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Fabian Cancellara : « C’est une course pour les fous »

Triple vainqueur de Paris-Roubaix (2006, 2010, 2013), le Suisse égalera le record des Belges Tom Boonen et Roger De Vlaeminck s’il s’impose dimanche 13 avril.

Propos recueillis par 

Publié le 12 mai 2014 à 20h07, modifié le 19 août 2019 à 14h56

Temps de Lecture 6 min.

Une semaine après avoir triomphé pour la troisième fois dans le Tour des Flandres, Fabian Cancellara, 33 ans, sera l’homme à battre, dimanche 13 avril, lors de la 112e édition de Paris-Roubaix. A la veille de la « reine des classiques », celui que l’on surnomme « Spartacus » livre son regard sur une course qu’il connaît par cœur, et dont on dit qu'il faut six mois pour la préparer et six mois pour s'en remettre.

Comment pourriez-vous présenter Paris-Roubaix à quelquun qui ne connaît rien au vélo ?
C’est une course pour les fous. C'est l’enfer du Nord, vraiment. Une course unique.

Quest-ce qui rend cette course unique ?
Sans pavés, ce serait juste une course plate, normale. Mais c’est l’une des plus dures de l’année, et la chance est un facteur plus important qu’ailleurs pour éviter les crevaisons et les chutes. On a un vélo qui ne sert que pour cette course. Il est plus long que ceux qu’on utilise habituellement, les deux roues sont plus espacées, les pneus sont plus grands, c’est plus stable sur les pavés. Disons que si notre vélo habituel était une Smart, celui de Roubaix serait une Mercedes 500 classe S. Et puis il y a les douches sous le vélodrome de Roubaix [à l’arrivée], c'est quelque chose qu’un coureur doit vivre au moins une fois dans sa carrière. Mais moi, je ne les ai jamais vues : soit j’ai gagné, soit j’ai fait podium, soit j’ai eu un contrôle antidopage, soit j’ai abandonné pendant la course. Il y a une douche à mon nom [un honneur réservé à chaque vainqueur], mais je n’ai jamais eu la possibilité d’y aller.

Alors dimanche vous allez essayer de finir dans le peloton, comme ça vous pourrez enfin voir les douches ?
Non, non, je préfère quand même gagner et ne pas voir les douches.

De l'extérieur, Paris-Roubaix ressemble parfois à une torture. Peut-on quand même prendre du plaisir sur une telle épreuve ?
Oui, oui, tu prends du plaisir. Mais il faut être à 100 % de ta condition physique, et il faut être prêt mentalement. Mon premier Paris-Roubaix, en 2003, c’était horrible. Je n’étais pas prêt, je n’avais jamais fait une course pareille, et j’étais vraiment jeune. J’ai abandonné après 200 kilomètres. Et c’est à ce moment-là que j’ai commencé ma bataille avec cette course. Je me suis dit : « Je reviendrai, et je ferai mieux. »

Quelle est la sensation sur les pavés ?
Plus tu vas vite, moins ça fait mal. C’est pour ça que tu dois arriver dessus comme dans un sprint. Si tu roules à bloc, tu voles au-dessus des pavés. Sssssioum ! A l’inverse, moins tu vas vite, plus tu te fais mal. Ou alors il faut carrément rouler à 10 km/h, tranquille.

Est-ce que sur les pavés, à cause des vibrations, on ne voit quune image sur dix ?
Non, tu es vraiment concentré, et tu vois tout.

Entre la poussière par temps sec et la gadoue par temps de pluie, quel est le pire ?
Je n’ai jamais vraiment fait « Roubaix » par mauvais temps, j'ai toujours eu de la chance. Parce que s’il y a du mauvais temps, tu sais que ça va être la guerre contre la boue. La course est plus longue, plus dure, les pavés sont glissants. Ce n’est plus du vélo, c’est du patin à glace, tu peux tomber à chaque mètre. Et tu arrives au vélodrome plein de boue.

Dans quel état finit-on Paris-Roubaix ?
Même si, mentalement, c’est une des courses les plus dures de l’année, ce n’est pas la plus fatigante physiquement. Mais Roubaix, c’est spécial pour moi, parce qu’ensuite, je ne cours plus avant le mois de mai. Après une étape difficile du Tour de France, tu continues. Ici, non. Alors tu donnes tout. C’est pour ça que je suis encore plus fatigué qu’après les autres courses. L’an dernier, j’étais mort.

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Combien de jours faut-il pour sen remettre ?
Ça dépend aussi du résultat. Si tu gagnes, au bout de deux jours, tu as déjà récupéré. Si tu perds, c’est clair que ça fait plus mal, physiquement et mentalement. Comme on a les mains qui tapent sur le guidon en permanence dans les secteurs pavés, on a mal aux articulations des doigts après la course. En gros, quand tu es en bonne condition physique, tu absorbes mieux les chocs des vibrations sur les pavés et tu récupères mieux.

Parvient-on à fermer lœil la nuit qui suit la course ?
Oui et non. Tu dors, mais pas super bien. Ça dépend du résultat. Si tu vas te coucher avec le nez rouge, c’est bon signe, ça veut dire que tu as gagné et que tu as fait la fête, et que tu vas mieux dormir.

Y a-t-il un petit moment de déprime après l’enchaînement Tour des Flandres - Paris-Roubaix, les deux plus belles courses de l’année ?
Oui, mais c’est normal, ce n’est jamais grave. C’est comme un étudiant qui vient de terminer sa thèse. Boum, d’un coup, c’est fini.

Quy a-t-il de particulier au niveau de latmosphère de la course ?
Plus on se rapproche de la frontière, plus il y a des supporteurs belges et plus le public est chaud. Il y a une grande histoire entre les gens du nord de la France et le vélo, ils sont fiers et ils attendent ça chaque année. Il y a beaucoup de monde le long des routes et parfois les gens sont trop près, donc c’est vraiment dangereux. Il suffit d’être sur les pavés, de prendre un trou, et poum ! tu finis dans le public. Mais c’est ça, la course, c’est ce qui la rend vivante. Dans le carrefour de l’Arbre [un secteur pavé particulièrement difficile], t’es comme dans un tunnel. Y a un mur à gauche, un mur à droite et, au milieu, la place pour un cycliste. Deux maximum.

Faudrait-il mettre des barrières le long des secteurs pavés ?
Non, ce serait plus dangereux parce que tu peux te prendre la roue, les pieds ou les mains dedans, et ça fait encore plus mal que de rentrer dans un spectateur.

Est-ce une course qui peut inspirer de la peur ?
Non, pas de la peur, seulement du respect.

Connaissez-vous le tracé par cœur ?
Oui, plus ou moins. Pas les noms de chaque secteur ou de chaque village, mais je sais quand il faut tourner à gauche ou à droite, et je sais que quand on passe dans tel secteur pavé, dans tel village ou devant telle maison, il faut être devant.

Comment expliquez-vous votre réussite sur Paris-Roubaix ?
Cette course n’est pas faite pour les grimpeurs ni pour les sprinteurs, mais pour les coureurs complets. La maîtrise du matériel, la cadence de pédalage, le positionnement sur le vélo, tu dois avoir le talent pour ça, tu dois être né pour cette course.

Et vous, êtes-vous né pour cette course ?
J’ai l'impression que c’est que les gens disent.

Gagner seul, comme en 2006 et 2010, ou gagner au sprint, comme lan dernier, quelle est la sensation la plus agréable ?
Entrer seul sur le vélodrome, c’est clair. Tu arrives dans une arène, tu as le temps de ressentir la fierté de gagner Roubaix, et ça donne la chair de poule. Pour un coureur, c’est unique. L’important, c’est la victoire, la manière, c’est secondaire, mais le top, c’est de gagner seul à Roubaix. Cela dit, c’est vrai que l’an dernier, au moment où je sens que j’ai une demi-roue d’avance et que je gagne au sprint, c’est 100 % d’adrénaline.

Si vous l’emportez dimanche, vous rejoindriez Tom Boonen et Roger De Vlaeminck au sommet du palmarès, avec quatre victoires. Quelle importance accordez-vous à cela ?
L’objectif, d'abord, c’est de gagner. Mais c’est clair que j’aime l’Histoire, et j’aime l’idée de faire l’Histoire. Ça apporte une petite motivation supplémentaire.

Où sont vos trois trophées en forme de pavé ?
Chez moi, dans mon sauna. Il y a trois vitrines, et derrière chacune d’elles, un pavé.

Avez-vous déjà prévu de la place pour un quatrième ?
Pas pour l’instant, mais je vais trouver. J’ai déjà demandé au concepteur de repenser le sauna.

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