La Grande Interview : Lilian Calmejane

Gorgées de bière aux arrivées de la Ronde de l'Isard et éclats de rire avec ses potes de l'Occitane Cyclisme Formation. C'était il y a tout juste un an. Lilian Calmejane était alors un outsider du peloton Espoirs, déjà renommé pour son culot en course. S'il a conservé sa gouaille de rugbyman et son air faussement désinvolte, il est désormais capable de cueillir l'étape reine de la Ronde de l'Isard, dans la pluie neigeuse et un final à quelque 20% de pente au-dessus de Bagnères-de-Luchon. L'une des images les plus fortes de ce début de saison. Le Vendée U, antichambre du Team Europcar, l'a transformé en un pro avant l'heure. Un brin assagi. le coureur venu d'Albi ne rechigne plus à la discrétion. "Est-ce que ça vaut le coup ?" interroge-t-il quand DirectVelo.com l'appelle pour « La Grande Interview ». Il a déjà fait le compte des articles qui lui ont été consacrés. Il a appris qu'il ne faut pas en faire trop : "Les jalousies dans le vélo sont nombreuses". Mais Lilian Calmejane finit par céder. Il offre un regard sans concession sur le cyclisme amateur et un hymne à l'effort.

DirectVelo.com : Considères-tu que ta victoire d'étape sur la Ronde de l'Isard, acquise dans le froid et sur des pourcentages très sévères, relève de l'exploit ?
Lilian Calmejane : Ça dépend de ta définition. Pour moi, un exploit c'est réussir l'impossible.

Quand la neige s'abat à trois kilomètres de l'arrivée, on se dit qu'il est presque impossible de courir dans ces conditions.
Les coureurs du Giro ont quand même ramassé davantage que nous mardi, dans leur étape de montagne ! Certes, nous avons eu de la pluie, un air glacial, un début de neige... Mais la météo ne me pose pas de problème. Pour la surmonter, il faut avoir à la fois le mental et l'organisation. Au Vendée U, nous avions tout préparé, nous disposions de super vêtements et d'aliments placés dans des poches accessibles, une assistante postée en haut du col nous donnait des bidons de thé chaud. J'ai vu certaines équipes partir avec des maillots courts, cuissards courts et sans coupe-vent glissé dans la poche arrière. A croire qu'elles ne s'attendaient pas à rencontrer de la pluie et du froid. Quand tu vois ça, tu te dis que tu as un avantage sur les autres. C'est le début de la préparation mentale.

Comment te prépares-tu dans la tête à affronter la neige ?
Tu commences la veille. Tu te dis : « Demain on va ramasser ! Ça va être du beau vélo ! » Tu essaies d'en rire. Le lendemain matin, quand tu vois que l'air ne se réchauffera pas, tu t'efforces de penser positif. Ainsi, tu sais que plus vite tu franchiras la ligne d'arrivée, plus vite tu seras au chaud !

« JE ME SUIS TRANSCENDE »

Si l'on cherche des ingrédients de l'exploit dans ta victoire, on les trouve peut-être dans le fait que tu as battu sur une arrivée au sommet des coureurs réputés meilleurs grimpeurs que toi.
J'ai anticipé. Si j'étais resté avec les Belges (Louis Vervaeke et Tiesj Benoot, de Lotto-Belisol U23, NDLR), j'aurais probablement pris une place dans le top 10 voire dans le top 5 mais pas au-delà. D'ailleurs, il suffit de voir comment ils sont revenus en trombe ! Encore cinq-cents mètres de pente et Vervaeke me rattrapait certainement. Quand les conditions sont exécrables, il faut en profiter pour faire la course. Pour ma part, j'ai eu peur dans la descente du Col de Menté. Je descends mal sous la pluie, ce qui est paradoxal pour un cyclo-crossman. Mais j'avais à cœur d'aider notre leader Valentin Dufour à revenir sur le groupe du maillot jaune. Dans la vallée, j'ai senti que j'avais la bonne patte. Au moment où l'on revient sur le maillot jaune, j'attaque immédiatement. Notre directeur sportif, Thibaut Macé, a eu la même intuition, puisqu'il a dit à Valentin que je devais tenter ma chance. Puis, quand j'ai rejoint les échappées, j'ai attaqué à nouveau. C'est ainsi que j'ai abordé l'ascension finale avec 2'30'' sur les favoris (revivre le direct ici). Ensuite, je me suis transcendé.

Est-ce une pure coïncidence si tu as entamé cette montée vers l'Hospice de France avec deux anciens coéquipiers de l'Occitane Cyclisme Formation, Romain Campistrous et Loïc Bouchereau ?
Oui, le hasard est total. Depuis le début, Romain était dans ma roue, donc il m'a suivi d'une attaque à l'autre. Loïc, lui, s'était glissé dans une échappée. Ça m'a fait drôle de me retrouver avec eux. Trois coureurs de l'Occitane (passés ou présents) en mesure de jouer la gagne sur l'étape-reine de la Ronde de l'Isard... c'eût été inimaginable un an plus tôt ! Mais chacun a progressé. Et on reste tous les trois des battants !

T'es-tu découvert des qualités dans la haute montagne ?
Je ne pense pas être un pur grimpeur. Cette année, j'ai disputé la Ronde de l'Isard pour me préparer pour le contre-la-montre par équipes de la Coupe de France DN1 et pour Paris-Roubaix Espoirs. L'essentiel des épreuves que je fais est réservé aux puncheurs-rouleurs ou aux puncheurs-sprinters. Je n'avais monté aucun grand col cette année. Sur une épreuve internationale comme la Ronde de l'Isard, je ne m'attendais pas à gagner. Dans la première étape, à Goulier-Neige, je me sentais déjà bien. Dans la dernière, je coince un peu avant le sommet du Col de la Core mais je réussis à conserver ma quatrième place au classement général, avec l'aide de mes coéquipiers. J'ai su gérer mon effort dans les ascensions les plus longues, j'ai mis à profit ma bonne forme physique. Mais je reste avant tout un coureur polyvalent.

« LE VELO, UN JEU QUE J'AI PRIS AU SERIEUX ! »

Ton prochain objectif, c'est Paris-Roubaix Espoirs, dimanche prochain. Qu'est-ce qui t'attire dans cette course, que tu vas disputer pour la première fois ?
D'abord, la légende des pavés. Je pense qu'il faut les aborder comme un cyclo-crossman, solliciter tous les muscles et la concentration. Tu ne dois rien lâcher, ni physiquement, ni mentalement. Nous aurons une bonne équipe et plusieurs cartes à jouer. Le phénomène d'aspiration joue sur les parties asphaltées. Mais une fois que tu entres sur les pavés, tu es un guerrier, seul sur ton vélo.

Tu aimerais rouler sur les pavés plus souvent ?
Un peu plus en compétition, mais je n'irais pas m'entraîner sur ce terrain et je me vois encore moins déménager dans le Nord de la France. Pour moi, l'idéal serait d'habiter et de rouler en Corse. La nature, la mer, la montagne, le soleil : tout ce qu'aiment les cyclistes est réuni sur cette île. D'ailleurs, j'ai promis à ma copine que nous ferons un jour le GR20 en randonnée.

Tu es attiré par l'effort sur longue distance ?
Plutôt par le dépassement de soi. Aujourd'hui encore, je ne connais pas mes limites et j'aime travailler à les repousser. Après ma vie de cycliste, j'essaierai certainement le triathlon, le trail ou une sortie à vélo de trois-cents bornes.

Ta progression physique depuis les rangs Minimes a toujours été linéaire...
Oui, je n'ai jamais explosé d'un coup. Et je n'ai encore jamais été membre de l'Equipe de France. Quand j'ai commencé, je n'avais pas le meilleur matériel, ni les meilleures jambes, et donc pas les meilleurs résultats. J'aurais pu m'améliorer plus vite si j'avais arrêté les études après le Bac ou si j'avais finis ma croissance avant mon année de Junior 2. Mais je préfère gravir les échelons un par un, je savoure chaque palier.

A tes débuts, tu voyais le cyclisme comme un jeu ?
C'est un jeu que j'ai vite pris au sérieux ! Même si je ne gagnais pas beaucoup de courses, j'avais un tempérament de gagneur. Il en allait de même au lycée. Avec des copains, on s'était amusés à établir un classement en fonction des moyennes scolaires et moi je voulais rendre de bons devoirs, non pas pour obtenir de bonnes notes, mais pour avoir le meilleur classement ! (rires)

« J'AVAIS BESOIN D'UNE STRUCTURE PROFESSIONNELLE »

Tu es décrit comme un boute-en-train, voire une grande gueule. Tu te reconnais dans ces qualificatifs ?
Je le suis moins maintenant, peut-être parce que j'ai pris de l'âge. Quand je me sens bien dans un groupe, je suis du genre chambreur, mais j'ai pu parfois blesser des personnes par mes paroles. Je crois que le rire est une bonne façon d'évacuer la tension avant ou après une compétition. Mieux vaut s'amuser que ressasser son stress tout seul dans son coin !

Pourquoi as-tu signé au Vendée U cet hiver, qui n'est pas vraiment la plus grosse bande de déconneurs de France ?
Pour progresser, je devais aller dans un club de DN1 à l'organisation hyper professionnelle. J'ai vécu de très bons moments pendant trois ans à l'Occitane Cyclisme Formation, avec des coéquipiers qui étaient des copains ou des membres du staff qui étaient des bénévoles très sympas. Mais je me rappelle que nous manquions parfois de méthode et de moyens. Un matin, sur le Tour de la Dordogne, nous étions à l'hôtel dans l'attente du petit-déjeuner, à moins de deux heures du départ de la course. Pendant ce temps-là, les gars du Vendée U mangeaient du gâteau-sport. Si j'avais continué mes études en septembre, je me serais inscrit à Sup de Co et j'aurais poursuivi le vélo à l'Occitane. Mais en me consacrant uniquement au sport, j'avais besoin d'une structure professionnelle.

Dans ton club précédent, tu étais souvent leader. Comment t'es-tu coulé dans le moule du Vendée U, qui donne sa chance à plusieurs coureurs ?
C'est avant tout une question de savoir-vivre. Tu apprends à mettre ton ego de côté, tu ne cherches pas avoir toujours raison, tu acceptes les autres. En retour, les autres t'acceptent comme tu es. A une ou deux reprises, je n'ai pas respecté les consignes. Et les directeur sportifs ont fait leur travail en me réprimandant. L'apprentissage commence sur les stages – où chacun doit participer à la vaisselle - et se poursuit en course - où l'on doit immédiatement prévenir les autres que l'on n'a pas les cannes pour gagner. Cette franchise est un axe fondamental du Vendée U.

Comment déterminez-vous le leader en pleine course, sans décision du directeur sportif qui vous viendrait par oreillette ?
Nous avons des automatismes de groupe, nous nous connaissons bien. En début de saison, il nous manquait nos sprinters, Romain Cardis et Thomas Boudat, qui était engagé sur les Championnats du Monde sur piste. Nous avons cherché à dynamiter la course, mais chacun de notre côté, au point de manquer de cohésion. Depuis, on peut dire que le collectif est rôdé. La machine s'est mise en route !

« J'AI ADORE MES ANNEES RUGBY »

En Minime 1, tu partageais tes mercredis après-midi à Albi entre le rugby et le cyclisme. Le ballon ovale a fini par te lasser ?
C'est plutôt le vélo qui m'a envoûté. En rugby, je râlais beaucoup, par exemple quand je voyais des copains constamment se faire plaquer. Mon père, qui faisait du vélo pour ses loisirs, m'a conseillé de choisir un sport individuel et il m'a emmené rouler en famille à Belle-Ile-en-Mer. Mais je me rends compte que j'ai adoré mes années rugby ! C'était 100% chambrage, 100% déconnade, comme on aime dans le Sud-Ouest. On passait de bons moments avec les copains, les entraînements se terminaient par un goûter. Alors qu'en vélo on se prend beaucoup la tête, on ne calculait rien de ce qu'on mangeait dans le rugby. Cela dit, j'ai joué dans les catégories de jeunes et il est possible qu'en grandissant on devienne plus professionnel. Mais autant pointilleux qu'en vélo, je ne le pense pas.

Cet esprit de camaraderie, tu ne l'as jamais retrouvé dans le monde du cyclisme ?
Ce sont deux sports, deux milieux totalement différents. Dans le rugby, tu peux rigoler avec tes coéquipiers et tes dirigeants. Si tu fais de même en vélo, tu vas passer pour un mec qui a le melon, voire pour un méchant. Dans le vélo, tu ne ris pas de tout et certainement pas avec n'importe qui. Les jalousies sont nombreuses. Cela tient sans doute au fait que chacun veut passer pro mais qu'il n'y a pas de part de gâteau pour tout le monde. Nous, les coureurs, nous avons un fromage dans le bec et nous faisons tout pour ne pas le laisser tomber. Alors, on calcule beaucoup en course.

Et donc, vous n'osez pas vous livrer à fond dans vos relations humaines ?
Oui, en cyclisme il faut savoir tenir sa langue.

Sur le groupe Facebook de DirectVelo (lire ici), tu as gagné le jeu de la meilleure phrase qu'on peut entendre dans le peloton. La tienne était : « je roule pas, j'ai un coéquipier en contre à cinq minutes. » As-tu déjà utilisé cet argument pour de vrai ?
(Il rit.) Bien sûr que non ! J'attends mes coéquipiers quand ils sont en poursuite et qu'ils peuvent rentrer. Le prétexte d'un écart de cinq minutes, c'est une exagération pour se moquer de certains comportements. Il y a beaucoup de calculateurs chez les coureurs amateurs, alors qu'on doit assumer ses ambitions quand on se retrouve en tête. Le cyclisme est un sport de brutes. Les plus belles victoires sont celles qu'on va chercher avec les tripes.

 

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