La Grande Interview : Paul-Mikaël Menthéour

La famille Menthéour ? Un résumé du cyclisme à elle seule. Depuis plus d'un demi-siècle, il y a d'abord eu Michel, le grand-père, paysan breton et coursier amateur. Puis son fils, Erwann, l'un des premiers à témoigner du dopage organisé dans un livre (Secret Défonce, paru en 1999). Cet ex-professionnel (1994-1997) est devenu chanteur puis gérant d'une société spécialisée dans les conseils santé (Fitnext). Son grand-frère, Pierre-Henri, lui aussi professionnel (1982-1986), a remporté une étape du Tour de France et un record de France de l'heure, qu'il a « rendu » après des aveux de dopage. Reconverti journaliste reporter d'images, il a obtenu des prix pour ses documentaires sur la guerre en Afghanistan. Depuis sa disparition le 12 avril dernier, des suites d'un cancer, c'est son fils Paul-Mikaël qui porte la charge du nom. Lui aussi a touché au fruit défendu au début de ses années Espoirs, comme il l'explique à DirectVelo.com. Pourtant, ni lui ni sa famille ne peuvent se réduire à la question du dopage. "Nous ne sommes ni pires ni meilleurs que les autres. Nous sommes simplement humains", dit-il. L'enfant de la troisième génération Menthéour assure qu'il a "changé". L'an passé, à vingt-quatre ans, il a repris la compétition. Il assume l'héritage d'une famille insoumise, éminemment romantique, sensibilité à fleur de peau, qui raconte ses trajectoires sans chicane mais dans la pudeur. Quand il accepte de livrer un morceau de son histoire, Paul-Mikaël Menthéour, coureur au VC Pays de Lorient (DN3), pèse chaque milligramme de mots comme il pèse le poids de l'amour, des souvenirs et du destin.

DirectVelo : Une main sur le cœur, un doigt vers le ciel : ta victoire au GP de Landerneau était un hommage à ton père ?

Paul-Mikaël Menthéour : Oui, au moment de franchir la ligne, j'étais très heureux et très triste à la fois. Je sentais qu'il était avec moi sur le vélo. Deux mois après sa disparition, je suis encore à vif. Faire du vélo me rapproche de lui. C'est paradoxal : quand je roule, je suis à la fois apaisé et nostalgique des bons moments vécus avec lui.

« LA TACTIQUE, ON A CA DANS LE SANG ! »

En 2010, ton père se désolait que les coureurs amateurs de premier plan ne sachent plus ouvrir une bordure dans les règles de l'art. Il leur avait même donné des conseils depuis la moto qu'il utilisait, comme cameraman pour France 3. Etait-il intransigeant avec toi dans l'apprentissage tactique du cyclisme ?

La tactique, on a ça dans le sang chez les Menthéour. Avant d'être fort physiquement, il faut dominer la stratégie. Quand j'ai commencé le vélo, j'étais fougueux, un peu comme mon oncle à ses débuts - à un niveau sportif moins élevé. Quand mon échappée était reprise, je remettais ça ! Je voulais montrer que j'étais costaud. Aujourd’hui j’ai changé je m’efforce de courir juste. Papa avait la science du cyclisme. Il m'a appris à me poser dans le peloton, à lire la course, à prendre de la hauteur. Ce que je me force de faire aujourd’hui. Comme il était très malin, il avait réussi quelques très bons coups dans sa carrière.

Quel fut son coup de maître ?

Je repense à une anecdote. Est-ce que je peux la raconter ? Le procédé est discutable...

On se permet d'insister !

Nous avons beaucoup rigolé de cette histoire dans la famille ! Au début des années 90, il disputait l'Essor Breton, qui s'achevait ce jour-là à Brest, à cinq-cents mètres de la maison. Il était dans une échappée de cinq et il était le moins bon de tous, comme il avait pu le vérifier dans la traversée des Monts d'Arrée. Alors, il est allé voir les autres coureurs un par un, dans la plus grande discrétion. Il a dit à chacun : « Si t'attaques, j'y vais pas. Si j'attaque, tu bouges pas non plus ». Du coup, quand il est sorti, personne n’est allé le chercher !



As-tu essayé de faire la même chose ?
Impossible ! Lui, c'était un ex-vainqueur sur le Tour de France, sa parole était très respectée. Qui serais-je pour donner des ordres dans une échappée ?

« NOUS SOMMES SIMPLEMENT HUMAINS »

Ton père se référait souvent à Luis Ocana, son idole, ou à Raphaël Géminiani, qui fut son directeur sportif. Es-tu imprégné de la riche histoire du cyclisme ?

Oui, j'ai l'impression d'avoir connu toutes les époques de ce sport, par procuration. Tout commence avec mon grand-père, qui était paysan à Landeleau (près de Châteaulin, dans le Finistère). Il courait comme indépendant à la fin de la deuxième Guerre mondiale, n'hésitant pas à rouler plus de cent kilomètres aller-retour jusqu'au lieu de départ des compétitions. Papa, lui, aimait l'époque d'Ocana, de Danguillaume et de Guimard. Il aurait voulu en faire partie. C'était un temps où les cyclistes étaient des artistes et pas encore des « professionnels ». Quand j'entends certaines histoires j'ai la chair de poule.

Embrasser une carrière cycliste, c'était une obligation pour toi ?

J'ai toujours su que je ferais du vélo un jour ou l'autre. J'ai vu mon père et mon oncle qui mangeaient, dormaient, vivaient pour ce sport. Ils ont toujours été des exemples. Grâce au vélo, mon père à connu l'apothéose : le fait d'être le meilleur, au moins une journée, une fois dans sa vie. Mais il se demandait si le jeu en valait la chandelle. Après six ans de carrière, une blessure au genou l'avait forcé à redevenir coureur amateur. Mon père imaginait un autre projet pour moi : une vie sûre et stable, il ne voulait pas que je fasse du vélo mais j'ai été patient. J'ai fait mes gammes en course à pied et en natation. Un jour, je lui ai dit : « Papa, je veux essayer le vélo. » J'ai pris la vieille machine qui dormait dans le garage, avec les manettes au cadre. J'ai trouvé un club qui accepte de me transporter sur les courses. Voilà comment j'ai signé ma première licence, en Junior première année.

Hériter du nom de Menthéour, c'est un poids ou une fierté ?
Une grande fierté. Nous avons tous commis des erreurs dans la famille, mais nous ne sommes ni pires ni meilleurs que les autres. Nous sommes simplement humains. L’important est que nous avons su changer. Nos histoires font partie de notre identité.



Si l'on décrit ta famille comme romantique et rebelle, tu es d'accord ?

Oui. Papa et Erwann n'ont jamais réussi à se fondre dans le moule du vélo. Ils possédaient le physique pour être coureur, mais probablement pas le mental. Ce qu'ils désiraient par-dessus tout, c'était être heureux. Et ils refusaient les contraintes. Ils avaient besoin de l'amour des gens : de leurs proches, de leurs coéquipiers, des spectateurs... Le romantisme est au cœur de notre famille. Nous avons un problème : chacun est né une génération trop tard. Mon père admirait l'époque qui précède la sienne, mon oncle aurait donné cher pour courir du temps de Fignon, Hinault et Barteau. Et moi, j'aurais voulu connaître le cyclisme amateur des années 80 et 90.

« JE ROULERAI JUSQU'A LA FIN DE MES JOURS »

Qu'est-ce que cette époque a de plus que l'actuelle ?

Certes, elle n'était pas parfaite et il y avait beaucoup de dopage par exemple. Mais j'ai l'impression qu'il y existait une joie de vivre. Aujourd'hui, je vois des coureurs froids au départ des courses. J'aimerais tellement que tout le monde affiche un sourire, se serre la main, échange quelques mots pour déconner. Au lieu de ça, le mecs restent dans leur coin. Je fais du vélo par passion. C'est même l'une de mes raisons de vivre, un ingrédient de mon équilibre. Beaucoup affirment qu'ils arrêteront de rouler s'ils ne passent pas professionnel. Moi, je continuerai jusqu'à la fin de mes jours, je ne peux pas me passer du vélo.

Pourquoi es-tu resté éloigné des compétitions entre 2009 et 2013 ?

J'avais une tendinite récurrente au genou. Au lieu de lever le pied, j'ai forcé et un kyste s'est ajouté à ma blessure. J'ai été opéré une première fois mais sans résultat probant. J'ai passé de très longs mois à consulter divers spécialistes, jusqu'à ce que je m'oriente avec succès vers la mésothérapie. Cet éloignement du cyclisme a été très difficile. C'est ma copine qui m'a aidé à tenir le coup. J'avais mon travail, ma petite femme, mon quotidien... Mais le vélo me manquait. Dès que mon genou a été guéri, j'ai repris une licence.



« J'AI COMMIS UNE ERREUR... ET J'AI CHANGE »

Au début de tes années Espoirs, tu as essayé le dopage. Comment es-tu tombé dans cet engrenage ?
J'étais une tête brûlée et j'étais attiré par ceux qui concevaient le cyclisme de la même façon.

Entre les aveux de ton oncle et ceux de ton père, on aurait pu te croire à l'abri de cette tentation.
C'est vrai. Mon père m'a toujours mis en garde. Il ne voulait pas que je fasse les mêmes conneries qu'eux. Sans doute voulait-il donner à travers moi une autre image des Menthéour. Mais j'ai fait n'importe quoi. J'ai mis la charrue avant les bœufs. En fait, je voulais passer professionnel et je ne connaissais rien du cyclisme professionnel. J'étais persuadé qu'il fallait se doper pour devenir pro.

Tu penses toujours que c'est un passage obligé ?
Non. C'était déjà une idée reçue parce qu'à cette époque, le vélo commençait à être plus clean... J'ai conscience qu'il s'agit d'une erreur. Et j'ai changé.

« UNE NOUVELLE LIGNE DE CONDUITE »

Ton oncle a rendu hommage à ton père dans le Télégramme avec ces quelques mots : « C'était un poète, un grand romantique. Quand il était inspiré sur le vélo, il était extraordinaire mais il était vulnérable ». Tu approuves ?
Mon père était très sensible. Il avait besoin d'être entouré des gens qu'il aimait, de donner des marques d'affection - et aussi d'en recevoir. Quand il était heureux, il pouvait accomplir des choses incroyables. C'était le cas sur son premier Tour de France, en 1982, quand il déchausse au sprint et manque la victoire à Orcière-Merlette.

Et toi, tu sens que tu alternes les fragilités et les moments de grâce ?

Je ressens une fragilité depuis qu'il est parti. Des états de grâce sur un vélo, je n'en ai pas vraiment connu. Peut-être que ça viendra.



A bientôt vingt-cinq ans, tu te vois un futur dans la compétition ?

Je me suis tracé une nouvelle ligne de conduite. Après la mort de mon père, j'ai décidé de me prendre en main. La vie est trop courte pour faire les choses à moitié. Jusqu'à présent, je roulais sans compteur et je promenais le vélo ! Maintenant, je travaille avec un Garmin et les plans d'un entraîneur. J'essaie d'optimiser le temps que je passe sur mon vélo. Je me dis qu'il n'y a pas de temps à perdre... Mon père a accompli de belles choses mais il est parti trop jeune, à cinquante-trois ans. Si le vélo me rend heureux, je dois m'y lancer à corps perdu.



« AUCUNE LIMITE »

Aujourd'hui, tu roules plus que jamais ?

Oui, ça me permet de penser à autre chose. Je suis à la fois jeune et vieux. Si je retrouve mon niveau de 2008, je ne me fixe aucune limite.

De sorte que tu penses devenir coureur professionnel ?

(Il réfléchit.) Ce serait incroyable... Mais j’en suis loin pour l’instant.

Au départ du Tour de France 2012, ton père écrivait sur Rue89.com : « Je rêve toujours (…) Je fais souvent le vieux blasé, mais je crois toujours à la magie ». Toi aussi, tu y crois ?

Oui. Le cyclisme est tout en émotions. Peut-être que nous sommes attachés à d'autres époque, mais même aujourd'hui les coureurs sont capables d'apporter aux spectateurs une part de magie.

Crédit Photo : Camille Nicol
 

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