La Grande Interview : Quentin Pacher

Crédit photo Thomas Maheux - thomasmaheux.tumblr.com

Crédit photo Thomas Maheux - thomasmaheux.tumblr.com

Un baroudeur sur toute la ligne, ce Quentin Pacher. Appelé de dernière minute, le natif du Périgord comptera parmi les vingt coureurs professionnels de l'Armée de Terre en 2015 (plus exactement : non pas « professionnels » aux yeux de l'UCI ni de la Ligue Nationale du Cyclisme, mais pros en pratique puisque salariés et engagés sur des épreuves pros...). Ce qui a séduit ses recruteurs : son sens du dévouement, sa générosité dans l'effort et son sens de l'aventure. L'esprit baroudeur, en un mot. "L'Armée de Terre, c'est une exploration en soi. Je prends cette expérience comme un voyage", dit-il. Solide grimpeur, Pacher a terminé 5e du Trofeo Edil C en Italie cette saison, vainqueur d'étape sur la Ronde de l'Isard en 2012. Son passage chez les pros, à 22 ans, annoncé publiquement mi-décembre ? Il était moins une : "Je me suis réveillé un peu tard, dit-il. Et, du coup, j'ai reçu une proposition sur le tard". Il n'en savoure que plus la nouvelle vie qui se dessine.

DirectVelo : Ce contrat avec l'équipe de l'Armée de Terre, c'était l'occasion ou jamais de devenir un jour coureur professionnel ?
Quentin Pacher : La négociation est allée très vite. J'étais parti pour rester à l'AVC Aix, parce que j'étais content du calendrier et des conditions qu'on nous offrait. Mais j'allais quitter la catégorie Espoirs en 2015, ce qui signifiait qu'il aurait été très difficile pour moi de passer pro par la suite. Les dirigeants de l'équipe de l'Armée m'ont appelé début décembre et il ne m'a pas fallu longtemps pour prendre ma décision. Au début, j'étais un peu surpris parce que je ne les avais pas sollicités. Je suppose que c'est mon agent, Philippe Raimbaud, qui a préparé le terrain. Moi, je n'avais rien demandé.

Donc, tu ne t'avais jamais envoyé de CV aux structures professionnelles ?
Je pensais que les équipes venaient vers toi – et non l'inverse. Il me semblait qu'il fallait d'abord obtenir des résultats avant de toquer à leur porte et dire : « Salut ! Je suis là, je vais bientôt marcher, suivez-moi du coin de l’œil ! » Par principe, je suis dans le cyclisme et non pas dans la communication. J'attendais que les liens se créent naturellement, grâce aux contacts que mes clubs (l'Entente Sud Gascogne et l'AVC Aix-en-Provence) avaient noué avec les équipes pro. Je m'étais trompé...

Les résultats ne suffisent pas pour se faire repérer ?
En effet, même si tu es le meilleur amateur de France – ce qui est loin d'être mon cas  –, rien ne garantit que les professionnels s'intéresseront spontanément à toi... J'ai pris conscience dans l'été que la plupart des bons coureurs amateurs avaient un agent. Quoi qu'on pense du système, il est fait ainsi. Moi, je me suis réveillé un peu tard et, du coup, j'ai reçu une proposition sur le tard.

« C'EST PLUS FACILE DE FREINER UN MEC QUI DONNE BEAUCOUP... »

L'Armée de Terre connaissait bien ton dossier lorsqu'elle t'a sollicité ?
Oui, David [Lima Da Costa, le manager, NDLR] savait ce qu'il voulait : pas seulement un cycliste mais aussi un gars sans histoire dans la vie de tous les jours. C'est ce qu'il m'a dit. Il cherchait quelqu'un qui pouvait s'intégrer facilement au groupe et qui était ouvert aux autres. Il m'a même reparlé du Grand Prix de Nogent-sur-Oise de cette année.

L'épreuve de Coupe de France DN1 où tu termines 2e derrière ton coéquipier Clément Penven (lire ici) ?
Pour les responsables de l'équipe de l'Armée de Terre, j'ai montré beaucoup de choses ce jour-là. Nous étions échappés tous les deux avec Clément dans le final et les choses ont tourné en sa faveur J'étais aussi content que si j'avais gagné moi-même. De façon générale, on dit que je fais trop d'efforts en course, mais l'Armée trouve que c'est positif : « Il est plus facile de freiner un mec qui donne beaucoup que pousser un mec qui ne donne pas assez ». S'il faut rouler pour mes leaders, je le ferai. S'il faut aller dans une échappée, pareil. Mon truc, c'est grimpeur-puncheur... et baroudeur.

Cette deuxième place, c'est le sommet de ta saison 2014 ?
Honnêtement, il n'y a pas de quoi sauter au plafond avec mes résultats. Mais je sortais d'une année blanche à cause d'une fracture du scaphoïde en mai 2013 (lire ici). J'avais à cœur de revenir au premier plan et ça a plutôt réussi. J'ai été régulier, j'ai gagné à deux reprises [au Grand Prix de Carcassonne et sur une étape des Boucles du Haut-Var, NDLR], j'ai marqué des points en Coupe de France pour le club... Mais il m'a manqué une grande victoire et un peu de réussite.

« DECOUVRIR DES COURSES DIFFICILES »

On t'a vu échappé dans le final des deux Championnats de France : chez les Amateurs au mois de juin, puis chez Espoirs en août. Sans accrocher le podium ?
Dans les deux cas, j'avais de bonnes jambes mais il m'a manqué quelque chose. Etrangement, sur le premier Championnat de France, j'ai trop calculé. Pour une fois ! Il y a eu un trou devant moi, j'ai hésité à y aller et la course s'est jouée à ce moment-là.

Les dirigeants de l'Entente Sud Gascogne sont persuadés que tu pouvais terminer dans le Top 3 de la Ronde de l'Isard 2013 sans ton scaphoïde blessé. Qu'en penses-tu ?
Avec des si... J'aurais bien voulu disputer l'épreuve parce que je me sentais prêt. Malheureusement, j'ai dû déclarer forfait à cause de l'accident. Si Dominique [Arnaud, manager de l'Entente Sud Gascogne, NDLR] dit que je pouvais monter sur le podium, c'est un signe de confiance, il sait tout le travail que nous avons effectué ensemble. La Ronde de l'Isard est un terrain idéal pour se montrer. Un an plus tôt, en 2012, c'est là que je me suis révélé, en remportant une étape (lire ici). Ça reste ma plus belle victoire à ce jour. C'est elle qui m'a permis de croire en mes chances.

Que t'a-t-il manqué pour suivre les meilleurs en montagne cette année ?
C'était une édition spéciale de la Ronde de l'Isard, non ? [sourires] J'étais revanchard, mais la météo était détestable le deuxième jour de course. Comme beaucoup d'autres, je n'ai pas supporté la pluie et le froid. J'étais encore à l'attaque au pied de la dernière ascension [vers l'Hospice de France, au-dessus de Bagnères-de-Luchon, NDLR] et j'ai pris un ticket ! Fin de la course (lire ici)... La montagne, je m'y sens bien. Il faut encore que je fasse des progrès pour mieux la passer. L'an prochain, j'aimerais beaucoup découvrir des courses avec des profils difficiles, comme le Critérium International, si nous sommes invités. Notre leader pour ce genre de parcours sera Yoann Barbas, et je serai content de l'épauler.

Mais tu pourrais aussi jouer ta carte personnelle de temps à autre ?
Nous n'avons pas encore étudié le programme et mon rôle se décidera sur le terrain, au coup par coup, au fil du temps. J'aimerais bien marcher sur des épreuves pour puncheur, comme par exemple au Circuit des Ardennes.

« A L'ARMEE, LE TRAVAIL DES COUREURS EST VALORISE »

Quelle image avais-tu de l'équipe de l'Armée avant de la rejoindre ? Faisais-tu partie de ceux qui enviaient - voire critiquaient - ses moyens matériels ou ses succès ?
Je n'étais pas agacé, plutôt épaté. On sentait qu'il y avait derrière ces triplés, quadruplés et quintuplés même... des moyens imposants. Mais chacun se bat avec ses armes. Quelquefois, le Vendée U est lui aussi capable d'une telle domination. Maintenant, je me rends compte de l'intérieur que le succès de l'Armée de Terre provient du sérieux et de la cohésion. Le staff est impliqué à 3000%, les coureurs se connaissent tous, ils travaillent dans la durée.

Cette stabilité est elle garantie par les contrats de trois ans que vous signez (au lieu de deux normalement pour un néo-professionnel) ?
Un tel contrat, c'est très précieux dans le contexte actuel du cyclisme. Nous avons la possibilité de nous entraîner sereinement et la pression que nous ressentons est différente de celle qu'on trouve dans la plupart des équipes pros. On se donne à fond tout en sachant où l'on va. D'habitude, chez les professionnels, tu dois marcher sur les toutes premières courses de la saison pour montrer que tu as ta place dans l'effectif. D'habitude, on te demande de rouler pour les leaders mais aussi d'obtenir tes résultats personnels, sinon tu n'es pas conservé au terme de ton contrat. L'équipe de l'Armée de Terre a choisi un autre fonctionnement : le travail des coureurs est valorisé. Ce qui compte pour nous, c'est d'obéir aux ordres.

C'est un peu le principe de l'armée ?
Mais oui ! On est à l'armée, soldats à part entière ! J'ai passé mes tests de recrutement pendant trois jours dans une caserne à Bordeaux. Maintenant, il va falloir que je fasse mes classes...

Toi qui revendiques ton appartenance à une culture urbaine, étudiant citadin à Toulouse, tu bascules ainsi dans un nouveau monde ?
C'est vrai. La découverte de la culture urbaine remonte à l'époque du Pôle Espoirs, à Toulouse – une bonne époque, où j'ai beaucoup appris et rencontré des amis. Depuis, quand j'en ai l'occasion, je suis sur mon fixie dans les rues de Toulouse. Mais ce n'est pas l'idéal pour récupérer après une course ou pour affronter le mauvais temps. Le cyclisme m'a déjà contraint à faire quelques compromis avec le style urbain...

« JE SUIS UN CAMELEON »

Le moule militaire, tu t'y coules facilement ?
Oui. Il ne faut pas seulement croire que je suis heureux dans une grande ville. Les balades en Ariège, j'adore. Quand on faisait des courses cette saison en Suisse, vers la frontière allemande, ou en Italie, vers la frontière slovène, j'étais vraiment content. A un moment donné de mon parcours, j'aurais aimé courir aux Etats-Unis, comme l'a fait Clément Chevrier [le Picard membre en 2014 de la Continentale dirigée par Axel Merckx, le Team Bissell, et pro en 2015 chez IAM Cycling, NDLR – lire ici]. L'Armée de Terre, c'est une exploration en soi. Je prends cette expérience comme un voyage.

Et donc, tu t'adaptes ?
Oui, à toute circonstance. Par exemple, à l'Armée, on mange tôt : petit-déjeuner à 7h, dîner entre 18 et 19h. C'est l'inverse des horaires espagnoles ! Il suffit de se caler sur ce nouveau rythme une bonne fois pour toutes. On y parvient vite.

C'est ça, ton « ouverture » d'esprit que te reconnaît ta hiérarchie ?
Je ne suis fermé à rien, craintif de rien. En fait, je me fonds dans chaque situation : j'ai un côté caméléon ! Et partout où je passe, je retiens le meilleur de chaque expérience. De l'Entente Sud Gascogne, je garde les valeurs du rugby, les sens de l'équipe, l'habitude de se serrer les coudes. De l'AVC Aix-en-Provence : le franc-parler, le poids qu'on accorde aux mots. De l'Armée : la façon bien droite d'organiser les choses. Il n'y a pas un cheveu qui dépasse !

Ni une barbe ?
Voilà, il faudra la raser ! [sourire] J'aimais bien la porter, parce qu'elle me donnait dix ans de plus... Cette saison, elle a été à son apogée vers le Tour d'Eure-et-Loir, en mai [rires]. Mais, pour l'instant, avec mon passage chez les militaires, c'est terminé !

Crédit photo : Thomas Maheux - thomasmaheux.tumblr.com
 

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