La Grande Interview : Rémi Cavagna

Après l'éclosion de Romain Bardet, le cyclisme auvergnat couve Rémi Cavagna. Les deux coureurs ont en commun des études de droit, en parallèle de leur parcours cycliste. Ce qui forme « un équilibre de vie » certain. Mais tout le reste les sépare : les années (Cavagna est né en 1995, cinq ans plus tard que le 6e du Tour de France), naturellement le palmarès, mais aussi le champ d'action - la montagne pour Bardet, le contre-la-montre pour son cadet. Le chrono, c'est la spécialité de Rémi Cavagna, le coureur du Team Pro Immo Nicolas Roux. Classé 3e du Championnat de France Juniors en 2012, il monte sur la deuxième marche chez les Espoirs cette année et s'empare de la médaille d'or aux championnats universitaires. Le voilà donc retenu pour les Mondiaux, qui auront lieu la semaine prochaine à Ponferrada, en Espagne. L'an passé, sur les routes de Florence, il avait terminé 51e de l'épreuve chronométrée, loin de sa 3e place dans les Championnats d'Europe. Cette année encore, Rémi Cavagna se livrera sans fioritures. En attendant de s'améliorer un jour dans les ascensions, l'effort solitaire est sa plus grande raison de rouler. "Il n’y aucune question de placement ou d’abri, il s’agit seulement de se battre et d’aller le plus vite possible, dit-il à DirectVelo.com. Ton résultat ne dépend que de toi-même [...]. Tu es seul face au temps..."
 
DirectVelo : Ta sélection pour les Championnats du Monde, c'était attendu ?
Rémi Cavagna : En début de saison, je ne m'y attendais pas. Pour une première année chez les Espoirs, j'estimais ne pas avoir le niveau. Mais en juillet j’ai remporté le contre-la-montre du Tour de Mareuil-Verteillac-Ribérac. A partir de ce moment, j’ai commencé à penser au Mondial. Ensuite, j’ai disputé le Championnat de France de l’épreuve chronométrée, sur lequel j’ai pris la deuxième place [NDLR : à 34 secondes secondes de Bruno Armirail – lire ici]. La semaine qui a suivi ma médaille d’argent, le sélectionneur, Pierre-Yves Chatelon, m’a indiqué que j’étais sélectionné pour le Championnat du Monde.
 
« TRAVAILLER POUR L'AVENIR » 
 
Qu’attends-tu de la course arc-en-ciel ?
Compte-tenu que je suis en première année chez les Espoirs, je ne me mets pas plus de pression qu’il ne faut. Le sélectionneur m’a expliqué que ma présence dans l'équipe devait me permettre de travailler pour l’avenir, de prendre de l’expérience. J’y vais pour découvrir, même si j’ai d’obtenir un bon résultat ! Quand on est en Equipe de France, on se sent obligé de bien faire... J’espère rentrer dans les quinze voire dans les dix premiers du classement. Et l’an prochain ou dans les années qui suivront, j’irai au Mondial pour gagner !
 
Comment as-tu préparé cette échéance ?
La semaine dernière, j'étais en stage dans le Jura, avec toute l’Equipe de France. J’ai bien travaillé l’effort solitaire, notamment en faisant du derrière scooter ! Puis on a participé au Tour du Jura Suisse (NDLR : abandon). Mais il faut dire que le contre-la-montre, je le travaille tout au long de la saison.
 
Tu utilises donc régulièrement un vélo spécifique ?
Oui, deux ou trois fois par semaine, à raison de 2 heures ou 2 heures 30. C’est plus que mon vélo de route « normal ». Je travaille particulièrement la position, mais je fais aussi du derrière scooter ou du derrière voiture, souvent en fin de séance. J’ai un petit circuit, de 12 km, sur lequel je peux me tester, même si il faut prendre en compte le vent. Quand je fais une sortie d’entraînement classique, avec mon vélo de course en ligne, il m’arrive après la séance de faire quelques minutes de home-trainer pour travailler encore la position de chrono.
 
La position, c'est la clé de l'exercice ?
Oui. C'est aussi pour ça que je fais beaucoup de préparation physique générale en début de saison : des abdos, du gainage... C’est important pour rester stable sur la machine. 
 
« LA COURSE-A-PIED M'A AIDE POUR LES CHRONOS » 
 
Mais, au fond, qu’est-ce qui te plaît dans le contre-la-montre ?
C’est l’effort solitaire. Du début à la fin, on doit être à fond. On est confronté à soi-même, face au temps. Il n’y aucune question de placement ou d’abri, il s’agit seulement de se battre et d’aller le plus vite possible. Ton résultat ne dépend que de toi-même, c’est ce que j’ai toujours apprécié. D'ailleurs, c'est à peu de chose près le même type d’effort que mon précédent sport, la course à pied. Tu es seul face au temps... 
 
La course t’a aidé pour atteindre un bon niveau en contre-la-montre ?
Tout à fait. J'ai couru à pied pendant sept ou huit ans, et j’ai disputé des épreuves dans ma région, en Auvergne. On travaille dans des fréquences cardiaques assez hautes, aux alentours de 170 pulsations par minute. On est toujours en prise. C'est en cela que la course-à-pied m’a aidé pour les chronos. Mais j’ai arrêté il y a quatre ans, car j’avais mal aux chevilles. C’est une discipline assez traumatisante pour le corps. Alors, j’ai voulu essayer un autre sport...
 
Et tu t’es mis au VTT.
Voilà. Mon grand-père me parlait régulièrement de cyclisme, je regardais le Tour de France, et je me suis décidé à essayer le vélo. Au début, je faisais une sortie de VTT par semaine. Cette discipline m’a plu, donc je me suis davantage investi. Mais en VTT, il faut être très technique pour passer des obstacles, ce qui n'était pas mon point fort. Après six mois, qui m’ont tout de même été utiles pour acquérir une bonne fréquence de pédalage, je me suis dirigé vers le cyclisme sur route. J'ai obtenu des résultats assez rapidement. Aujourd'hui, je continue toujours de faire du VTT, ainsi que du cyclo-cross, pendant l’hiver. 
 
« JE ME VOIS COMME UN COUREUR DE COURSES PAR ETAPES » 
 
Si tu t'es signalé à ton avantage dans les chronos cette année, tu as un peu plus de mal sur les épreuves en ligne. Qu’est-ce qui te manque pour être également performant dans ce registre ?
Avant tout, le placement. Quelquefois, dès le début de course, je suis placé vraiment à l'arrière du peloton. Je me retourne et je vois une voiture de commissaire ! Il faut que je parvienne à mieux me positionner. Je suis aussi un peu trop bourrin ! Je dois apprendre à ne pas me disperser et à mieux gérer mes efforts pour être plus efficace en fin de course. Actuellement, je vais attaquer un peu n’importe quand, et dans le final, je ne peux pas suivre les meilleurs.
 
Donc, tu travailles pour t'améliorer ?
Il me reste encore une grosse marge de progression. En plus de la tactique, je peux améliorer mes aptitudes en montée. Cette saison, j'ai négligé les ascensions au profit des chronos. L'an prochain, j’aimerais faire davantage de sorties en montagne. Plus tard, je me vois comme un coureur de courses par étapes.
 
Tu es le principal espoir du cyclisme auvergnat. Sens-tu une attente particulière autour de toi ?
Pas spécialement. Certes, certaines personnes attendent beaucoup de moi. Mais je ne suis qu’en première année Espoir, donc on ne me met pas vraiment de pression jusqu’à présent. En revanche, moi je m’en mets beaucoup (rires) !
 
C’est-à-dire ?
J’appréhende beaucoup la veille des contre-la-montres. Jusqu'à présent, ça en devenait même pénalisant. Le soir, j’avais du mal à dormir, je me faisais trop de films dans la tête. Pour essayer de me contrôler, j’ai fait de la sophrologie cet hiver. Maintenant je vais mieux, j’arrive à me contrôler.
 
« AVOIR QUELQUE CHOSE EN PLUS DU VELO » 
 
Tu évolues dans le grand club de ta région. Une fierté ?
Je suis allé au Team Pro Immo Nicolas Roux, car c’est le club qui est à proximité de ma fac. Tout s’est fait naturellement. L’an dernier, quand j’étais dans les rangs Juniors, j’évoluais sous les couleurs du VC Cournon, qui est un peu la réserve du Team Pro Immo Nicolas Roux. L’année dernière, les dirigeants me prêtaient déjà des vélos de contre-la-montre, entre autres. En plus c’est un très bon club. Je peux faire les plus grosses courses du calendrier, je suis dans de bonnes dispositions pour progresser. Quand j'étais chez les Juniors, plusieurs clubs amateurs s’intéressaient à moi, mais j’ai préféré aller au Team Pro Immo Nicolas Roux pour toutes ces raisons. Et je ne compte pas changer de formation cet hiver.
 
Il y a beaucoup de coureurs expérimentés autour de toi dans l'équipe. Quels rapports as-tu avec eux ? 
C'est vrai que Nicolas Vogondy ou Sébastien Fournet-Fayard ont beaucoup d'expérience. Ils m’aident vraiment en course et pendant les briefings. Ils m’expliquent à quels endroits du parcours il faut être vigilant, ils me permettent de progresser car je fais en sorte de ne pas reproduire les mêmes erreurs !
 
Les études de droit te laissent assez de temps pour l'entraînement et la compétition ?
Oui, j’arrive à trouver du temps pour aller rouler. A la fac, on a des heures de libre. Mais quand je pars en déplacement, par exemple comme la semaine dernière, je dois rattraper tous les cours que j’ai loupés. C’est difficile mais j’ai pris l’habitude désormais. Quand je rentre d’une sortie, je me force à travailler sur mes cours et mes livres. Mais je trouve un équilibre dans cette vie-là.
 
Bref, il n'y a pas que le cyclisme dans la vie ?
Mes cours me permettent de me vider la tête. J’aimerais continuer les études tant que je peux. Comme tous les cyclistes, j’ai déjà imaginé passer professionnel, mais je n’y pense pas vraiment. Je fais du cyclisme par plaisir et si les résultats suivent, je verrai bien jusqu'où je peux aller. Mais je veux avoir quelque chose en plus, à côté.

Crédit photo : Elen Rius - Elen Rius Photos
 

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