La Grande Interview : Evan Ferrand-Prévot

Non, tous les jeunes coureurs ne rêvent pas de passer professionnels. C'est du moins ce qu'illustre le parcours d'Evan Ferrand-Prévot, bientôt 25 ans, vainqueur cette saison du Grand Prix de Villers-en-Cauchies, dans le Nord (voir ici) et accessoirement frère aîné de Pauline, la Championne du Monde en titre. "J'étais surtout content de rouler avec les copains et, par-dessus tout, j'ai eu le bonheur de voyager", explique-t-il à DirectVelo.com. Le licencié du CC Villeneuve Saint-Germain livre sa conception du sport "sans prise de tête", lui qui vient de mettre un terme à sa carrière de haut niveau. Pendant neuf mois, l'ex-coéquipier de Kenny Elissonde au CC Etupes va en effet se consacrer à sa formation en école de sous-officiers de gendarmerie. Ainsi, le 31 août, en terminant 2e sur le Grand Prix de Vertus, battu au sprint par Frédéric Guérrin (voir ici), « EFP » a officiellement disputé la dernière compétition de sa carrière. A moins que...

DirectVelo : Tu es passé de coureur cycliste à gendarme, presque sans transition. Comment as-tu changé d'orientation aussi rapidement ?
Evan Ferrand-Prévot : Tout était plus ou moins prévu depuis cinq ans. J'étais en effet considéré comme un cycliste alors que je travaillais déjà comme gendarme adjoint volontaire, d'abord à Chaumont puis au centre de recrutement de Reims. J'ai toujours eu un « double projet ». Depuis le 2 septembre, je n'ai plus qu'une seule activité, puisque je dois donner la priorité à mon cursus à l'école des sous-officiers de gendarmerie de Montluçon. Tôt ou tard, je m'attendais à arrêter le vélo de haut niveau. La seule chose qui m'a surpris, c'est la rapidité de mon entrée à l'école des sous-officiers. Suite à mon concours, je pensais commencer en avril 2015, mais j'ai été prévenu courant août 2014 que ce serait pour le mois suivant.

Tu t’apprêtais ainsi à passer quelques mois de plus dans le peloton en 2015 ?
Oui, soit comme coureur, soit comme assistant. J'ai été pris de court mais, au fond, c'est une bonne chose. Mon arrêt précipité de la saison – et de mon parcours haut niveau – m'évitent d'être nostalgique. Actuellement, je ne pense plus trop au vélo parce que nous sommes dans la période habituelle de la coupure. Ensuite, quand je verrai mes copains partir en stage avec leur club, il est probable que j'aie une boule au ventre. Mais voilà, même les meilleures choses ont une fin...

Etait-il impossible de continuer à mener de front le vélo et ton métier de gendarme ?
Depuis que je suis à l'école, je n'ai quasiment plus le temps de penser au vélo. Nous avons des semaines éprouvantes et intenses, qui débutent à 5h du matin et s'achèvent sur le coup des 23h. Entre les cours en amphi, les différentes activités – on revient d'un bivouac dans la forêt ! –, les semaines défilent très vite.

« MA PORTE DE SORTIE ETAIT TOUTE TROUVEE »

Lorsque tu étais au CC Etupes, tu savais déjà que tu ne ferais pas carrière dans le cyclisme ?
Oui. A cette période, ce n'était pas facile de se faire une place dans le club, il y avait de très grosses individualités comme Kenny Elissonde, Geoffrey Soupe, Rudy Molard. La première année, j'ai beaucoup subi, j'ai passé de sales moments sur le vélo, tellement le niveau était relevé. Heureusement, comme je savais que je ne ferais pas du vélo mon métier, je ne me suis jamais affolé. Ma porte de sortie était toute trouvée.

On imagine pourtant que la plupart des amateurs rêvent de passer professionnels ?
Non, tout le monde n'a pas cette ambition. Peut-être que c'est bizarre, mais moi, je ne me suis jamais projeté vers cet objectif. J'étais surtout content de rouler avec mes copains, de découvrir des grandes courses comme Liège-Bastogne-Liège ou Paris-Roubaix Espoirs. Parmi mes bon souvenirs, il y a les moments où j'ai accompagné Kenny sur le Loire-Atlantique Espoirs et la Ronde de l'Isard [2011 – voir ici] ou Geoffrey sur le Championnat de France Espoirs [2010 – voir ici]. Par-dessus tout, j'ai eu le bonheur de voyager, que ce soit pour des compétitions à la Réunion, en Martinique, au Maroc et en Chine...

Que t'a enseigné le vélo de haut niveau ?
On dit que c'est une école de la vie et c'est bien vrai. J'ai appris le goût de l'effort et du dépassement de soi. Aujourd'hui, quand il s'agit de faire du sport dans mon école, je sens que le cyclisme m'a apporté une solide condition physique. Bon, comme je sollicite des muscles différents, il m'arrive de me blesser (rires). Mais je me sens bien.

« JEUNE, IL Y A DES MOMENTS TON SPORT TE PARAIT PLUS DUR »

Ton choix de devenir gendarme remonte à ta première ou ta deuxième année en catégorie Espoirs, alors que tu avais obtenu de bons résultats chez les Juniors. Ta décision vient-elle du fait que tu n'aurais pas progressé aussi vite ou aussi fort que tu le souhaitais ?
Bien sûr, j'avais envie de voir plus loin après ma 4e place aux Championnats de France Juniors [en 2007, à Mussidan, NDLR]. Au CC Etupes, j'ai eu la chance de découvrir le cyclisme de haut niveau et de rencontrer des coureurs fantastiques. Mais il est probable que je me sois rabaissé par rapport à eux.

Petite période de découragement ?
Quand tu es jeune cycliste, il y a des moments où ton sport te paraît plus dur. Tu as deux options : soit tu t'accroches, soit tu lâches prise. J'étais plutôt dans le deuxième cas, je me suis reposé sur mes acquis. Je n'avais sans doute pas un mental « de guerrier ».

Le vélo est donc un loisir pour toi ?
Oui, c'est une passion. J'ai commencé à six ans. Ma mère et mon père couraient et ils m'emmenaient partout avec eux le week-end. Quand on vient d'une famille de cyclisme, il est dur d'échapper à son destin.

« JE NE FAIS JAMAIS DE COMPARAISON AVEC PAULINE »

De même que tu as pu nourrir un complexe vis-à-vis de tes coéquipiers les plus costauds du CC Etupes, es-tu parfois encombré par la présence d'une athlète de classe mondiale dans ta famille ?
Non, parce que je ne fais jamais de comparaison entre Pauline et moi.

Et les autres ?
Peut-être qu'ils nous comparent mais ça m'est égal. Je ne me suis jamais dit que j'avais une sœur de ce niveau, je n'y pense pas, donc je ne peux pas être jaloux d'une façon ou d'une autre. Ce n'est pas dans mon tempérament. Nous restons proches l'un de l'autre, mais malheureusement je la vois moins depuis que je n'habite plus à Reims. A l'occasion des vacances de Noël, j'espère l'encourager sur le cyclo-cross de Namur ou de Zolder. Je ferai le mécano, je laverai les vélos ! (rires) Le jour où elle est devenue Championne du Monde, en septembre dernier (lire ici), je profitais d'une permission pour visiter la campagne auvergnate avec ma copine. En même temps, je suivais Twitter sur mon téléphone... La connexion a lâché pile au moment où j'ai su qu'elle s'imposait. C'était une telle joie !

Quand as-tu compris que Pauline était promise à un brillant avenir sportif ?
Depuis toujours, elle m'impressionne par son mental. Sur un Trophée de France des Jeunes vététistes, elle règle au sprint le peloton des garçons alors qu'elle était seulement Benjamine. Je ne me rappelle pas qu'il y ait eu de déclic dans son parcours. Elle a toujours été devant, toujours été très forte.

Ta sœur possède donc ce fameux état d'esprit « de guerrier » ?
Elle a toujours voulu être la meilleure. Moi, j'avais tendance à me laisser vivre sur le vélo. Elle, elle peut courir s'il pleut à pleins seaux. Moi, je lâche vite l'affaire. Je ne veux pas passer pour un branleur, mais c'est vrai que ma conception du vélo est du genre sans prise de tête. Les copains, c'est tout ce qui compte. Je ne me suis jamais fâché avec personne. Et l'équipe dans laquelle je me suis le plus éclaté reste le CC Villeneuve.

« L'IMPRESSION D'APPARTENIR A UNE FAMILLE A VILLENEUVE »

Pourquoi ?
J'avais l'impression d'appartenir à une famille. Dans un gros club de DN1, beaucoup de coureurs veulent passer professionnels et, inévitablement, ça débouche sur des tensions. Au CC Villeneuve, nous avions un label DN1 et de bons coureurs mais pas de pression. On pratiquait le vélo avec sérieux mais sans nous accorder trop d'importance.

Cette mentalité est-elle majoritaire ou minoritaire dans le peloton amateur ?
C'est du 50-50. Si tout le monde avait le caractère de Pauline, il n'y aurait que des champions... Il faut être une grosse machine pour avoir sa place d'office chez les professionnels. Des Warren Barguil, Thibaut Pinot, Kenny Elissonde avaient un chemin tout tracé, contrairement à moi. Et encore... Ce n'est jamais gagné, même pour des coureurs comme eux ! Ensuite, une fois passé professionnel, on n'est jamais sûr de pouvoir mener carrière. La situation du cycliste reste précaire. C'est l'une des raisons pour lesquelles je privilégie depuis le début la piste de la gendarmerie.

Penses-tu qu'il soit possible de complètement tourner la page du cyclisme ?
C'est difficile, en effet. Je vais sortir de l'école des sous-officiers le 21 mai 2015. Et je pense que je reprendrai la compétition... Certainement en 2e ou 3e catégorie, au CC Villeneuve et peut-être aussi avec la fédération des clubs de la Défense. Ce retour aura lieu vraisemblablement en 2016, lorsque j'aurai une situation professionnelle plus stable. Comme toujours, je serai à la recherche du plaisir. Pour moi, c'est tout ce qui compte.

Crédit photo : www.velofotopro.com
 

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