Zoetemelk. « Et Hinault est arrivé... »

Par Philippe Priser

Avec son compatriote, Jan Janssen, lauréat du Tour de France en 1968, il est considéré comme une légende aux Pays-Bas. Vainqueur du Tour de France en 1980, six fois deuxième (!), champion du monde en 1985, Joop Zoetemelk a réussi l'exploit de se faire une place entre Eddy Merckx et Bernard Hinault. 

Joop Zoetemelk, vainqueur du Tour de France en 1980 et six fois 2e (!) est chez lui aux Pays-Bas.
Joop Zoetemelk, vainqueur du Tour de France en 1980 et six fois 2e (!) est chez lui aux Pays-Bas. (Photo archives Patrick Tellier)
A l'occasion de son 60e anniversaire, Bernard Hinault a déclaré que vous étiez son plus grand adversaire. Et vous, Joop Zoetemelk, qui était votre plus grand adversaire ?
Il a dit ça, Bernard ? Il en a eu d'autres, pourtant. Personnellement, j'en place deux à égalité. Quand je suis passé professionnel en 1970, je suis d'abord tombé sur Eddy Merckx. Ça a duré jusqu'en 1975. Et au moment où je pensais enfin être un peu plus tranquille, Bernard Hinault est arrivé...

Selon vous, lequel des deux était le plus fort ?
Désolé, je ne peux pas les départager. Impossible. En contre-la-montre, par exemple, je perdais autant de temps face à Merckx que face à Hinault. J'arrivais à rivaliser avec eux en montagne mais sur les classiques, celles qui dépassaient les 260 bornes, tous les deux m'étaient supérieurs. Merckx méritait son surnom (le Cannibale), il voulait tout gagner : les classiques, les grands Tours, les Six jours sur piste et même les critériums ! Hinault, lui, montait en puissance dans la saison. Il établissait son programme et quand il avait un objectif, il répondait présent.

Vous vous êtes coltiné les deux plus grands champions de l'histoire. Comment avez-vous fait pour tenir le choc ?
J'ai fait avec... Je ne me suis jamais découragé. Cela ne m'a pas empêché de faire une belle carrière. J'ai gagné pas mal de courses... J'ai remporté le Tour de France et j'ai même gagné le championnat du monde alors que je n'y croyais plus.

Reconnaissez qu'il aurait sans doute été encore plus fourni sans Merckx et Hinault...
Rien ne dit qu'il n'y en aurait pas eu un autre... Non, sincèrement, je n'ai aucun regret. J'ai mené ma petite carrière, j'ai effectué 18 ans chez les professionnels, j'ai disputé 16 fois le Tour de France, je n'en ai pas abandonné un seul. J'ai même eu l'honneur de porter le maillot jaune chez moi, au Pays-Bas, lors du Tour de France 1973.

Lorsque vous preniez le départ du Tour de France avec Merckx ou Hinault, vous saviez que c'était perdu d'avance ?
Oh non ! Dans ma tête, je me disais toujours que j'allais jouer le classement général. Après, si je croisais quelqu'un de plus fort sur ma route, je me disais que j'allais terminer 2e; si j'en croisais deux, je me disais que j'allais terminer 3e... Finalement, je n'ai croisé qu'un seul coureur plus fort que moi pendant six ans...

En fait le véritable Poulidor, c'est Zoetemelk ?

Non, laissez Poulidor où il est (rires). Moi, je suis Joop, tout simplement.

Quels rapports entreteniez-vous avec Merckx et Hinault ?
Avec Eddy, c'était la guerre. Il ne m'aimait pas, je n'ai jamais su pourquoi. Probablement parce que je l'embêtais dans sa progression. Moi, je n'avais rien contre lui. Avec Bernard, c'était complètement différent. On se tirait la bourre mais on s'entendait bien. Pendant les tournées des critériums, on s'est même hébergé à tour de rôle.

Vous avez été professionnel pendant 18 ans. Quel était le secret de votre longévité ?
J'aimais mon métier. Cela n'a jamais été un problème d'aller m'entraîner, même en hiver. Avec l'âge, certains ont du mal à rester motivés ; moi, je n'ai jamais eu ce problème. Comme j'avais encore un peu de résultat en fin de carrière, j'ai prolongé jusqu'à 41 ans. Je n'ai pas fait la saison de trop. Je ne suis pas non plus une exception, il y a Hincapie, Voigt... Bon, ils n'ont peut-être pas le même palmarès que le mien (rires).

Quel est le meilleur souvenir de votre carrière ?
Sans aucun doute, ma victoire dans le Tour de France en 1980. C'était une consécration. A l'époque, j'avais déjà terminé cinq fois deuxième et cette année-là, j'ai compris la différence qu'il pouvait avoir entre une première et une deuxième place. Il y avait énormément de Hollandais sur les Champs-Elysées, c'était sensationnel !

Racontez-vous votre victoire dans le Tour...
En 1980, j'avais changé d'équipe. Après deux saisons chez Miko-Mercier, j'avais rejoint Raleigh en me disant que c'était la meilleure solution pour reprendre du temps à Hinault lors des contre-la-montre par équipes (Il y en avait deux au programme). En début de Tour, je n'étais pas bien du tout, j'avais même concédé trois minutes à Bernard sur les pavés alors que je lui en avais pris trois dans le Nord l'année précédente. Puis, j'ai battu Hinault lors du contre-la-montre près de Bordeaux (11e étape). Dans ma tête, je me suis dit que ce n'était pas logique. Rebelote, le lendemain, en cours d'étape, j'ai pris des bonifications devant Bernard. J'ai compris qu'il y avait quelque chose qui clochait. On connaît l'histoire, Bernard était blessé au genou et n'a pas pris le départ de la 13e étape, à Pau.

A quoi avez-vous pensé lorsque vous avez appris qu'il ne repartirait pas ?
J'étais dans ma chambre d'hôtel lorsque j'ai appris la nouvelle, il devait être aux alentours de 23 h. J'ai dit : « On verra demain, laissez-moi dormir ! ». Le lendemain, Félix Lévitan et Jacques Goddet sont venus me voir pour me donner le maillot jaune, j'ai refusé de l'endosser. Je leur ai dit de regarder le classement, jusqu'à preuve du contraire, c'était toujours Bernard qui était en tête. Je n'avais pas le droit de porter ce maillot.

Votre victoire lors du championnat du monde en 1985, à 38 ans (!), doit également avoir une place à part dans votre palmarès, non ?
Ah, le championnat du monde... Il s'agit de la victoire la plus surprenante de toute ma carrière. J'avais champ libre au sein de la sélection des Pays-Bas. Finalement, je me suis retrouvé dans la bonne échappée avec deux autres Néerlandais. Dans le dernier virage, j'ai pris quelques mètres d'avance et j'ai sprinté, j'ai sprinté encore. A 500 mètres de la ligne, je me suis dit : " Mince, mais tu vas être champion du monde ! ". C'était incroyable !

Quel est votre plus grand regret ?
Ma chute survenue lors du Midi Libre en 1974. Elle a été le tournant de ma carrière. En début de saison, j'étais plus fort que Merckx. Je l'avais battu à Paris-Nice, au Tour de Romandie et à la Semaine Catalane. J'avais de bons espoirs pour le Tour de France. Malheureusement, à cause de cette chute et de ces complications (méningite), j'ai déclaré forfait. J'ai mis quatre ans avant de retrouver mon meilleur niveau.

Vous n'avez toujours pas été remplacé aux Pays-Bas. Pourquoi une si longue attente ?
Bernard Hinault, il a été remplacé, lui (rires) ? On a des bons coureurs qui arrivent comme Tom Dumoulin et Mathieu Van der Poel, le fils d'Adrie, le petit-fils de Poulidor. C'est peut-être lui, le champion que la Hollande attend.

Quel est le quotidien de Joop Zoetemelk en 2015 ?
Cela fait près de 40 ans que j'habite en Seine-Maritime, à la campagne, avec ma femme et notre quinzaine de daims. Je suis un amoureux de la nature. C'est aussi pour cela que j'aime la Bretagne. Quand je suis venu sur la Bernard Hinault, le mois dernier, ça m'a rappelé de bons souvenirs. Sur la route, dès que l'on voyait une pancarte, je disais à Dany : « Jugon, tiens, j'ai gagné là ; Plancoët, tiens, j'ai gagné là, Lamballe, tiens, j'ai gagné là... » Elle n'en revenait pas.
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