La Grande Interview : Thomas Girard

Thomas Girard vient de se faire opérer de l'artère iliaque. Encore une fois. Déjà en 2011, il avait dû passer sur le billard pour soigner une endofribrose iliaque. Cette année-là cet espoir du cyclisme voit sa progression freinée pour la deuxième année de suite. Déjà en 2010, des erreurs dans l'entraînement et dans l'alimentation, "à trop vouloir perdre du poids, je suis tombé dans l’extrême" dit-il, le mettent hors-service. Après cette première opération de l'artère iliaque, Thomas Girard quitte le Chambéry CF pour le CR4C de Roanne, un club qui lui convient bien. Sous le maillot jaune et bleu, l'ancien concurrent d'Arnaud Jouffroy en cyclo-cross chez les Juniors, a récolté de nombreuses victoires et places d'honneur. Cette année, en début de saison, il remporte le Grand Prix d'Aix et se classe 2e de la Dutorccha et du Grand Prix de Saint-Etienne. Mais à la Boucle de l'Artois, la douleur à l'artère iliaque se réveille. A partir de là, Thomas Girard a toujours une retenue en course et se met au service du collectif de Roanne. "Je m'étais installé dans un petit confort", reconnaît-il. C'était donc le moment pour changer de club. En 2015, il retrouvera Creuse Oxygène où il commencera à penser à la suite de sa carrière.

DirectVelo.com :Ton récent changement de club peut paraître étonnant. Peux-tu nous expliquer ton choix ?
Thomas Girard : Je n’ai plus 20 ans et c’est sûr qu’à l’époque, je n’aurais certainement pas opté pour ce choix, mais aujourd’hui j’ai 25 ans je me dois de penser autant à l’avenir qu’au présent. Creuse Oxygène n’est pas un club exclusivement tourné vers le VTT. Ils ont un projet de développement assez intéressant, et ils sont en constante progression. Preuve en est, en 2015  nous allons passer en DN2. Ils m’ont proposé de travailler sur le long terme, et de m’aider à préparer la suite en me faisant passer un diplôme d’Etat. J’avais cette idée en tête depuis quelques temps, alors j’ai saisi l’opportunité qui s’offrait à moi.

Comment le CR4C a-t-il perçu ton choix ?
Bien, même si il est toujours difficile d’annoncer son départ pour un autre club. J’étais bien à Roanne et lorsque je les ai quittés j’ai eu un gros pincement au cœur. Heureusement, nous nous reverrons forcément sur les courses, la vie ne s’arrête pas à ça. Je dirais plutôt que ma famille s’agrandit (rire). Initialement, je n’avais pas du tout prévu de quitter Roanne, je m’y sentais bien. Creuse Oxygène m’a contacté sur le tard, par l’intermédiaire de mon ami et entraîneur David Giraud. J’ai pesé le pour et le contre. Evidemment, le calendrier de course y est moins fourni et le prestige moindre, mais de l’autre côté je vais pouvoir être plus près de la maison puisque le siège social du club n’est qu’à 40 minutes de chez moi . Je vais aussi pouvoir apporter mon expérience aux plus jeunes.

UNE NOUVELLE AVENTURE

Tu as donc privilégié le confort au plan sportif ?
Pas du tout. Je vois ce changement comme une nouvelle aventure, une nouvelle expérience. Lorsqu'on change de club, il faut toujours refaire ses preuves, s’adapter et prouver son niveau à ses nouveaux coéquipiers et encadrants. Je suis de nature timide et il va falloir que je m’intègre dans un nouveau groupe. Avec l’expérience, j’ai pris un peu d’assurance mais cela ne sera pas évident pour autant. Par ce choix, je me mets aussi un peu en danger justement.

Quel danger ?
Je vais devoir prendre mes responsabilités. A Creuse Oxygène, je serai le coureur le plus expérimenté et j’aurai donc plus de responsabilités sur mes épaules. L’année dernière, on m’a reproché à juste titre de moins m’impliquer dans mon rôle de guide ou de leader, préférant plus le rôle d’équipier ou en me cachant derrière les autres cadres de l’équipe comme Jérôme Mainard ou Jimmy Raibaud. J’avais des raisons valables, mais ici même avec des circonstances atténuantes, je ne pourrai pas me cacher.

Quelles étaient ces raisons ?
A partir du mois d’avril, précisément au chrono de la Boucle de l’Artois, j’ai ressenti les mêmes symptômes que ceux que j’avais avant mon opération de l’artère iliaque gauche. J’étais gêné dans une moindre mesure, mais je n’avais pas la totalité de mes capacités. Dans ces conditions, il est difficile de faire le job à 100% et surtout de se rendre confiant au départ des courses. Mon rendement dépendait de beaucoup de paramètres habituels comme le parcours, la physionomie de la course, etc … mais aussi et surtout de l’état de ma jambe qui était variable d’une semaine à l’autre. Petit à petit, je me suis naturellement mis au service du collectif, et installé dans ce petit confort de ne faire que mon job, sans forcément aller chercher au plus profond de moi.

Comment comptes-tu remédier à ces problèmes d’artère iliaque ?
Honnêtement, cette histoire d’artère iliaque m’effraie. Lors de ces opérations, ce ne sont pas des os dont il est question mais bien du système sanguin, veineux et artériel. Pour moi, il était hors de question de me refaire opérer comme la première fois ou de devoir porter des stents comme certains le font. La santé c’est important, je ne veux pas avoir des artères d’un papi à 50 ans. Je suis retourné faire des examens et mon chirurgien m’a proposé une alternative moins lourde, celle de l’hyperdilatation artérielle. On met un ballon dans l’artère. On le gonfle pour dilater l'artère et lui faire retrouver sa forme initiale. J’ai été opéré vendredi dernier et je vais remonter sur mon vélo en fin de semaine pour voir ce que cela donne. Cette opération a eu lieu pendant ma coupure et ne me sera donc pas préjudiciable pour la prochaine saison comme d’autres soucis de santé ont pu me faire perdre du temps par le passé.

SOUS-ALIMENTATION EN 2010

Tu fais allusion à ta dernière année Espoir ?
Oui. Clairement, cette année-là a été très difficile et a freiné ma progression. J’avais fait deux premières années très intéressantes dans la catégorie, confirmant mes bons résultats en Juniors. Début 2011, je me suis fracturé la clavicule, puis j’ai été opéré de l’endofibrose iliaque en juin. Je n’ai donc que très peu couru en septembre. L’année précédente, 2010, avait été catastrophique aussi, mais ne devait rien à la malchance. Je m’étais mis trop de pression, je voulais trop bien faire. Résultat, j’ai été en surentrainement et sous-alimentation. A trop vouloir perdre du poids , je suis tombé dans l’extrême. Je suis passé complètement au travers de mon année. 

Tu apportes une grosse attention sur l’alimentation ?
C’est très important, mais j’ai surtout appris cette année-là qu’il ne fallait pas que je me prenne trop la tête avec ça. Aller dans l’extrême , ce n’est pas bon. Maintenant, je me fais plaisir quand j’en ressens l’envie, tout en restant raisonnable. C’est un juste milieu à trouver, et j’ai rétabli le tir.

Durant cette période tu étais au Chambéry CF. Ne regrettes-tu pas d’avoir quitté l’équipe sans être passé professionnel ?
Lorsque je suis parti, c’était d’un commun accord. Je n’étais plus Espoir et l’équipe ne voulait pas me garder, et je n’avais plus trop l’envie d’y rester non plus.

Selon toi, pourquoi n’es tu pas passé à l’échelon supérieur, chez AG2R La Mondiale ?
Au début j’allais là-bas pour passer pro, évidemment. Mais, il n’y a que les meilleurs éléments qui passent à l’échelon supérieur, surtout à Chambéry réserve d’une équipe WorldTour. Pour passer pro chez eux, il y a plusieurs choses qui rentrent en ligne de compte à commencer par le profil de coureur qu’ils recherchent. Ce profil varie en fonction des années et je n’avais tout simplement pas forcément montré assez de chose pour avoir un contrat chez AG2R. Quand on voit les coureurs qu’ils font passer ces dernières années, je n’ai pas fait la moitié de ce qu’ils ont fait. Il me manquait deux-trois belles victoires. Je n’ai donc pas le sentiment d’avoir été lésé du tout.

Tu étais l’un des meilleurs de ta génération, pour ne pas dire le meilleur, chez les Juniors, tu n’as aucun regret au regard de ton évolution ?
Le vélo ne se résume pas à appuyer fort sur les pédales. C’est une question d’opportunités, et je ne les ai pas eues pour passer professionnel. C’est une question de réussite aussi, et évidemment mes soucis de santé n’ont rien arrangé. C’est aussi une question de choix que l’on fait dans sa carrière. Certes, j’ai quelques regrets mais je pars du principe qu’il est inutile d’y penser sinon on n'avance pas. 

« CHAMBERY N'ETAIT PAS LE CLUB QUI ME CONVENAIT LE MIEUX »

Tu reconnais quand même avoir des regrets, lesquels ?
La fameuse année d’Espoir 3, je la regrette. Avoir été à Chambéry n’était peut être pas la meilleure chose pour moi non plus. Je suis quelqu’un de très autonome et ce club n’était sûrement pas celui qui me convenait le mieux. Attention, je ne dis pas que le club n’est pas bien, au contraire, c’est l’une des plus belles structures en France et je n’ai rien à leur reprocher. A Roanne, j’avais plus d’autonomie sportive et extrasportive, c’est un club plus familial. Peut-être qu’en y arrivant plus tôt, la donne aurait été différente mais on ne peut pas savoir. Lorsque l'on fait un choix, même si on essaie de se renseigner avant de se lancer dans une aventure, on ne sait jamais précisément dans quel milieu on va se retrouver. Mais quoi qu’il en soit, j’assume et suis totalement responsable de mes choix.

Même celui d’avoir arrêté le cyclo-cross à haut niveau, alors que tu étais parmi l’élite internationale ?
J’ai suivi les conseils que l’on m’a prodigué. (Il s’interrompt un moment). J'étais en Junior, oui. Mais très vite, mes résultats se nivelaient vers le bas lorsque je suis arrivé en espoir. Honnêtement, en cyclo-cross, si tu n’es pas dans le jeu au niveau international, c’est difficile de s’en sortir grâce à cette discipline. Malheureusement pour moi, j’avais des lacunes technique importante, et plus on avance dans les catégories et plus le niveau est homogène donc moins je réussissais à faire la différence par le côté physique. Je pense avoir progressé sur la route lorsque j’ai arrêté le cyclo-cross. Avant, j’étais dans la précipitation, j’enchaînais les saisons de cross et de route en ne coupant que 2 semaines entre chacune d’elle. J’avais des objectifs à des intervalles de temps trop réduits pour pouvoir m’entraîner comme il le fallait. Les fondamentaux était un peu zappés !

Pourtant, tu continues de prendre part à quelques courses durant l’hiver.
Oui, car je suis un coursier dans l’âme. Rester cinq mois sans mettre un dossard sur le dos, c’est très long. L’année dernière j’ai pris le départ de deux cyclo-cross et cette année, j’aimerai en faire un peu plus car j’aime ça, tout simplement. Je prend toujours beaucoup de plaisir sur un cyclo-cross et je pense que c’est un bon outil de préparation physique et psychologique. Ça permet de voir où on en est, et de se donner des temps de passage en prévision de la saison routière.

La prochaine saison, tu l’imagines comment ?
J’espère gagner des courses! C’est avant tout pour cela que l’on fait du vélo non ? Après tout, être coureur amateur ou professionnel n’est pas une fin en soi pour moi. Evidemment j’ai toujours dans un coin de ma tête le rêve de courir à l’échelon supérieur, mais si je peux pratiquer et vivre de ma passion encore quelques temps, je serai ravi. Je ne me plains jamais, qu’il pleuve ou qu’il fasse froid, je suis content de partir rouler. On a une chance indescriptible de faire ce que l’on veut au quotidien, sans horaire fixe et ça, j’en suis bien conscient!

Crédit photo : www.velofotopro.com
 

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