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Hinault : «Le Tour a changé ma vie»

AFP

Il y a 30 ans, le Breton remportait son 5eet dernier succès sur les Champs-Élysées. Depuis, il attend un successeur.

Bernard Hinault a, en novembre dernier, fêté ses 60 ans. Le quintuple vainqueur du Tour (record partagé avec Jacques Anquetil, Eddy Merckx et Miguel Indurain), vainqueur de 23 étapes et de 5 prologues sur la Grande Boucle, porteur du maillot jaune durant 74 jours, roule toujours (8 000 kilomètres par an). Chargé des relations publiques pour ASO, organisateur du Tour, il est à l’honneur d’un livre savoureux écrit par Christian Laborde, L’Épopée du Blaireau.

LE FIGARO. - Il y a trente ans, vous remportiez votre 5eet dernier Tour de France… Bernard Hinault : Trente ans, c’est loin et c’est rien… Mais que c’est long de ne pas avoir vu un champion français me succéder au palmarès du Tour. Depuis, on a vu Fignon (2een 1989), Virenque (3een 1996, 2een 1997) monter sur le podium à Paris, comme les deux l’an dernier (Péraud-Pinot), en profitant de circonstances un peu particulières. Le souvenir qui me reste de 1985 ? D’avoir dit au premier col : « j’attaque ». Et le Tour était fini. Le plaisir de la compétition, il est là. Faire des coups, que les autres se disent : « Mais que fait-il ? On va aller le chercher. » Mon œil ! Une fois parti, il fallait venir me chercher.

Que manque-t-il aux Français ? Ce qui m’étonne, c’est que les Français qui roulent dans des équipes étrangères marchent. Il faut donc que les entraîneurs français se remettent en cause. Car quand on entend à la fin de Paris-Roubaix un coureur dire : « je n’avais jamais fait cette distance, 250 km », tu as tout compris. Les distances d’entraînement ne sont peut-être pas assez longues. Il faut faire du fond.

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Que peuvent-ils espérer cette année ? Si on reste avec le quatuor de favoris (l’Espagnol Alberto Contador, le Britannique Chris Froome, l’Italien Vincenzo Nibali et le Colombien Nairo Quintana), ils feront 5, 6 et 7. À moins qu’ils n’attaquent de loin, en prenant le risque de tout perdre car c’est le seul moyen dont ils disposent pour monter sur le podium. En force pure, ils sont en dessous. Alors il faut tout essayer, tenter de tirer profit de la rivalité des favoris. On va suivre Péraud, Pinot et Bardet, on va également regarder Barguil, Gallopin… J’espère qu’ils vont tenter et réussir des coups.

Le Tour a-t-il changé votre vie ? Oh oui ! Le Tour a changé ma vie. Si je n’avais pas été coureur cycliste, j’aurais travaillé à l’usine…

Que ressentez-vous lorsque vous replongez dans le Tour ? De la passion. Et quand je vois un Français gagner comme Rolland ou Riblon à L’Alpe d’Huez (en 2011, puis 2013), ce n’est que du bonheur. Mais on en voudrait plus. Au quotidien, les gens que je croise, à qui je parle du Tour, j’ai envie de leur faire partager ce plaisir, cette envie, en espérant leur donner le désir de revenir sur les routes. Le Tour, c’est un tout. On parle de tout, pas uniquement de vélo, mais des choses de la vie.

C’est trop scientifique. Il n’y a plus le piment de l’incertitude.

Quelle est la différence fondamentale entre le Tour des années 1980 et celui d’aujourd’hui ? Aujourd’hui, les leaders se contentent de faire la dernière ascension, les 15 derniers kilomètres. Sur le plat, les équipes de sprinters bloquent la course. Les échappées font 100, 110 kilomètres souvent en vain, même s’il y a heureusement des exceptions. Aujourd’hui, je m’adapterais mais c’est moi qui ferais la course. À ma manière. Le parcours, tu le fais, tu le vis comme tu le souhaites. La course, c’est comme au restaurant, tu as un menu et tu prends ce dont tu as envie. Le Tour se joue sur une ou deux journées, c’est tout. Mais il faut toujours avoir en tête de surprendre. Dans tout ce que je vois aujourd’hui, il n’y a que trop rarement de surprise. Tout le monde court ensemble, ça ne bouge pas et on se donne rendez-vous en fin d’étape. C’est dommage d’attendre si longtemps pour s’expliquer. Le schéma est toujours le même, on laisse partir les échappées, on va les chercher, on fait attention aux watts, c’est trop scientifique. Il n’y a plus le piment de l’incertitude.

Cela peut-il représenter un danger pour l’avenir de la discipline ? Il faut que le système du Pro Tour tel qu’il existe s’arrête. Acheter une licence pour avoir le droit de courir sans résultat, ça ne va pas du tout. Il faut partir du système du football où les deux derniers dégagent et là tout le monde va se remettre en cause avec un système de division : première, deuxième, troisième… Là, ça ne va pas dans le bon sens. Il faudrait que les instances internationales aillent voir le public, interrogent les spectateurs. Pour quelle raison les gens suivent-ils les courses à la télévision ? Pas pour les coureurs du Tour mais pour les paysages et la dernière heure de course. Le reste n’a aucun intérêt. Et ça c’est terrible. Ils ont mis les choses en place et ne veulent pas changer. Un certain nombre de sponsors sont satisfaits lorsqu’il y a une échappée et qu’on voit leur marque. Mais il faut dire que cela ne va plus.

Le handicap, pour un certain nombre de pays, c’est le prix du vélo

Vous avez vu les Colombiens débarquer sur le Tour dans les années 1980. Peuvent-ils cette année pour la première fois terminer en jaune sur les Champs-Élysées ? Quintana a déjà été tout près lors de sa première opportunité (en 2013), il avait terminé 2e. Et ce Tour n’est pas pour le désavantager. Il a une bonne équipe (Movistar), capable de rouler. Je pense qu’il ne sera pas trop maladroit sur les pavés. Dans son pays, même s’il n’y a pas de pavés, les routes ne sont pas les meilleures. Dans l’étape de Saint-Amand-Monrond, il était devant quand il y avait eu la bordure, les éventails (épisode fatal à son leader, Alejandro Valverde, en 2013). Il est pas mal armé pour faire un bon numéro et il peut se servir de la rivalité qui va exister entre Froome, Nibali et Contador. Il a une bonne chance, comme les trois autres d’ailleurs.

C’est la preuve d’un cyclisme qui s’est internationalisé ? Il s’est, ces dernières années, progressivement ouvert à tous les pays. Un Australien a gagné (Evans en 2011), puis un Anglais (Wiggins en 2012). Demain, ce sera peut-être un Colombien et après-demain, un Africain. Cette année, il y aura, pour la première fois sur le Tour, une équipe africaine (MTN-Qhubeka), composée de coureurs de tempérament, symboles d’un cyclisme dont les progrès sont impressionnants. Cela m’intéresse d’aller voir en Afrique, notamment au Gabon, les progrès réalisés. Le handicap, pour un certain nombre de pays, c’est le prix du vélo. Le jour où ils disposeront du même vélo, avec la volonté de gagner qui est la leur, on les retrouvera devant. Et un jour, ce sera au tour des Chinois. Aujourd’hui, le vélo représente surtout un outil de travail, même s’il y a beaucoup de voitures. Le jour où ils se diront qu’ils peuvent gagner et bien gagner leur vie en pratiquant le cyclisme à un haut niveau, comme ils l’ont fait dans la quasi-totalité des disciplines olympiques, s’ils se mettent ça en tête, ils en sortiront des champions. Et en nombre…

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