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Pauline Ferrand-Prévot : « Ma mère ne voulait pas que je fasse du vélo »

A 22 ans, la cycliste en a « marre » qu’on la compare à Jeannie Longo. Près de vingt ans après son aînée, elle est pourtant championne du monde sur route. Le sourire en plus.

Propos recueillis par 

Publié le 29 décembre 2014 à 21h24, modifié le 19 août 2019 à 13h55

Temps de Lecture 6 min.

Pauline Ferrand-Prévot

En France, le cyclisme féminin a eu le même visage pendant trois longues décennies. Celui, impassible, de Jeannie Longo, 56 ans et encore plus de titres nationaux : 59 accrochés à son maillot entre 1979 et 2011. Jusqu’à ce 27 septembre 2014 où il a pris les traits d’une jeune fille souriante de 22 ans. Ce jour-là, Pauline Ferrand-Prévot est devenue championne du monde sur route. Près de vingt ans que le cyclisme français attendait un successeur à l’impératrice Jeannie, sacrée pour la 5e fois en 1995. Pas rassasiée, la Rémoise a passé les fêtes de Noël dans le camping-car familial, le temps de participer à la 5e et avant-dernière étape de la Coupe du monde de cyclo-cross. A Heusden-Zolder (Belgique), sous le regard de ses parents et de son chihuahua, elle a terminé la course sur la plus petite marche du ­podium. Pas de quoi la décoiffer.

Avez-vous le sentiment d’être la ­nouvelle ambassadrice du cyclisme féminin français depuis votre titre mondial ?

Au niveau régional, grâce à la presse locale, je commence déjà à être un peu connue. Beaucoup de collèges ou de lycées veulent que je vienne les voir pour ­raconter mon sport, ma vie. Et maintenant, je reçois aussi d’autres types de ­demandes. Si je le voulais, ce serait facile de monter à Paris tous les jours.

Je viens par exemple de recevoir une demande avant la Fashion Week de Paris. On m’a contactée pour participer à une exposition sur le fromage. Apparemment, c’est quelque chose de vraiment bien. Je ne sais pas si je vais dire oui. L’idée, c’est de porter des robes de couturier et d’être prise en photo avec des fromages. Pas mal de personnes connues l’ont déjà fait, et là il s’agirait de le proposer à des sportives assez féminines.

A écouter votre père, certaines propositions seraient plus pertinentes pour une Miss Monde que pour une championne du monde de vélo…

Une Miss Monde ? Il m’aime trop, mon père ! Plus sérieusement, j’ai toujours tenu à rester féminine. J’ai de bons résultats sportifs, mais je pense aussi que l’apparence physique compte pour les gens, ça aide un peu.

Auriez-vous moins de succès autrement ?

Oui, à mon avis. Tous les petits jeunes qui viennent me voir pour prendre des photos de moi, je ne pense pas que ce soit uniquement pour mes résultats.

[La mère de Pauline Ferrand-Prévot ­intervient] Et par exemple on vient de faire un jeu-concours sur le site Internet de Pauline pour offrir ses anciennes tenues : en deux jours, 300 petites filles nous avaient répondu. Elles nous ont dit qu’elles aimeraient bien ressembler à Pauline, et ça semblait être aussi bien pour les résultats que pour son apparence physique.

Pourrait-on tenir le même discours pour un champion cycliste ?

Non, beaucoup moins. Les spectateurs qui regardent les courses féminines ­disent d’une coureuse qu’elle est mignonne, qu’elle est affûtée. Mais moi, je ne me suis jamais demandé, en regardant une course, si un garçon était ­mignon.

Pourquoi n’existe-t-il plus d’équivalent féminin au Tour de France depuis 2009 ?

Même si ça évolue, les organisateurs du Tour ne veulent pas s’embêter avec une course de filles. C’est difficile de leur faire comprendre qu’il y a aussi des filles, ils sont peut-être un peu machos. C’est une question de parité. C’est vrai que sur le plan de la médiatisation ça aiderait beaucoup.

Comment rendre le cyclisme féminin plus attractif en France ?

Pour donner une meilleure image, ça commence d’abord par les résultats au niveau mondial, c’est clair. Mais la deuxième étape, c’est de rendre le ­cyclisme féminin joli. Je ne sais pas, il faut peut-être inciter les filles à aller se maquiller pour faire du vélo ? (Rires.)

Ce serait faire le jeu des machistes…

Pour ne pas avoir à le faire, il faudrait que la société change. Quand j’étais ­petite, lorsque je battais des garçons à des courses, je voyais bien le comportement de certains parents, et surtout de certaines mères. Je les entendais lorsqu’elles leur disaient : « Oh, tu t’es fait avoir par une fille »… Vous ne vous rendez pas compte : pour elles, que leurs fils se fassent battre par une fille, c’était la honte. Moi, ça me faisait sourire. Je prenais ça comme une source de motivation.

Et vos parents, qu’ont-ils pensé lorsque vous avez choisi le vélo, quand vous aviez 5 ans ?

Au début, ma mère ne voulait pas que je fasse du vélo. Elle ne trouvait pas ça féminin. Moi qui étais assez petite, assez menue, j’ai d’abord été mise au patinage artistique. Lors d’une compétition, je ­finis avant-dernière. Les juges avaient classé la fille de l’entraîneur devant moi, alors qu’elle n’était pas forcément plus douée. Ça m’a dégoûtée, et c’est ce qui ­explique que finalement j’ai pu faire du vélo. Comme c’était déjà le cas pour toute ma famille, d’ailleurs. Evan, mon grand frère, était déjà à l’école de cyclisme que gérait ma maman à Reims. Alors, finalement, ça a arrangé tout le monde.

A cet âge-là, vous aviez déjà un ­caractère bien trempé ?

J’étais déjà une cinglée. Je passais des heures dans le jardin avec le vélo ; j’essayais de monter sur des palettes en bois pour faire du VTT, travailler l’agilité. ­Maman avait fabriqué des quilles pour les jeux d’adresse, les slaloms. Et quand on faisait du vélo avec moi en famille, dès que l’on me dépassait, je me mettais à hurler. J’étais toujours à vouloir être un petit peu devant, une demi-roue en avance. Ce n’est pas que j’étais méchante, mais j’avais parfois un sale caractère. Et aujourd’hui encore je sais l’avoir le jour J. Je suis comme ça pour tout, je n’aime pas me sentir rabaissée.

Après votre titre de championne du monde, vous avez également fait preuve de caractère en déplorant ­publiquement que la seule fois où Jeannie Longo vous avait félicitée, « c’était devant une caméra »…

Je n’ai jamais eu de réaction de sa part. C’est vrai que je suis assez franche et spontanée. On m’a demandé ce que je pensais d’elle, et j’ai simplement voulu dire que mon titre de championne du monde sur route, ce n’était pas le sien. Depuis que j’ai commencé le vélo, on en revient chaque fois à me parler de Jeannie Longo.

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C’est une grande dame, elle a un palmarès exceptionnel, mais j’en ai marre qu’on nous compare toujours. Je n’ai jamais été méchante, j’ai simplement dit que j’en avais ras le bol. J’ai dit ce que j’avais à dire et je ne le regrette pas du tout. Et de toute façon, moi, je ne cherche pas à me faire des amies. Déjà que ma meilleure amie habite à deux bornes de chez moi et que je n’ai même pas le temps d’aller la voir…

Même si le cyclisme féminin reste confidentiel, Jeannie Longo était ­devenue l’une des sportives fran­çaises les plus populaires, jusqu’à ce que des soupçons de dopage ternissent sa fin de carrière. Espérez-vous ­connaître la même longévité ?

Non. Ce qui est sûr, c’est que je ne continuerai pas le vélo après l’âge de 30 ans. J’ai envie de faire autre chose ensuite, d’avoir un métier, d’aller travailler. J’ai ­interrompu mes études de kiné, mais je compte bien les finir. Et puis, la plus belle chose dans une vie, c’est d’avoir des ­enfants. Je ne conçois pas qu’on fasse des enfants et qu’on reprenne le vélo. Si je ne peux pas les élever, si je ne peux pas profiter d’eux, je trouverai ça dommage.

Depuis 2012, vous vivez du vélo grâce à un contrat avec l’équipe néerlandaise Rabobank. Est-ce un luxe pour une cycliste française ?

Oui, c’en est un. En France, je dois être la seule à avoir un statut « pro ». Ici, il n’y a pas d’équipe professionnelle, c’est pour ça que je cours maintenant pour une équipe étrangère, même si je m’entraîne chez moi, près de Reims.

Le vélo, j’en fais depuis que je suis toute petite. Ce n’est pas que je ne sache rien faire à part ça, mais bon, je me rends compte que pour l’instant c’est la meilleure chose que je sache faire. Ce n’est que quand j’aurai remporté une manche de Coupe du monde à la fois en cyclo-cross, en VTT et sur route que je pourrai dire : « Ça y est, tu es arrivée à ce que tu voulais. »

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