un milieu plutôt conservateur, tu n'avais jamais eu de réflexion pour te les couper ?
Non, jamais ! C'était simplement vu comme un signe distinctif, moins commun que la barbe par exemple. On me demandait surtout comment mes cheveux rentraient dans le casque.

Et alors ?
Les cheveux font forcément moins d'un millimètre, ils rentraient bien sous le casque. Je ne perdais pas de temps à un départ d'une course. Puis je mettais souvent une casquette pour simplifier les choses. Mais je reconnais avoir souvent dit non quand on me demandait d'enlever le casque pour une photo. Même si cela ne prenait pas beaucoup de temps, je ne voulais pas m'amuser à tout remettre dans le casque. Il y avait en fait un peu de contraintes !

Que tu n'auras plus...
Au sein de l'armée, je n'ai pas eu de réflexion car j'ai coupé mes cheveux avant de passer les tests d'entrée. Je me suis rangé tôt, je n'ai pas attendu janvier. Même si c'est une équipe cycliste, il faut se plier aux exigences de l'armée. Nous sommes militaires. Je me devais d'avoir une coupe conforme à l'institution. C'est une concession que nous n'avons pas à faire dans une autre équipe mais ça ne m'a pas freiné !

Les gens te reconnaissent quand même avec les cheveux courts ?
Ceux que je fréquente régulièrement oui, les autres un peu moins. Il faudra s'habituer. Il y a un changement mais les traits du visage restent les mêmes (sourires).

« UN MAL POUR UN BIEN DE NE PAS ETRE RESTE CHEZ AUBER 93 »

Te voilà de retour chez les professionnels. Aurais-tu imaginé ce scénario il y a un an ?
C'est difficile quand on te ferme une porte mais avec le recul je me dis que cela a été un mal pour un bien. Je ne me sentais pas bien au sein de l'équipe (Auber 93, NDLR). Je ne pense pas que j'aurais pu continuer un an de plus dans cette structure. Cela aura été sûrement à mon désavantage. J'aurais fait du vélo pour faire du vélo.

Il est surprenant de ne pas avoir été conservé après seulement un an...
Je n'ai pas été surpris personnellement. J'ai tout de suite senti que ça n'allait pas durer longtemps. Ce n'était déjà pas simple avant d'intégrer l'équipe professionnelle (Il évoluait au CM Aubervilliers 93, NDLR). Je ne suis donc pas tombé des nues. Je savais que je n'allais pas être prolongé. J'attendais juste une réponse définitive pour tirer un trait sur cette expérience.

Pourquoi cela n'a pas fonctionné avec Auber 93 ?
Je me suis toujours bien entendu avec les coureurs. Je suis toujours en contact avec certains. Le courant avait du mal à passer entre l'encadrement et moi. Et quand ça ne passe pas avec tes supérieurs, c'est foutu. Je ne crache sur personne, je n'évoque ce passé que quand on m'en parle. Mais je trouve la situation dommage surtout que cela m'a desservi. David (Lima Da Costa) a écouté ce qu'il se disait sur moi sans en prendre trop rigueur. Entre la vérité et la fiction, quand tu ne connais pas la personne, il est difficile de la juger.

Qu'est-ce qui s'est dit sur toi ?
Moi, on ne m'a rien dit en face. C'est souvent comme cela. Mais certains ont dit que je n'étais pas bon, que j'étais spécial...

Es-tu un garçon spécial ?
J'ai toujours été honnête. Et justement, tout cela vient peut-être de mon manque d'hypocrisie... Je suis toujours resté le même. Je ne suis pas quelqu'un de méchant. Les coureurs le savent. J'ai eu un rendez-vous avec la société R'Sports Conseil. Je n'avais pas d'agent jusque-là. Ils ont tout de suite vu la différence entre ce qu'il se disait sur moi et qui je suis vraiment. David m'a pris dans son équipe. Il verra par la suite que des mensonges ont circulé sur moi. Mais c'est le vélo et la vie d'une manière générale qui sont ainsi.

« CE QUI COMPTE C'EST D'ETRE BIEN DANS SA TETE »

Tu n'as pas eu envie de tout arrêter à 21 ans ?
Ce qui compte c'est d'être bien dans sa tête. Je n'ai pas eu de problèmes avec moi-même. J'ai toujours couru pour gagner des courses et me faire plaisir sur un vélo. Ne pas continuer chez les professionnels ne m'a jamais déstabilisé. J'ai repris consciencieusement l'hiver dernier, j'ai même travaillé plus dur que les années précédentes. Cela m'a servi de motivation. Même si elle vient toute seule quand on croit en quelque chose et que l'on se sait capable de faire beaucoup. J'ai passé une bonne année chez Sojasun. J'ai trouvé une équipe où je me suis bien plu. J'étais avec un encadrement gentil, compétent et attentionné. Il y a des points forts et faibles dans chaque équipe. Mais il ne faut pas croire que tout est mauvais, il faut trouver du bon et ne voir que ça.

Tu reviens confiant chez les pros ?
J'ai vu ce que j'étais capable de faire, seul, au sprint sur les courses professionnelles. Je n'avais pas la maturité que j'ai aujourd'hui. Je partais de loin, je n'étais pas forcément aidé. Le jour où j'aurai une équipe et que je serai meilleur physiquement, je pourrai faire des choses intéressantes. Cela me servira. Il faut aller de l'avant. C'est un avantage d'avoir déjà connu le peloton pro. Nous allons mettre des choses en place pendant les stages. On verra le rôle de chacun en fonction des courses et de la forme. On ne va pas me demander de grimper...

Tu as toujours été rapide ?
J'ai toujours aimé cela. Je suis vraiment devenu sprinter au fil du temps. J'ai plus axé mes entraînements là-dessus à partir des Juniors. Gagner au sprint est quelque chose de spectaculaire. Bon, quand je gagne je suis content mais je repense à celle d'après. Cela m'intéresse pas de rester sur le passé. Je préfère voir le futur.

« JE ME CONCENTRE UNIQUEMENT SUR 2016 »

Comment vois-tu ton futur ?
J'ai un an de contrat au sein de l'armée. Je ne vois pas plus loin. Le vélo reste spécial, nous ne savons pas ce qu'il peut se passer. Je ne préfère donc pas m'imaginer dans cinq ans... Je me concentre uniquement sur 2016.

Tu te sens vraiment militaire ?
Le service-course est dans une caserne. Il y a des règles à respecter, une tenue à avoir. Tout est très hiérarchisé. Nous apprenons au fur à mesure qui est qui. Il faut apprendre le métier de militaire en parallèle de notre activité de cycliste. Nous sommes quand même dans l'armée de terre française, nous représentons la République. Il y a un comportement à avoir et une éthique à adopter. C'est glorieux ! Cette structure est une vraie équipe de la Nation. Quand tu portes le maillot, tu es fier. Il est prestigieux. Les autres ont un sponsor, nous on porte les valeurs de la France. On se sent plus fier !

Et plus concerné par les attentats de Paris ?
Nous en avons parlé entre nous. A la télévision ou sur Internet, nous lisons tout et n'importe quoi. Il faut se faire sa propre opinion. Au sein de l'armée, on n'a pas spécialement parlé de cela. Mais il y a eu des répercussions que les autres équipes n'ont pas. Le stage de l'équipe, prévu en Espagne, a été annulé suite aux attentats. C'est là qu'on voit que nous sommes des militaires et pas des cyclistes.

Crédit photo : Gwen Garot - www.photosdegwen.fr
 

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