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Jean-Christophe Péraud : « Si on vire Astana, ça fait 30 mecs de plus au chômage »

Deuxième du Tour de France 2014, le coureur français estime que « 85 % du peloton est sain ». Ce qui laisse encore un peu de place pour les tricheurs

Propos recueillis par  et

Publié le 22 octobre 2014 à 13h57, modifié le 19 août 2019 à 14h30

Temps de Lecture 8 min.

Le grand public a découvert Jean-Christophe Péraud cet été en même temps qu’il grimpait sur la deuxième marche du podium du Tour de France. Il faut dire que le coureur de 37 ans s’est mis sur le tard au cyclisme sur route et qu’il ne cherche pas à faire la « une » des magazines. Dans la foulée de la présentation de la Grande Boucle 2015, il a accepté pour Le Monde de parler de la difficulté d’être champion cycliste quand la suspicion de dopage règne. Sans agent ni attaché de presse. Et sans jamais se départir de son sourire.

Trois mois depuis le podium sur les Champs-Elysées, la vie de Jean-Christophe Péraud a-t-elle changé ?

Non, je n’ai pas l’impression. En tout cas, moi, je n’ai pas changé. Certes, il y a eu un peu plus de sollicitations, mais fondamentalement ma vie n’a pas changé, j’arrive encore à me balader à Villeurbanne [Rhône] sans me faire arrêter à tous les coins de rue. Peut-être que pendant les quinze jours qui ont suivi le Tour, j’étais un peu plus reconnu dans la rue, à l’entraînement. Mais, à part quelques sollicitations médiatiques, j’ai une vie normale.

Ce Tour, ça reste les trois plus belles semaines de votre vie ?

Si je dis oui, ma femme va me lyncher vis-à-vis des enfants. Sans être les plus beaux moments de ma vie, c’est sûr que ça fait partie des moments marquants.

Pendant le Tour, avez-vous pensé que vous pouviez gagner ?

Non, jamais je n’ai envisagé de gagner le Tour. Je n’avais même pas imaginé de finir sur le podium au départ, donc de le gagner, encore moins. Et le chrono m’a donné raison : je n’étais pas du tout au niveau de Nibali [vainqueur de l’édition 2014]. C’est vrai que j’avais perdu 3’ 40” sur les pavés, mais je finis à plus de sept minutes à Paris. Pas une seule fois je ne lui ai pris du temps. Il a toujours fini devant.

Vincenzo Nibali est au-dessus du lot ?

Au-dessus du lot, non. Au-dessus de moi, oui. Froome et Contador ont été écartés sur chute, Quintana était absent. Peut-être qu’eux auraient pu rivaliser avec lui. Moi, je n’en étais pas capable.

Peut-être en serez-vous capable en 2015 pour votre cinquième Tour ?

En théorie, je ne suis pas censé progresser. Donc, s’ils régressent et si je reste à mon niveau, pourquoi pas ? Mais il y a peu de chances. Techniquement ou sur la gestion de la course, peut-être, mais physiquement, je ne pense pas pouvoir progresser. J’ai 37 ans.

Justement, comment expliquez-vous qu’un « vieux » de 37 ans puisse donner la leçon à des « jeunots » de 25 ?

Le vélo, comme tous les sports d’endurance, est un sport à maturité tardive ; ça demande beaucoup d’endurance, c’est quelque chose qui s’acquiert avec le temps. J’ai progressé jusqu’à mes 30-32 ans, j’ai atteint mon meilleur niveau aux Jeux de Pékin [il a été vice-champion olympique de VTT en 2008], et maintenant je surfe sur ce niveau, j’arrive à le maintenir, je ne me sens pas régresser.

Vous devez avoir une hygiène de vie draconienne ?

Pas particulièrement. Je suis très assidu sur la partie entraînement, et je pense que les gènes font 80 % du boulot. Soit tu es doué pour ça, soit tu ne l’es pas. Et quand tu l’es, le travail te permet d’atteindre la quintessence de ce que tu peux faire.

Comprenez-vous qu’il puisse y avoir des suspicions vous concernant ?

Sur mon cas, non. Au sujet du monde du vélo, après ce qu’il a vécu depuis 1998, je comprends et ça m’attriste. Mais il y a eu du chemin de fait depuis. Entre le suivi longitudinal, les contrôles antidopage, beaucoup de choses ont été mises en œuvre dans le cyclisme pour que ça aille mieux, et je pense que cela porte ses fruits. Il y a aussi une nouvelle génération de coureurs qui ont débuté le vélo au moment de l’affaire Festina et qui ont été formés dans des clubs avec la conscience que se doper, c’est tricher. Je ne dis pas que le cyclisme est totalement propre, mais quand je me pose la question, je me dis que 85 % du peloton est sain. Je peux me tromper, il y a effectivement encore des tricheurs, on l’a vu avec les frères Iglinskiy [positifs à l’EPO] chez Astana, mais on se donne les moyens de chercher et de trouver les tricheurs.

Avez-vous dû faire face à la suspicion ?

Bien sûr. J’y fais encore face. Un copain était au Roc d’Azur [le plus grand rassemblement de VTT, qui fêtait ses 30 ans début octobre]. Il mangeait derrière des mecs qui allaient faire le Roc, et qui disaient : « Péraud, c’est pas possible, s’il est passé à la route, c’est bien pour ça. » La suspicion est facile. Moi-même, je suis tombé dans ces travers quand j’avais 20 ans et que je faisais du VTT. J’avais mon niveau, j’étais 20e, je ne me donnais pas tous les moyens de réussir en termes de charge d’entraînement, et je me complaisais à dire : « De toute façon, c’est pas possible de réussir, ils sont tous dopés devant. » Donc c’est facile de faire des raccourcis et de dire : « Tous des tricheurs. »

Nibali répétait pendant le Tour : « Tout ça, c’est du passé. » Et quelques semaines plus tard, trois contrôles positifs frappent son équipe. Il y a un problème Astana ?

C’est compliqué à dire, je ne veux pas jeter la pierre à Astana. Nous, à AG2R La Mondiale, nous sommes mal placés, nous avons eu deux contrôles positifs en un an, quasiment, alors je ne veux pas accabler Astana. Le cas Iglinskiy, c’est deux frères, ils ont pris le même produit, on peut dire que c’est la même poche, ça ne ressemble pas à du dopage organisé. Mais je ne sais pas ce qui se passe dans l’équipe Astana. Y a-t-il, dans la manière de recruter, une démarche pour éviter des personnes à risque ?

Le fait que d’anciens coureurs dopés, comme Alexandre Vinokourov chez Astana, restent à la tête d’équipes ne porte-t-il pas préjudice à la crédibilité de la lutte antidopage ?

Pour l’image, ça fait du mal. C’est sûr que Vino a eu des histoires et que cela donne à son équipe une mauvaise image. Mais c’est l’équipe de son pays, c’est difficile de l’évincer. Et je pense que le vélo, vu la situation dans laquelle il est, ne peut pas se permettre d’évincer une équipe. On voit les équipes arrêter les unes après les autres. Si on vire Astana, ça fait 30 mecs de plus au chômage.

Avez-vous confiance en Nibali ?

Je vais lui faire confiance, pour l’avenir de notre sport. Si on retrouve encore un tricheur vainqueur du Tour, on va pas vivre indéfiniment comme ça. Le Tour a beau être un outil publicitaire formidable pour l’image de la France, à un moment le sport en pâtira. Mais je veux lui faire confiance.

Vous ne récupérerez pas le Tour de France sur tapis vert dans dix ans ?

Je ne l’espère pas pour le vélo. Pour moi, ça changerait rien à ma vie, mais pour le sport ça changerait beaucoup.

Exprimez-vous la même confiance envers le vainqueur du Tour 2013, Christopher Froome, et le lauréat des éditions 2007 et 2009, Alberto Contador ?

Je ne veux pas répondre. Je ne veux pas parler des personnes. Je ne veux me mettre personne à dos.

On n’a plus le droit de gagner quand on est cycliste ?

Oui, effectivement. Dès que tu fais du vélo, tu es suspect. On compte sur les journalistes pour relayer le message que le vélo est un sport comme les autres. Nous sommes victimes du passé.

Comment en finir avec le réflexe « cycliste = dopé » ?

Le temps. Si pendant trente ans on n’a plus de cas positifs, on arrêtera peut-être de se poser des questions sur le vélo.

Et gagner le Tour, c’est aussi une question de temps ?

Objectivement, cette année, il y a quand même eu un concours de circonstances [avec les abandons sur chute de Froome et Contador], même si je pense que Froome n’était pas au niveau du Tour 2013 et qu’il était battable. Il était fébrile, il a chuté souvent, il avait du mal à rester devant. Contador, en revanche, était au-dessus de moi. Peut-être que sans ces deux chutes j’aurais été troisième.

En tout cas, dans l’état actuel des choses, il y a des coureurs meilleurs que moi. Donc, à titre personnel, gagner le Tour, c’est une utopie. Peut-être qu’à l’avenir, en revanche, pour Thibaut [Pinot, 3e du Tour 2014] ou pour Romain [Bardet, 6e], c’est quelque chose de réalisable.

Qu’est-ce qui a changé en trente ans, pour que deux Français puissent remonter sur le podium du Tour ? Ça ne peut pas être seulement deux chutes…

La lutte contre le dopage a aidé à remettre les Français en haut de l’affiche, même si la France n’a pas le monopole des meilleurs cyclistes du monde.

Regrettez-vous d’avoir commencé si tard le cyclisme sur route ?

Non, parce que commencer plus tôt, ça voulait dire m’asseoir sur la médaille olympique, et ça, en aucun cas.

On vous voit encore combien de temps sur un vélo ?

Il me reste encore deux ans de contrat. Je ne suis pas inusable ; à un moment, le temps va me rattraper.

Terminer aux Jeux de Rio, en 2016, ce serait une jolie fin ?

Le Tour continue à me faire rêver, mais terminer en étant performant à Rio, ce serait une belle fin de carrière.

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