La Grande Interview : Arnaud Jouffroy (partie 2)

Après plus d’un an d’absence dans les médias, Arnaud Jouffroy a accepté de se livrer à DirectVelo, dans le cadre de « la Grande Interview ». L’ex-Champion du Monde de cyclo-cross Junior et Espoir, 23 ans, est à un carrefour important de sa carrière : à la recherche de résultats, d’un meilleur cadre de vie et d’une équipe pour 2014 si d’aventure les Belges de Telenet-Fidea ne renouvelaient pas son contrat. Suite et fin de notre entretien (lire la première partie ici).

DirectVelo : Après quatre ans passés dans une équipe belge et sur le circuit belge de cyclo-cross, quelles comparaisons pourrais-tu dresser avec le niveau sportif en France ?
Arnaud Jouffroy : Il y a un niveau de folie en Belgique ! Là-bas, j’ai dû faire beaucoup de sacrifices pour essayer de lutter avec les meilleurs. Moralement, il était très difficile de voir que je n’arrivais pas à faire le moindre résultat malgré de grosses charges de travail que je m’imposais à l’entraînement. J’ai vraiment douté. Chez les Espoirs 1, je gagnais presque tous les dimanches. Et là, plus rien !

Pourquoi as-tu « serré le moteur », comme on dit ?
Je crois que j’ai surtout eu du mal à encaisser le nombre de cyclo-cross. En France, j’en disputais une vingtaine par saison. En arrivant chez Telenet-Fidea, je suis passé au double. Prendre des cartouches sur 40 épreuves, c’est difficile à avaler. J’arrive à être performant sur un cyclo-cross par mois plus ou moins. Certes, je vois certains mecs marcher sur toutes les courses, tous les deux-trois jours. Je ne sais pas comment ils font, c’est impressionnant. Etre aussi régulier que les Belges, c’est impossible. Ils ont quelque chose en plus.

« PAS REUSSI A M’ACCLIMATER A LA BELGIQUE »

C’est pour se rapprocher de leur niveau de performance que tu t’es installé dans le pays ?
Exactement. Sauf que je me suis fait avoir ! J’ai vite réalisé que les meilleurs coureurs Belges ne s’entraînaient pas du tout chez eux. Ils partent rouler au soleil, dans le sud de la France ou en Espagne. Ils reviennent en Belgique uniquement pour courir. Là, je me suis senti con... De toute manière, je n’ai pas réussi à m’acclimater aux conditions de vie, je ne me suis jamais senti chez moi. Du coup, j’ai récemment décidé de repartir dans le Sud. Je suis installé près de Montpellier depuis début septembre, et je me sens déjà beaucoup mieux que lorsque je vivais en Belgique.

Outre le fait de vouloir imiter les Belges, est-ce que tu as déménagé faute de propositions de contrat en France ?
C’était un choix par défaut, je dois bien l’avouer. Lorsque je suis arrivé au Vendée U en 2009, on m’a promis que j’allais ensuite courir pour l’équipe professionnelle, Bouygues Télécom. Mais ça n’a pas été le cas. J’ai donc démarché plusieurs équipes fin 2009, sans succès. Je suis allé en Belgique parce que l’on me proposait quelque chose là-bas. Sinon, je serai resté en France. La presse a tourné l’histoire différemment et les gens ont cru que je partais uniquement car je le désirais. J’aurais peut-être dû être plus patient et passer une année de plus chez les amateurs en France. Mais ce qui est fait est fait.

Pour résumer, tu as disparu des écrans radar parce que tu as eu du mal à t’adapter au niveau du cyclo-cross en Belgique ?
En effet. On a dit de moi que je ne faisais plus de résultats, que je n’étais pas bon, que je ne valais plus rien. Alors que je me suis simplement retrouvé sur des courses d’un niveau beaucoup plus élevé qu’auparavant. Quand je vois certains crossmen passer professionnels... Tant mieux pour eux. Mais moi je n’ai pas eu cette chance là.

« J’ETAIS AUSSI FORT QUE THIBAUT PINOT CHEZ LES JUNIORS »

Tu le regrettes ?
Oui, je regrette de ne pas avoir eu la chance de courir pour une équipe comme FDJ.fr par exemple. J’aurais peut-être pu percer comme de nombreux autres jeunes coureurs chez eux. Un mec comme Thibaut Pinot, j’ai couru avec lui et j’étais aussi fort que lui chez le Juniors. Voir où il en est aujourd’hui me laisse des regrets. On ne m’a jamais donné ma chance et ça me fout les boules. J’ai mal vécu ma mise à l’écart et les critiques. Aujourd’hui, je veux faire de cette frustration une force.

Tu parles de Thibaut Pinot, mais que dire de Peter Sagan, que tu as battu lors du Championnat du Monde de cyclo-cross Juniors en 2008, à Trévise ?
On m’a souvent fait remarquer avec une pointe d’humour, que j’étais le seul coureur français à avoir battu Sagan au sprint (sourires). Je suis le premier impressionné par ses performances. Il est sur une autre planète. D’un autre côté, je me dis que si j’avais eu la chance, en sortant des rangs Juniors, d’intégrer une grande équipe comme il a pu le faire avec la Liquigas, on parlerait beaucoup plus de moi aujourd’hui... Je ne dis pas que je serais à son niveau - ce serait prétentieux - mais j’aurais déjà un autre palmarès. J’en suis certain.

Si on t’en donnait l’opportunité, souhaiterais-tu courir davantage sur route avec les pros ?
Pourquoi pas ? J’ai pris beaucoup de plaisir sur la route par le passé et j’aimerais m’y remettre plus sérieusement. Cet été, je n’ai disputé que quatre épreuves, dont le Championnat de France Elites où j’ai quand même tenu 200 kilomètres. Pour ma première compétition sur route de l’année, je n’ai pas à rougir. Ce jour-là, j’ai vu que sans entraînement spécifique, j’étais au niveau de certains coureurs de Continentales françaises. C’est motivant. Idéalement, j’aimerais faire autant de route que de cross, enchaîner les deux saisons et disputer les classiques qui pourraient me convenir. Un peu à l’image d’un Steve Chainel.

« PASSER DE L’EUPHORIE A L’OUBLI TOTAL, C’EST ENRICHISSSANT »

Y a-t-il des enseignements positifs que tu tires de tes deux dernières saisons sans grand résultat ?
Certainement. Je m’entraîne plus intelligemment qu’avant. Dans les catégories de jeunes, je ne faisais pas toujours le métier à fond mais je pouvais me reposer sur mon gros moteur. Aujourd’hui, ce n’est plus possible car tous les mecs contre lesquels je cours ont ce même moteur. Je m’impose d’énormes séances d’entraînement. Je ne dis pas que j’essaie d’être celui qui roule le plus ; c’est ce que j’ai voulu faire l’an passé et ça m’a perdu. Je ne me suis jamais fait aussi mal à l’entraînement qu’actuellement. C’est aussi pour cela que je suis plus fort dans ma tête.

Que reste-t-il de ton époque un peu star, en Juniors et les premiers temps en Espoirs, quand tu avais tes fans, ton site officiel, des vidéos de tes courses et un surnom qui ressemblait presque à une marque, « Arnoyo » ?
Quand je marchais, je prenais beaucoup de plaisir à faire des vidéos de mes victoires. J’avais aussi ce rituel sur les lignes d’arrivée (il brandissait son vélo au-dessus de lui, une fois la ligne franchie, NDLR). Je ne cherchais pas tellement à faire le « buzz », mais je me suis pris au jeu. Médiatiquement, j’étais de plus en plus sollicité. Aujourd’hui, malheureusement, je ne me peux pas m’amuser à faire de nouvelles vidéos, étant donné ma situation actuelle... Cela dit, passer de l’euphorie à un oubli total, c’est incroyablement enrichissant. Je pense qu’il est facile d’arriver au haut-niveau. En tout cas, il est plus dur d’y retourner après un échec. Mes histoires de vidéos, de jeune phénomène du cyclo-cross, c’est loin derrière moi. Désormais, je veux simplement pouvoir tracer ma route vers de nouveaux podiums, en toute discrétion.

Crédit Photo : Etienne Garnier - www.velofotopro.com
 

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