Cyclisme : "Dans le vélo, il n’y a plus d’instinct" (Chiappucci)

Claudio Chiappucci est un invité de prestige pour la 45e édition de l'Etoile de Bessèges.

Claudio Chiappucci est un invité de prestige pour la 45e édition de l'Etoile de Bessèges.

Photo B.G.

Présent cette semaine sur la 45e Étoile de Bessèges (Gard), l’Italien Claudio Chiappucci (51 ans) regrette que les coureurs actuels fassent trop confiance à la technologie

À bientôt 52 ans (ils les aura le 28 février prochain), Claudio Chiappucci n’a pas changé. Il reste le même. Malgré le poids des années, l’Italien fait honneur au surnom qu’il a hérité lorsqu’il courait (1985-1999) : El Diablo.

Présent cette semaine pour la première fois de sa vie sur l’Étoile de Bessèges (Gard), le Lombard est devenu une sorte de Poulidor italien, ambassadeur de luxe sur les épreuves cyclistes. Consultant pour beIN Sports au printemps 2014 pour le Giro, l’ancien grimpeur est un épicurien : "J’aime bien vivre la vie, je fais un peu de tout". Marié à une Lilloise, Chiappucci vit à Milan et conserve un oeil aiguisé sur le cyclisme.

Entretien avec le gregario qui a défié les géants, deuxième du Tour d’Italie 1991 et 92 et deuxième du Tour de France 1990 et 1992.

Avez-vous déjà couru l’Étoile de Bessèges ?
Claudio Chiappucci : Jamais ! Quand j’étais professionnel, cela ne rentrait pas dans mes objectifs de début de saison. Je préférais aller dans des courses plus tranquilles, où il faisait plus chaud, comme à Majorque.

Luc Leblanc (aussi présent à Bessèges) l’a couru 11 fois, il y avait aussi des cyclistes comme Andrei Tchmil, Johan Museeuw. Or aujourd’hui, les meilleurs mondiaux privilégient l’étranger. Comment l’expliquez-vous ?
C.C. : Ils vont chercher la chaleur et les sous. Maintenant, le business du cyclisme se fait en dehors de l’Europe. Ce sont souvent des organisateurs français, type ASO, qui gèrent des courses à l’étranger parce qu’il y a plus d’argent à prendre. Donc les coureurs ne viennent plus à Bessèges...

Avec l’annulation récente du Tour Med’, il va devenir plus en plus compliqué d’attirer les coureurs en France en début de saison...
C.C. : La concurrence entre les épreuves est très forte ! À part les courses organisées par ASO ou par la Gazzetta dello Sport en Italie, les autres sont limites et connaissent des problèmes. Quand tu n’as pas les télévisions pour retransmettre, tu as moins de rentrées d’argent liées à la publicité. C’est dommage car l’Étoile de Bessèges est une belle course. Elle doit continuer.

Vous avez arrêté votre carrière en 1999. Dans les années 2000, le cyclisme a été marqué par les affaire de dopage, le mensonge Lance Armstrong. Comment avez-vous vécu cela ?
C.C. : J’ai apprécié sortir du vélo, l’ambiance était lourde à cette époque-là. Il y avait trop d’hypocrites. Ces dernières années, le contrôle antidopage a été amélioré, même s’il y a encore des coureurs qui se font prendre... Tout n’est pas encore clair.

Appréciez-vous le cyclisme actuel ?
C.C. : C’est trop technologique pour moi. Il n’y a plus d’instinct, la part d’humain. En dix ans, il y a eu des changements incroyables sur le vélo. Nous avions des machines qui pesaient deux kilos de plus et on était forts. Je faisais deux ou trois grands Tours dans une saison, je courais toutes les classiques, même Paris-Roubaix. Puis j’enchaînais avec le championnat du monde, les cyclo-cross, les Six jours. Désormais, les coureurs de top niveau se contentent d’un grand Tour. Pourtant, j’ai fait quinze années de professionnalisme et je m’en suis bien sorti.

Pourquoi en est-on arrivé là ?
C.C. : Ils choisissent leurs courses. La technologie a pris le pas sur l’instinct de la course. Les mentalités ont changé aussi; à mon époque, on roulait dans le vent, avec la neige, sur des épreuves de 200-250 kilomètres.

Vous avez terminé plusieurs fois meilleur grimpeur Tour, trois fois sur le podium (2e en 90 et 92, 3e en 91), mais vous n’avez jamais gagné. Que vous a-t-il manqué ?
C.C. : Malheureusement, j’ai rencontré dans ma vie un mec comme Miguel Indurain (vainqueur notamment du Tour de France de 91 à 95, ndlr) qui était trop fort en contre-la-montre. Je n’étais pas trop mal dans les chronos, mais j’étais limité.

Le vainqueur de la Grande Boucle 2014 est Italien. Connaissez-vous Vincenzo Nibali ?
C.C. : Je l’ai rencontré quelques fois. C’est un homme costaud. Mais comme les autres coureurs, il se sert trop de la technologie pour préparer sa saison. Il lui manque des résultats dans les classiques pour être un coureur vraiment complet. Il est bien sur les courses à étapes, on l’a vu, mais cette année, on l’attend sur les classiques. Un grand champion doit aussi être présent sur les classiques.

C’est le premier Italien vainqueur du Tour depuis Pantani (1998). Il est aussi le premier depuis Gimondi à remporter les trois grands Tours. Comment est-il perçu en Italie ?
C.C. : Il est bien moins charismatiques que les coureurs de l’époque. Il est fort, mais il lui manque le caractère. On ne voit pas, dans le peloton, des professionnels charismatiques, capables de s’imposer.

Les Français ont réalisé de belles performances sur le Tour 2014. Qu’en avez-vous pensé ?
C.C. : L’an dernier, il y a eu les abandons de Contador et de Froome. Péraud, Pinot (qui participe à l’étoile de Bessèges cette semaine, ndlr), Bardet, ils ne sont connus qu’en France. En Italie, on a déjà un peu oublié leurs résultats. Cette année, c’est important pour eux de confirmer, de montrer que ce n’était pas un coup de chance. C’est facile de briller une fois; c’est plus compliqué de confirmer. C’est là que l’on voit si le cycliste a du caractère.